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  • Photo du rédacteurSagesses Bouddhistes

« Les enfants nous enseignent »

Par Noémie Lehouelleur

Photos ©PVECB


Le Village des Pruniers accueille chaque été des familles en retraite pendant quatre semaines. Des programmes enfants ont été spécialement conçus pour que les 6-13 ans accèdent eux aussi à la pleine conscience. Ordonné en 2016, le frère Bienveillance est l’un des plus fidèles accompagnants depuis plus de dix ans.



Le frère Bienveillance découvre le programme enfants pour la première fois en 2009, avec ses filles, alors âgées de 12 et 11 ans. « Le Village des Pruniers pour mes filles, c’était comme un paradis, se souvient-il. La nature merveilleuse qui nous entourait, ce sentiment de sécurité, la présence bienveillante des retraitants et des monastiques... Nous étions tellement heureux d’être là en famille, d’approcher la pratique sous forme de jeux, en s’amusant, en chantant, en jouant de la guitare... »


Ses filles et lui jouissent d’une précieuse liberté et indépendance. Après deux ou trois semaines sur place, les deux pré-ados réclament constamment d’y retourner. « C’était encore mieux qu’une colonie de vacances pour elles. Nous partagions des moments ensemble, mais chacun vivait de son côté ses propres aventures. Ce n’est pas si souvent qu’on a la possibilité de vivre en famille ce type d’expérience ! »


Les contraintes du quotidien s’envolent. La famille campe au milieu des pruniers. Les repas sont gérés par la communauté. Et ses filles bénéficient le matin et l’après-midi d’un programme sur mesure dédié aux enfants de leur âge... si elles le souhaitent ! Cette règle est sacrée. « Les enfants sont libres d’aller ou non aux activités proposées. Ils subissent tellement de contraintes pendant toute l’année qu’il n’est pas question ici de leur en imposer une autre », tempère le frère.


Animateur puis psychologue, le frère Bienveillance a une quarantaine d’années d’expérience dans le suivi des familles et des enfants. Cette expérience, il l’a mise au service des programmes enfants et

de l’accompagnement des familles en général, lors de séances individuelles, depuis une douzaine d’années.

Un planning pour les adultes, un autre pour les plus jeunes

Le Village des Pruniers est situé dans le sud-ouest de la France, distribué entre trois hameaux distincts : le Hameau du bas à Loubès-Bernac (Lot-et-Garonne, 47), le Hameau du Haut à Thénac (Dordogne, 24) et le Hameau nouveau à Dieulivol (Gironde, 33). Chaque été, environ 250 enfants et adolescents, âgés de 6 à 17 ans, sont accueillis dans ces trois hameaux, répartis dans des groupes en fonction de leur âge et de leur langue (français, anglais, espagnol, allemand, néerlandais, italien). Les plus jeunes sont divisés en trois groupes : 6/8 ans, 9/10 ans et 11/12 ans.


Ils sont avec leurs parents pendant les repas et le soir puis rejoignent leurs camarades en journée, encadrés par des pratiquants laïques bénévoles et des monastiques. La première partie de l’enseignement du Dharma, qui a lieu tous les matins, s’adresse à eux. L’enseignant veille à utiliser un langage, un message et des images simples et accessibles, pour toucher le cœur et éveiller les jeunes esprits à la pleine conscience. Cette partie de l’enseignement, très poétique et ludique, est généralement très appréciée aussi par les adultes ! Au bout d’une trentaine de minutes, ils quittent le hall de méditation pour rejoindre les yourtes et autres tentes installées dans les magnifiques jardins du Village des Pruniers pour débuter leurs activités. Leurs parents peuvent ainsi se concentrer sur le reste de l’enseignement et la marche méditative qui s’ensuit.


Des bénévoles ancrés dans la pratique

Les laïques et les monastiques qui accompagnent les jeunes ont généralement été sélectionnés en fonction de leurs expériences passées auprès d’un public juvénile et de la profondeur de leur pratique. Les bénévoles arrivent une semaine avant le début de la retraite pour cultiver l’énergie de pleine conscience, s’enraciner dans l’ici et le maintenant, être prêts à entourer les jeunes par leur présence, être « solides comme une montagne », comme on aime à le répéter aux Pruniers. Ils reçoivent alors une préparation et participent à des séances de team building pour resserrer les liens entre l’équipe et peaufiner les détails des activités à venir. Ils méditent matin et soir et profitent aussi des marches méditatives.

« Cette semaine est essentielle, poursuit le frère Bienveillance. Elle conditionne tout le reste. Quand les enfants arrivent, l’équipe d’encadrant.e.s a pris ses marques, i.e.lles se connaissent et peuvent travailler ensemble. » Les adultes doivent en effet être en harmonie pour nourrir un sentiment de sécurité dans le groupe.


Cette semaine est également l’occasion de se familiariser avec les pratiques des Pruniers destinées aux enfants : l’invitation de la cloche, la méditation des cailloux, les deux promesses, le goûter en pleine conscience et toute une panoplie de jeux pour les mettre à l’aise et qu’ils soient dans leur corps. Les chansons du Village ponctuent en outre les activités et transmettent l’essence des enseignements du Bouddha.


Les bénévoles doivent capter leur rôle et gommer certains amalgames et énergies d’habitude. L’approche est ici très différente de celle d’un centre aéré. On quitte le faire pour l’être. « Nous ne sommes pas là pour éduquer les enfants, les pousser à faire quelque chose. Nous partageons des moments de présence, de sensibilité, d’écoute, une qualité d’être ensemble. » Ce n’est pas si simple pour les adultes, habitués à être dans le faire, dans le devoir, dans l’action, au risque d’être rattrapés par l’inquiétude. Ce qui renvoie directement à la culture du zen, la culture de la non-action, « être dans l’action sans être dans l’action ».


Thich Nhât Hanh (1926 - 2022) invitant la cloche au Village des Pruniers

Des pratiques adaptées

La pratique préférée des plus jeunes, c’est l’invitation de la cloche. Objet sacré qui les subjugue, les fascine. Un objet qui les calme aussi, qui les ramène à leur respiration, à l’instar des adultes. Mais pour s’assurer de leur adhésion, la personne invitant la cloche doit bien entendu être présente, ancrée. Pour apprivoiser cette « meilleure amie », comme la surnomme Thich Nhât Hanh, cela passe une fois encore par le jeu. « La cloche nous fait un petit coucou. Nous revenons à la maison et goûtons ensemble à ce moment. Les enfants adorent ça ! Ils captent très vite, c’est assez impressionnant. » La cloche est invitée et on demande aux enfants de lever la main dès qu’ils n’entendent plus les réverbérations du son. C’est étonnant de voir la concentration qui s’inscrit sur leurs visages et l’écoute profonde dont ils font alors preuve. Pleinement unis au son de la cloche. Au fil des jours, ce sont eux qui vont avec fierté inviter la cloche.

Un équivalent des cinq entraînements à la pleine conscience a été pensé pour les enfants. Ce sont les deux promesses. Lors d’une cérémonie officielle, ils promettent de développer leur compréhension et leur compassion pour vivre en paix avec tous les êtres, les personnes, les animaux, les plantes et les minéraux. Ces qualités, « ils les ont déjà naturellement, selon le monastique. Nous ne faisons que mettre en lumière ce pouvoir qu’ils ont en eux, pour leur expliquer qu’ils peuvent produire quelque chose de merveilleux. »


Le concept d’inter-être, d’interdépendance, semble ainsi intuitif chez ces retraitants en herbe. « En grandissant, nous cultivons l’individualité, mais eux ont cette compréhension, cette poésie naturelle. » Le frère se remémore par exemple avec amusement une chanson écrite par ses deux filles et leurs ami.e.s sur la protection des koalas.


À la fin du séjour, une autre cérémonie particulièrement touchante se déroule pour renforcer et apaiser les relations entre parents et enfants. Celle du renouveau. Lors de ce moment clef de la retraite, chacun.e est invité.e à « arroser les fleurs » de l’autre, c’est-à-dire à lui dire ce qu’il ou elle apprécie chez l’autre. Libre ensuite à chacun.e d’exprimer des regrets sur des paroles ou comportements qui ont pu blesser ou contrarier l’autre. « C’est un moment d’une beauté incroyable. Parfois, les enfants sont plus à l’aise que les parents. Cela permet de se dire des choses que l’on n’arrive pas forcément à se dire à la maison. En tant qu’accompagnant, c’est un moment que j’adore. J’ai l’impression d’être à nouveau un enfant et de nourrir mon enfant intérieur », ajoute frère Bienveillance.


Les enfants ont un accès direct aux émotions, sauf quand ils sont très conditionnés. Plus on avance en âge, moins cet accès est facile. (...) La joie, la spontanéité, la légèreté, la créativité,... les traverse plus franchement. Il ne leur faut pas longtemps pour que cela revienne. »


La méditation dite des cailloux compte parmi les pratiques piliers de la semaine. Elle se déroule en quatre étapes. En prenant le premier caillou associé à la fraîcheur et une fleur dans leurs mains, les enfants arrosent leurs propres qualités. Après « Je me sens frais/fraîche comme une fleur » vient le temps de « Je me sens solide comme une montagne », avec le deuxième caillou. Puis « Je suis tranquille comme l’eau d’un lac » et « libre comme l’espace » avec les troisième et quatrième cailloux. Cette sorte de méditation guidée les connecte à leur beauté et trésor intérieurs.


Gérer les émotions

Selon le frère Bienveillance, « les enfants ont un accès direct aux émotions, sauf quand ils sont très conditionnés. Plus on avance en âge, moins cet accès est facile. (...) La joie, la spontanéité, la légèreté, la créativité,... les traverse plus franchement. Il ne leur faut pas longtemps pour que cela revienne. »

Les adultes encadrants doivent donc saisir intuitivement le moment adéquat pour une activité ou un partage du cœur informel, être dans une vibration d’écoute profonde, à l’unisson avec le langage de l’enfant qui passe bien souvent plus par le corps que par les mots. « Se brancher à l’énergie du groupe, sentir ce qui est en train d’émerger, comme un compositeur. » Le fait d’être trois leur permet de se consacrer si besoin à un enfant en difficulté, qui traverse un moment difficile, en étant présent, tranquille face à lui pour offrir l’espace inconditionnel nécessaire pour que ses émotions se libèrent.

« Mais le programme enfants est censé être léger, rappelle frère Bienveillance. Il n’est pas destiné à déclencher de fortes émotions, mais quand cela se présente, nous l’accueillons avec bienveillance et leur faisons comprendre que ce n’est pas un problème de pleurer, de crier, d’extérioriser ce que nous ressentons. » À l’inverse de ce qui leur est souvent reproché dans leur quotidien.


Redonner aux enfants un pouvoir

En réveillant la compréhension et compassion naturelles qui sommeillent chez les enfants, on leur redonne un pouvoir, au lieu de les soumettre, de les réduire ou de les entraver. Passer par l’imaginaire et le récit d’histoires imagées aide. L’empathie et l’écoute vis-à-vis des autres enfants du groupe se construit peu à peu. Le jugement disparaît.


Bien évidemment, certains arrivent très agités. Même si l’objet cloche et le désir de « jouer » avec les mobilise, tou.te.s n’ont pas la même capacité à se concentrer. Au risque de perturber l’harmonie du groupe. Le frère Bienveillance se souvient par exemple de ce garçon de 8 ans, extrêmement turbulent, au point de mettre à rude épreuve la patience de ses camarades et des accompagnants. Le frère lui a donc gentiment proposé de quitter temporairement le cercle, en douceur, et de sortir se promener ensemble. Le garçonnet n’y a opposé aucune objection. Ils sont simplement allés s’asseoir dans la forêt pendant une vingtaine de minutes. Le frère s’est centré sur sa respiration, en silence, pendant que le gamin jouait avec quelques brindilles et cailloux, sans parler non plus. « Je me suis accueilli comme si j’étais lui, en pensant à mon enfant intérieur, qui pouvait aussi être agité de temps en temps, raconte le monastique. Je le sentais peu à peu se calmer ; je lui ai donc proposé de rejoindre le groupe. Il est resté calme tout le reste de la semaine ! »


Au final, « ce sont les adultes qui apprennent des enfants et c’est aussi pour ça que le programme enfants est magique. Pour moi, les enfants sont nos maîtres et malheureusement, les adultes ne le voient pas toujours. Ils soumettent les enfants à leur autorité, sans réaliser la sagesse naturelle de l’enfant. Il a des capteurs innés et peut sentir si je suis aligné ou pas, et appuyer sur le bouton qui n’est pas ajusté. Ce n’est pas toujours évident ! »


Ce voyage quasi initiatique se termine toujours en beauté, sous l’auspice de la lune, lors des fameux spectacles qui concluent chaque semaine de retraite. « La vie est un jeu », et c’est en s’amusant que nos enfants intérieurs rient et guérissent ensemble.



Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°24 (Hiver 2022/23)



 










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