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  • Photo du rédacteurSagesses Bouddhistes

Réunion de famille - 50 ans de zen Sôtô en Europe (1967-2017)

Par Kankyo Tannier


Boulangerie du Temple : très grandes quantités de pain et pizza fabriquées lors du samou

Dix heures du matin, un jeudi du mois de mai :

Un moine passe sur un tracteur transportant des tables. Une vingtaine de personnes, toutes de blanc vêtues, coupent, cisèlent et hachent menu des légumes colorés. Des Japonais traversent la cour en déplaçant des cloches. L’intendante saute dans une fourgonnette pour quelques achats de dernière minute... Quelle que soit la direction où porte le regard, cet endroit ressemble fort à une ruche au printemps !

L’endroit ? Une immense forêt du centre de la France, au cœur de laquelle se niche, depuis près de trente ans, le « plus grand temple zen d’Occident » : la Gendronnière. Fondé en 1979 par le maître japonais Taisen Deshimaru, le domaine accueille ces jours-ci une manifestation aussi festive qu’exceptionnelle : l’anniversaire des cinquante ans de l’arrivée du zen Sôtô en Europe.

Cinq cents personnes venues du monde entier sont attendues, soit une multitude de sanghas, très différentes les unes des autres, réunies dans un même lieu pour la première fois !

Mais commençons par le commencement...


Petit retour en arrière


La mission du maître Taisen Deshimaru (1967-1982)


C’est l’arrivée de ce maître en Europe en 1967 qui marque la naissance de la tradition zen Sôtô sur notre continent. Extrêmement charismatique, il a rapidement rassemblé autour de lui de nombreux disciples tout en rencontrant régulièrement des personnalités culturelles et politiques marquantes de la société française des années 70-80.

Le point central de sa mission a consisté à enseigner (inlassablement) la pratique de zazen (la méditation zen), à l’installer comme point d’ancrage dans la pratique du bouddhisme zen, tout en s’appuyant sur les écrits des patriarches de son école (Eihei Dôgen, Yoka Daishi...), qu’il a abondamment commentés et qui ont été édités par l’Association Zen Internationale.

Pour ceux qui l’ont connu, ce sont quelques traits marquants de son caractère qui ont permis à sa mission de remporter un tel succès : une énergie hors du commun, un humour emportant l’adhésion et une intuition remarquable lui ayant fait sentir parfaitement les attentes de la société des années 70.

À sa mort en 1982, il avait fondé le grand temple de la Gendronnière ainsi que des centaines de dojos (les lieux de pratique en ville). Mais il avait surtout semé, durablement, le goût du zen parmi ses disciples. Et, au mois de mai dernier, un grand nombre d’entre eux se sont rassemblés pour honorer sa mémoire.


Et pendant ce temps-là...


Pendant ces années-là, comme dans les décennies qui ont suivi, d’autres lignées se sont déployées à travers l’Europe. Des moines, des nonnes ont commencé la pratique sous la guidance de maîtres japonais ou américains. Certains ont pratiqué longtemps dans des temples traditionnels japonais, d’autres ont aidé des maître américains dans leurs missions... Tous sont ensuite revenus sur le vieux continent pour créer des lieux de pratique et rassembler des personnes autour d’eux.

Difficile aujourd’hui d’évaluer le nombre des uns et des autres, mais le propos n’est sans doute pas là. L’arbre généalogique du zen Sôtô en Europe présente, cinquante ans plus tard, le visage d’un vénérable aux milles ramures, plongeant ses racines dans les terres fertiles du Japon, de la Chine et de l’Inde.


Anniversaire : des préparatifs sous le signe du lien

Des invitations aux quatre coins du monde


Maître Yusho Sasaki, nonne responsable de l'école japonaise Sôtô pour l'Europe.
Maître Yusho Sasaki, nonne responsable de l'école japonaise Sôtô pour l'Europe.

Cet anniversaire, ce demi-siècle, était donc l’occasion de rassembler toute la famille. Et le premier travail a consisté à... retrouver les adresses ! Il y avait bien sûr toutes les sanghas de l’Association Zen Internationale (AZI), qui organisait l’événement. Là, c’était facile. Il y avait également tous les maîtres zen inscrits directement à l’école zen Sôtô japonaise (Sôtôshu). L’instance administrative de cette dernière, la Shumucho, dispose d’un bureau à Paris et co-organisait l’événement (avec un grand dévouement). Là encore, les adresses étaient aisément accessibles. Et puis, il a fallu faire jouer les réseaux pour retrouver d’anciens disciples de maître Deshimaru, avec lesquels les relations s’étaient distendues, voire franchement brouillées.

À chaque fois, l’accueil fut unanime : retrouvons-nous ! Faisons de ce demi-siècle une fête fraternelle et profitons-en pour nous revoir.


© www.zen-azi.org

Une grande délégation japonaise


Le président de l'école zen soto découvrant le bureau de Maître Deshimaru.
Le président de l'école zen soto découvrant le bureau de Maître Deshimaru.

À l’occasion de cet événement, le président de la Sôtôshu en personne, maître Ryubun Kamada, avait fait le déplacement. Il a célébré une cérémonie anniversaire, honoré la tombe de maître Deshimaru et prononcé un long discours, en français dans le texte – attention très délicate appréciée à sa juste valeur.

D’autres maîtres japonais étaient également présents, accompagnés de disciples, afin de marquer une fois de plus l’intérêt du Japon pour la façon dont le zen se déploie en Europe, et participer à cette aventure.


Maître Deshimaru dans les années 1970
Maître Deshimaru dans les années 1970

Un colloque et des portes ouvertes


Colloque


Maître Yuno Rech préside la cérémonie en hommage à Sensei,
Maître Yuno Rech préside la cérémonie en hommage à Sensei.

Et puis, nous y voici ! Ce vendredi matin 12 mai, tout le monde est rassemblé dans le grand réfectoire transformé pour l’occasion en salle de conférences. La matinée commence par une rétrospective des cinquante dernières années. Avec photos d’archives, vidéos et animations visuelles, toute une histoire se tisse sous nos yeux ébahis. Un long (très long) travail de recherche a été fait, pour un résultat renouvelant sans doute complètement la vision de notre histoire commune.

L'arbre généalogique en construction
L'arbre généalogique en construction

Notre arbre généalogique est immense. La toile des transmissions s’est tissée de long en large, traversant les années et les continents, pour ce résultat que nous avons désormais sous les yeux. Une richesse inouïe, portée par des personnes inspirées. Beaucoup d’entre elles sont présentes aujourd’hui et commencent (peut-être) à réaliser le chemin parcouru.

Après le passé, le présent : les principaux responsables de sanghas ont été invités à témoigner, en quelques phrases, de leur vision du zen. Les expressions sont des plus diverses, accueillies avec le respect qui leur est dû, en suivant cette idée fondatrice : «  On peut être amis sans être d’accord. »

Le lendemain, des projets, idées, envies, questionnement seront mis sur la table lors d’un atelier « avenir et perspectives ».


Portes ouvertes

Démonstration de Taiko, tambour japonais.
Démonstration de Taiko, tambour japonais.

Pour ces cinquante ans de zen Sôtô en Europe, l’envie est née assez rapidement d’inviter le grand public à découvrir le magnifique temple de la Gendronnière. À cette occasion, beaucoup de personnes des alentours ont fait le déplacement pour goûter à un après-midi en famille, entre méditation et tambours japonais.


Journée portes ouvertes à la Gendronnière
Une journée portes ouvertes qui fait le plein.

Les différentes sanghas ont présenté leurs activités avec des stands, sur lesquels on pouvait aussi découvrir quelques spécialités culinaires, artistiques, écologiques, musicales ou encore viticoles.

Des visites guidées du domaine se sont déroulées tout au long de l’après-midi tandis que (sur la grande scène) les tambours du temple Fudenji (Italie) ravissaient les spectateurs avec leur énergie et leurs rythmes hypnotiques.


Cérémonies et gratitude


Chacune de ces journées a débuté comme il se doit par une méditation commune. Près de 400 personnes réunies dans le grand dojo de la Gendronnière, celui-là même que certaines des personnes présentes ont aidé à construire, de leurs mains, quelque trente ans auparavant. On entendait une mouche voler, n’eût été la présence de nombreux médias, comme NHK-Japon, France 2 ou des reporters néerlandais, se relayant pour filmer entre les allées.

C’est dans ce grand dojo également, idéalement surplombé d’arbres centenaires, que différentes cérémonies ont clôturé la manifestation. Cérémonie anniversaire des 50 ans du zen en Europe, cérémonie dédiée aux personnes décédées ayant participé à son implantation et, la plus émouvante sans doute : celle en hommage au patriarche, Taisen Deshimaru. L’assemblée tout entière a alors défilé lentement devant Bouddha pour faire offrande d’encens, tandis que les chants traditionnels et graves du zen Sôtô vibraient jusqu’aux étoiles.

Et c’est avec des étoiles justement, des étoiles dans les yeux, que les participants ont peu à peu quitté la Gendronnière, avec la conscience d’appartenir à une grande famille, reliée pour toujours quel que soit le lieu, grâce à zazen.


 

Kankyo Tannier est nonne bouddhiste de la tradition zen sôtô et réside depuis 2001 au monastère Ryumonji. À travers des stages ou ateliers, elle fait connaitre la pratique de la méditation zen après du grand public.


 

Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°3 (Été 2017)


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