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Fin de vie : des sensibilités différentes

Collectif


« Aux yeux des bouddhistes, la loi actuelle suffit. » C’est ainsi que le journal Le Monde du 7 février 2023 a titré la tribune du co-président de l’Union Bouddhiste de France.

Dans sa « Tribune sur la fin de vie », Antony Boussemart dresse un tableau, une carte de points de réflexion importants qui constituent autant de départs vers d’autres questions en profondeur.


De ces questions de fond, d’autres traditions bouddhistes comme l’école zen Sôtô auraient produit une carte plus nuancée. Toutes les traditions bouddhistes s’accordent sur l’attitude essentielle d’intégrer pleinement la mort dans la vie. La vérité de l’impermanence. C’est dire s’il faut faire avec les moyens du bord, les moyens disponibles. Il y a les siens propres et ceux dont nous disposons dans le cadre de la réalité sociale et juridique de chaque pays. En Belgique, où la dépénalisation de l’euthanasie est effective depuis 2002 dans certaines situations, le parcours du demandeur est légalement établi et les constats se succèdent année après année. Carlo Luyckx, président de l’Union Bouddhique Belge, en dresse le tableau tel quel.


Dzongsar Jamyang Khyentsé Rinpoché exprime pour sa part la méfiance salutaire que l’on doit avoir à l’égard des habitudes prises d’utiliser certains moyens disponibles, les siens propres et ceux proposés par une société civile, en se gardant de tout (dogmat)-isme.


 


TRIBUNE SUR LA FIN DE VIE




Par Antony Boussemart,

co-président de l’Union Bouddhiste de France



Depuis qu’Emmanuel Macron a glissé à Line Renaud : « Votre combat pour le droit de mourir dans la dignité vous ressemble et nous oblige. Dicté par la bonté, l’exigence et cette intuition unique que c’est le moment de faire, alors nous ferons », notre pays se retrouve de nouveau agité par un débat que l’on pouvait espérer clos depuis le consensus trouvé il y a sept ans lors du vote de la loi Claeys-Leonetti. Les avocats d’une légalisation de l’euthanasie ont quasiment crié victoire lorsque le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) a publié quelques jours plus tard son avis 139 portant sur les « questions éthiques relatives aux situations de fin de vie ». Si certains en ont retenu qu’il semble entrouvrir la possibilité de légiférer en faveur de l’aide active à mourir, à nous, il semble important de relever que le CCNE commence par affirmer qu’« il ne serait pas éthique d’envisager une évolution de la législation si les mesures de santé publique recommandées dans le domaine des soins palliatifs ne sont pas prises en compte ». Il serait en outre malhonnête d’ignorer la « réserve » que plusieurs membres du CCNE ont souhaité ajouter à l’avis lui-même.


Faire preuve de discernement

Les bouddhistes sont généralement des gens discrets, « trop » disent certains. Les bouddhistes n’en sont pas moins des citoyens, qui aspirent de plus en plus à faire entendre leur singularité, afin de partager un enseignement dispensé il y a près de 2 600 ans par un sage dénommé le Bouddha. Le bouddhisme est une voie de sagesse, associée à l’éthique et à la méditation. Notre époque, fortement marquée par une inculture du fait religieux, demande d’autant plus que les voix bouddhistes se fassent entendre.


L’idée n’est pas de convertir : le Bouddha lui-même invite ses auditeurs à « ne pas croire », mais à réfléchir et expérimenter par eux-mêmes, à faire preuve de discernement en tenant compte des circonstances, ce avec respect, tant pour eux-mêmes que pour autrui. La suite relève du choix personnel.


Les responsables de l’Union Bouddhiste de France (UBF) ont eu par le passé l’opportunité de s’exprimer sur des choix de société. Ainsi, lorsqu’ils ont été auditionnés par l’Assemblée nationale en amont du vote de la loi Claeys-Leonetti, ils ont alors rappelé que, d’une façon unanime, toutes les traditions bouddhistes sont opposées à l’arrêt volontaire de la vie d’une personne. Quelles que soient les visions et interprétations de la mort et de l’après-vie, qui peuvent être assez différentes selon les lignées, toutes se rejoignent sur le fait qu’il ne faut pas ôter volontairement la vie d’un être vivant et à plus forte raison, d’un être humain.


Vouloir remédier à la souffrance est compréhensible. C’est même là tout le sens de l’enseignement du Bouddha. Mais selon nous, vouloir remédier à la souffrance en mettant fin à la vie revient à se tromper de combat. Plutôt que de contribuer à regarder la mort en face, à l’apprivoiser, cette démarche nous fait nous détourner de l’essentiel : intégrer pleinement la mort dans la vie.


« On fera face plus facilement »

Comme le dit le Dalaï-Lama : « Si l’on accepte que la mort fasse partie de la vie, lorsqu’elle surviendra, on lui fera face plus facilement. » Elizabeth Kubler-Ross, pionnière des soins palliatifs, ne disait pas autre chose quand elle écrit dans l’un de ses livres[1] : « On n’apprend pas à accepter la mort en l’évitant ni en la niant. Il faut la prendre de front pour la traiter de façon constructive. Que ce soit vous qui mouriez ou quelqu’un que vous aimez ou quelqu’un qui est confié à vos soins professionnels, ce sera dur. Personne ne peut accepter facilement la fin d’une vie. Mais on n’élimine pas le fait en l’ignorant et ce qui compte, c’est de vivre pleinement le temps qu’on a. »


Pédagogie sur la vie et la mort

Sur le plan législatif, aux yeux des bouddhistes de France, la loi du 2 février 2016 est satisfaisante et bien adaptée. Les soins palliatifs, l’accompagnement des personnes en fin de vie, le soulagement de la douleur et en particulier le non-acharnement thérapeutique – ou « l’obstination déraisonnable », comme on préfère dire aujourd’hui – conviennent parfaitement à l’éthique bouddhiste. Encore faudrait-il que cette loi soit vraiment connue et appliquée partout.


D’un point de vue spirituel, la communauté bouddhiste dans son ensemble insiste sur l’énorme travail à accomplir en amont dans notre société : pédagogie sur la vie et la mort, enseignements et réflexions religieuses et philosophiques sur la réalité incontournable de la fin de vie (vieillesse, maladie et mort), éducation sur les peurs et la mort vécue comme un « échec », pratiques de méditation et de tout ce qui peut être utile à une personne pour se préparer à ce moment. C’est donc plutôt à l’ignorance en priorité – la Convention citoyenne a démontré s’il en était besoin que le plus grand flou entoure le concept même de la fin de vie – qu’il faudrait remédier. Il faut aussi combattre l’isolement et le sentiment d’être une charge pour la société, en même temps qu’il faut une réelle volonté de développer les soins palliatifs sur tout le territoire national – ce qui est très loin d’être le cas, on le sait.


Il apparaît évident que les accompagnements affectif, médical et spirituel sont indissociables et tous indispensables. Outre les soins palliatifs et le soulagement de la douleur, l’accompagnement spirituel devrait être systématiquement proposé.


En conclusion, au-delà des valeurs philosophiques ou religieuses, il faudrait peut-être avoir également l’humilité d’admettre que les médecins ne sont pas infaillibles et que s’arroger – même en équipe – un droit de vie et de mort est excessif et contraire à la vocation médicale, qui est de soigner, soulager, et certainement pas tuer. Par ailleurs, la médecine ne cessant de progresser, telle maladie incurable encore hier peut aujourd’hui ou demain devenir guérissable.


[1] La Mort, dernière étape de la croissance, Éditions du Rocher, 1993



 

L'EUTHANASIE EN BELGIQUE



Carlo Luyckx a exercé des responsabilités politiques pendant vingt-cinq ans.

Il est aussi président de l’Union Bouddhique Belge.



Il est un fait que pour toutes les traditions bouddhistes, il ne faut jamais prendre la vie d’un être humain ou d’un animal, ni mettre fin à sa propre vie. Il est néanmoins important de rappeler que pour le bouddhisme, un acte posé est positif ou négatif selon que la motivation est altruiste ou égoïste. Il produit des effets karmiques en fonction de l’intention et non de l’apparence. L’être humain ne peut que scruter sa propre conscience pour évaluer la pertinence d’un acte et il lui est impossible de connaître la réelle motivation d’autrui.


Contrairement à d’autres systèmes de pensée, le bouddhisme n’a pas vocation d’imposer à la société sa conception de l’éthique, dont l’essentiel consiste à éviter la souffrance pour autrui et pour soi-même. Je refuserai personnellement l’euthanasie au cas où, proche de ma mort, je serais soumis à une douleur insupportable. Pour ce qui concerne les autres, je ne suis pas en mesure de juger du bien-fondé de leur décision, d’autant plus que dans notre société le principe du karma est peu connu ou compris et la vie après la mort remise en question.


Il y a quelques années, un ami intime, qui n’était pas bouddhiste mais que j’estimais pour son niveau de sagesse, eut recours à l’euthanasie après une longue et pénible maladie. Le médecin qui lui administra l’injection létale était un de ses amis les plus proches. Sa compagne m’a fait part de sa tristesse tout en disant qu’il était parti de manière très digne.


Pour ces raisons, si j’avais été parmi les parlementaires belges appelés à voter en 2002 la loi dépénalisant l’euthanasie dans certaines situations, j’aurais probablement voté l’abstention, mais certainement pas voté contre. Il ne s’agit en effet pas d’un permis de tuer, mais d’une dépénalisation de ce qui était auparavant qualifié de meurtre, même si la loi considère l’euthanasie comme mort naturelle afin d’éviter des conséquences sur les contrats d’assurance-vie. La loi instaure une série de conditions et de procédures strictes que j’énonce dans cet article et qui visent à éviter que l’euthanasie soit pratiquée à la légère ou que cela devienne une habitude, crainte exprimée par Dzongsar Khyentsé Rinpoché.


C’est ainsi qu’en Belgique depuis 2002, à la demande du patient, l’euthanasie est autorisée si les conditions fixées dans la loi sont réunies.


Cet acte est obligatoirement posé par un médecin, qui ne peut le déléguer à un tiers. Il doit s’assurer que trois conditions sont réunies :

  • La demande est volontaire, réfléchie et réitérée, formulée indépendamment de toute pression extérieure ;

  • Le patient se trouve dans une situation médicale sans issue et ce, suite à une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable ;

  • Le patient doit faire état d’une souffrance insupportable, physique ou psychique.


Il revient au médecin préalablement :

  • d’informer le patient de son état de santé et de son espérance de vie, des possibilités thérapeutiques encore envisageables et des possibilités qu’offrent les soins palliatifs. Il doit arriver, avec le patient, à la conviction qu’il n’y a aucune autre solution raisonnable et que sa demande est entièrement volontaire ;

  • de s’assurer de la persistance de la souffrance physique ou psychique du patient et de sa volonté réitérée et sans contrainte de mourir ;

  • de consulter un autre médecin quant au caractère grave et incurable de l’affection. Celui-ci étudie le dossier médical, examine le patient et s’assure du caractère constant, insupportable et inapaisable de la souffrance physique ou psychique. Il doit être indépendant à l’égard du patient et du médecin traitant et être compétent quant à la pathologie concernée ;

  • de consulter l’équipe soignante ;

  • de s’entretenir avec les proches désignés par le patient ;

  • de veiller à ce que le patient ait eu l’occasion de s’entretenir avec toutes les personnes qu’il souhaitait rencontrer.


Lorsque la personne est mineure non émancipée, il faut qu’elle se trouve dans une situation médicale sans issue de souffrance physique constante et insupportable, que son décès soit prévu à brève échéance, qu’un psychologue ou un pédopsychiatre ait établi sa capacité de discernement et que ses représentants légaux aient donné leur accord.


Au cas où le patient est inconscient, l’euthanasie est admise si la personne a rédigé une déclaration anticipée demandant l’euthanasie si le médecin constate :

  • qu’elle est atteinte d’une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable ;

  • qu’elle est inconsciente ;

  • que cette situation est irréversible.


La loi prévoit qu’aucun médecin n’est obligé de pratiquer une euthanasie.

Si le médecin consulté refuse, sur la base de sa liberté de conscience, il est tenu de transmettre au patient les coordonnées d’un centre spécialisé et de communiquer le dossier médical au médecin désigné par le patient.


Le médecin doit déclarer l’acte et faire parvenir la déclaration à la Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie (CFCEE).


La CFCEE publie des rapports bisannuels sur l’évolution de la pratique d’euthanasie. C’est ainsi que l’on peut lire dans le 10e rapport aux Chambres législatives que la proportion de décès par euthanasie déclarés en 2020 et 2021 a été de 2,2% de l’ensemble des décès en Belgique.



 

INSTITUER L'EUTHANASIE ?


Dzongsar Jamyang Khyentsé Rinpoché voyage et enseigne dans le monde entier. Auteur de plusieurs ouvrages, cinéaste primé, il est également l’abbé de plusieurs monastères en Asie et le directeur spirituel de centres de méditation en Amérique, Australie et Asie.



À la fin d’un enseignement donné en Australie, le maître Dzongsar Rinpoché répond avec douceur et humour aux questions du public.



Quels sont vos sentiments sur l’euthanasie ?

Dzongsar Rinpoché : Ici interviennent les notions bouddhistes de cause, de condition, d’effet, ainsi que la question des schémas d’habitudes.

Je pense que, si vous endormez quelqu’un – bien sûr la motivation altruiste joue aussi un rôle très important ici, mais si vous éteignez délibérément quelqu’un par sédation profonde cela reste fondamentalement un meurtre. Même si vous ne le faites peut-être pas de manière très spectaculaire. Mais j’ai entendu qu’il y a aussi des gens qui demandent aux autres de leur faire cela. C’est peut-être la question principale ici, n’est-ce pas ?

Oui, je crois.

Eh bien… les bouddhistes ont toujours très peur des habitudes. Elles sont ce qu’il y a de plus effrayant pour eux. Toutes les religions semblent avoir des ennemis, n’est-ce pas ? Satan, les démons, ce genre de choses. De même, si vous voulez une sorte de force malfaisante dont les bouddhistes devraient avoir peur, c’est la force des habitudes. Parce que les habitudes finissent par prendre le dessus et vous contrôler. C’est ce qu’elles font et c’est pourquoi on ne veut pas d’elles.

Mais le chemin bouddhiste lui-même est une habitude. Pratiquer la méditation, s’asseoir avec le dos droit, se comporter de manière plus agréable. Tout cela est habitude. Ce que vous essayez de faire est en fait de vous débarrasser d’une sorte de mauvaise habitude non vertueuse simplement parce que c’est votre préoccupation plus immédiate, pour ainsi dire. Si nous ne voulons pas souffrir, si nous ne voulons pas endurer la douleur, débarrassons-nous de l’habitude non vertueuse en utilisant l’habitude vertueuse.

Mais ensuite, les pratiquants bouddhistes ont réalisé que c’est aussi une habitude et que le bouddh-isme est une habitude qui devra aussi être abandonnée. C’est donc quelque chose que vous devez savoir, car c’est probablement l’une des rares ou peut-être la seule religion qui parle du fait que la religion elle-même est le problème. Une fois que vous avez atteint l’autre rive, vous devez abandonner le bateau, sinon vous n’êtes pas sur l’autre rive. L’habitude est donc quelque chose qui nous préoccupe beaucoup.

Nous ne voulons pas avoir d’habitude. Je pense donc qu’en adoptant l’euthanasie, on développe cette habitude d’éteindre, de mettre fin à la vie. Et c’est quelque chose que vous ne voulez peut-être pas faire, vous savez, parce que si vous prenez ce genre d’habitude, cela peut se répéter et entraîner beaucoup de souffrance pour vous et pour les autres.

Je ne sais donc pas si j’ai répondu correctement à la question, mais c’est probablement l’aspect le plus important de ce qui ressemble à un homicide par compassion. S’engager dans cette voie, en particulier l’habitude d’éteindre la vie avec ce genre de force, n’est pas une bonne idée.


 

Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°25 (Printemps 2023)




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