Depuis près de dix ans, le mouvement Wake Up impulsé par le maître zen vietnamien Thich Nhat Hanh essaime dans le monde entier. Ces sanghas composées de jeunes âgés de 18 à 35 ans prônent une société plus saine et compatissante. Leurs rendez-vous hebdomadaires sont source d’apaisement dans un environnement urbain souvent éprouvant pour le corps et l’esprit.
Par Noémie Lehouelleur
Photos : Fabienne Carreira et Wake Up
Les badauds éberlués lancent des regards interrogateurs autour d’eux. Une vingtaine de jeunes gens marchent d’un pas lent et serein sur l’un des trottoirs de la capitale, un demi-sourire vissé au visage. Ce ne sont pourtant pas des illuminés, juste une sangha Wake Up qui se rassemble ici, comme chaque dimanche soir. Cette marche méditative sera suivie d’une méditation assise dans un dojo loué pour l’occasion. Les langues se délieront ensuite lors d’un partage durant lequel chacun pourra se dévoiler sans peur d’être jugé.
Répondre à la souffrance des jeunes
C’est une rencontre avec des lycéens italiens au printemps 2008 qui inspira Thich Nhat Hanh. « Ils étaient curieux, intéressés par la pleine conscience mais aussi complètement déboussolés, se souvient sœur Hai Nghiem. Thay a alors décelé une certaine urgence à répondre à cette souffrance. » Le vénérable maître zen a toujours été sensible aux émois et questionnements des jeunes générations. À leur énergie et à leur envie de s’engager aussi. Avant même de s’exiler en France, alors qu’il vivait encore dans son Vietnam natal déchiré par la guerre, Thich Nhat Hanh avait créé un mouvement rassemblant ses amis voulant agir pour le bien-être de la communauté : l’École pour la jeunesse et le service social. Les jeunes bénévoles allaient là où le besoin s’en faisait sentir distribuer des vivres, reconstruire des villages et enseigner les pratiques de la pleine conscience pour aider leurs compatriotes à affronter les affres de la guerre.
Quelques décennies plus tard, Thich Nhat Hanh rencontre d’autres jeunes amis militants en France. En arrivant d’Angleterre, sœur Hien Nghiem et frère Phap Linh expriment leur volonté d’aménager un espace au sein de la communauté pour les jeunes adultes. Ils sont ordonnés en février 2008, tout comme sœur Hai Nghiem. Tous trois ont moins de trente ans. Ils feront partie du noyau dur de jeunes et moins jeunes monastiques témoignant d’un désir sincère de s’engager pour le développement des sanghas et des retraites Wake Up en France et dans le monde. « C’était comme si Thay avait enfin des personnes qui pouvaient faire ce qu’il avait à l’esprit pour les jeunes », résume sœur Hai Nghiem.
À la surprise générale, le maître annonce la création d’un mouvement dédié aux jeunes dès la retraite d’été de la même année : les Jeunes Bouddhistes et Non-Bouddhistes pour une société saine et compatissante. Une appellation un peu longue qui sera vite remplacée par une formule plus percutante. Dans son discours, Thich Nhat Hanh ne cesse d’interpeller l’assistance par des « Il faut qu’on se réveille ! » (Wake Up en anglais). Le nom s’impose donc assez naturellement.
« On ne se sentait plus seuls ! »
Mais le mouvement Wake Up n’a pas attendu un nom de baptême pour se manifester ! Le village des Pruniers accueillait déjà depuis 2005 des retraites destinées aux jeunes pratiquants, une fois par an. Ils n’étaient qu’une vingtaine au début, presque une centaine quatre ans plus tard pour la première retraite officiellement estampillée Wake Up. Adrien, alors âgé de 20 ans, y assistait. « J’étais très heureux de ne me retrouver qu’entre jeunes, avec de jeunes monastiques aussi. On ne se sentait plus seuls ! » Car à l’époque Adrien passe une année entière aux Pruniers et les retraitants de son âge ne sont pas légion. Portés par la dynamique de cette retraite, Adrien et d’autres jeunes créent une sangha Wake Up en Ardèche. La sangha parisienne sera créée en 2012. Aujourd’hui, une dizaine de sanghas Wake Up sont présentes sur tout le territoire français, auxquelles s’ajoutent des centaines dans le monde, du Mexique à l’Indonésie en passant par le Botswana.
Des dizaines de retraites Wake Up ont ainsi lieu dans le monde entier chaque année. En France, deux rendez-vous principaux sont à l’agenda. Chaque mois d’août, 400 jeunes âgés de 18 à 35 ans convergent vers le Hameau du Haut, près de Bergerac, pendant une semaine, pour une retraite internationale. Elle se tiendra du 11 au 18 août cette année. S’ajoute à cela une retraite dans les Cévennes en comité beaucoup plus réduit. Elle se déroule chaque fin de printemps depuis 2012, à l’initiative d’Adrien et de quelques-uns de ses amis.
Il est désormais courant que des familles composées de jeunes soient mises en place lors des retraites intergénérationnelles. Ce fut encore le cas lors de la dernière retraite francophone du Village des Pruniers, en avril dernier. « C’est pour moi l’occasion d’ouvrir mon cœur et d’être écouté sur des sujets auxquels les membres de ma famille de retraite sont également sensibles, partage Florian, originaire de Genève. Nous nous sentons compris car au final, nous vivons les mêmes problématiques de génération ! J’ai eu le bonheur de pouvoir entraîner mon écoute lors de partages de certains membres de la famille sur des sujets tels que le lien au père. Ces partages m’ont énormément nourri et j’y ai trouvé des clés d’apaisement à mes souffrances personnelles. Être accompagné de gens de mon âge lors d’une retraite m’apporte du soutien dans mon chemin de guérison.
Un lieu de paix dans le tumulte urbain
Thich Nhat Hanh a toujours milité pour que le bouddhisme et les enseignements du Bouddha soient vivants, qu’ils sortent des monastères et se démocratisent. Le mode de vie moderne étant majoritairement urbain, les sanghas représentent aujourd’hui un lieu où prolonger l’enseignement des Pruniers et pratiquer la pleine de conscience en plein cœur de la ville.
« Il ne s’agit pas de dire : "Si vous voulez être zen et faire de la méditation, partez de la ville !", schématise sœur Hai Nghiem. C’est la solution pour certains mais d’autres y trouvent un sens ou n’ont pas d’autre choix. La pratique doit être accessible absolument partout, c’est aussi cela la beauté de la ville, c’est une ressource humaine immense. » Une beauté humaine mais aussi physique qu’entrevoit désormais Dina, artiste dans l’âme. « Dès le début, j’ai ressenti une forte énergie méditative dans le groupe, à tel point que je me voyais bien méditer dans tous les spots de Paris. J’étais plus réceptive, cela m’ouvrait à la beauté de la ville. Les bruits étaient là mais ne me dérangeaient plus ! Il y a cette idée que l’on peut être en paix partout, en ville, à la campagne, dans le métro, n’importe où ! »
Certains arrivent ici par curiosité, sans jamais être allé au Village ni même avoir lu un livre de Thich Nhat Hanh, à l’instar de Dina. C’est une voisine de chambre rencontrée lors d’un stage de yoga qui lui parle du mouvement bouddhiste. « Je pense que c’était plus facile de commencer par Wake Up. C’est une version plus légère de la pratique méditative et de la pleine conscience. » Dina est tout de suite touchée par l’authenticité des échanges entre ces jeunes adultes. « Nous vivons des choses similaires (relations de couple, recherche de travail, reconversion professionnelle...). Dans les sanghas plus âgées, on parle plus d’enfants, de divorce, etc. C’est intéressant mais cela nous parle moins. Là, nous sommes sur la même longueur d’onde. » Un avis partagé par Thomas, qui fréquente lui aussi régulièrement la sangha de Paris, depuis deux ans. « J’y ai rencontré de nouveaux amis qui ont des réflexions, des parcours intéressants et des profils proches du mien. C’est assez inspirant ! (...) C’est un refuge pour mieux sentir notre corps et nos émotions et ensuite mieux rayonner à l’extérieur. Moi qui suis de nature speed, j’avoue que c’est un peu schizophrénique par moments. Ce sas de décompression a beaucoup de valeur. »
Une pause d’autant plus appréciable au milieu du tumulte parisien. « Dans ce contexte urbain, nos sens sont surstimulés et nous captons des messages qui ne sont pas forcément positifs, des odeurs désagréables, des sons hyper agressifs, des échanges superficiels qui manquent d’humanité, nous sommes matraqués par les publicités... confie Florence, l’une des coordinatrices de Wake Up Paris. C’est donc encore plus nécessaire de se couper de tout cela, ne serait-ce qu’une fois par semaine. C’est comme un recentrage, un bilan intérieur, un nettoyage. J’ai parfois besoin de déposer quelque chose qui me travaille et cela me permet de démarrer de façon plus légère la semaine. » Cette coupure fut essentielle dans le rétablissement de la jeune trentenaire. Il y a deux ans, cette ancienne acheteuse dans la mode était au bord du burnout. « Ce que j’apprécie chez Wake Up, c’est que nous y cultivons la joie. Nous pleurons aussi bien sûr, nous partageons nos tensions mais tout cela est équilibré par nos moments de joie. (…) J’y trouve aussi un soutien. Je me sens reliée à d’autres personnes qui sont sur un même chemin de développement personnel et je me sens moins seule.»
S’engager pour humaniser la ville
Cette guérison progressive produit ses fruits : des actions en faveur d’une société plus saine et compatissante, comme l’a souhaité Thich Nhat Hanh. Le mouvement en a fait son fer de lance, comme il le proclame dans ses statuts et sur son site internet (https://fr.wkup.org/) : « Conscient(e)s de la dégradation de l’environnement que produit la société actuelle, notre objectif est d’aider ce monde accablé d’intolérance, de discrimination, de désir, de haine et de désespoir, grâce à un mode de vie qui encourage la survie de la planète Terre. En pratiquant la pleine conscience, la concentration et l’introspection, nous cultivons la tolérance, la non-discrimination, l’entente et la compassion en nous-mêmes et dans le monde. »
Pour Adrien, « Wake Up, c’est un mélange entre le bouddhisme engagé et les 5 ou 14 entraînements à la pleine conscience.Le bouddhisme engagé, je l’entends de différentes façons. Il peut s’agir de monter des projets sociaux dans la société mais surtout, nous sommes tous des citoyens qui pratiquons au travail, dans les transports en commun, en famille. Nous essayons de pratiquer la parole aimante, l’écoute profonde, l’arrêt, la méditation, la marche. Pour moi, c’est cela qui a un vrai sens et qui démontre notre engagement en faveur de la société. »
La pratique est donc la base, une base qui lorsqu’elle rayonne réchauffe bien plus que le cœur du pratiquant. D’un lieu à l’autre et en fonction des envies du groupe et des individus qui le composent, les actions engagées à l’extérieur de la sangha diffèrent. Certains lancent des flash mobs et méditent en pleine ville ou dans le métro, d’autres improvisent des sessions musicales ou planifient des distributions de repas à des migrants. D’autres impulsent des projets pour la collectivité (voir encadré). Récemment, l’élection présidentielle a éprouvé la fibre citoyenne de beaucoup, qui souhaitaient s’engager sans pour autant alimenter leurs anxiétés quant à l’avenir. Dans ces moments-là, la Maison de l’Inspir constitue un autre refuge à quelques pas de Paris. « Nous avons partagé sur les élections, c’était apaisant, se remémore Florence. Les monastiques nous ont rappelé qu’elles se sentaient citoyennes, qu’elles votaient et que c’était cela aussi le bouddhisme engagé. » Ainsi tous les deux mois en moyenne, ces jeunes adultes se mettent au vert le temps d’une journée, dans ce monastère tenu par des nonnes du Village des Pruniers, sur les bords de la Marne, à Noisy-le-Grand. Ces journées s’articulent autour d’une problématique décidée à l’avance par eux-mêmes, une problématique susceptible de toucher un maximum de jeunes pratiquants (les relations de couple, la sexualité, l’engagement citoyen, l’écologie,...). Au programme : jeux, marche méditative, repas en pleine conscience, relaxation totale et enseignements de moines ou nonnes appartenant souvent à la même génération que les pratiquants.
Les monastiques en récoltent aussi les bienfaits. « C’est une source de nourriture et de joie vraiment essentielle pour moi, reconnaît sœur Hai Nghiem, qui vit à la Maison de l’Inspir. Cela donne du sens à mon engagement, je pense que j’aurais moins le goût d’être nonne sinon. Wake up, c’est ma famille, ma fratrie. Certains membres m’ont vraiment aidé à comprendre qui j’étais et ce que je voulais. »
Une famille qui accompagne, guérit, soutient chacun dans sa quête et dans ses projets. Au fil des mois et des années, ces pratiquants semblent s’épanouir au contact de jeunes de leur génération et être en passe de trouver leur voie, à la fois grâce et à cause du tumulte de la ville.
Wake up Hub : une expérience communautaire en pleine ville
Le projet Wake up Hub est né à partir d’un constat simple : de retour chez soi, difficile de continuer à pratiquer aussi assidûment qu’au Village des Pruniers. En novembre dernier, lors d’un Webinar destiné aux pratiquants de Wake Up, le frère Phap Dung appelle à la création d’un « nouveau modèle de centres de pratique au cœur des villes », des centres où les jeunes actifs pourraient vivre en communauté, pratiquer et travailler. Depuis, à Paris et ailleurs dans le monde (Berlin, Californie,...), la graine a été arrosée et le projet se concrétise doucement. « J’ai tout de suite aimé l’idée parce que j’ai ce problème. Je n’ai pas l’aspiration à devenir moine mais je veux pratiquer en ville et ce n’est pas facile », admet Tran, membre actif du groupe vietnamophone de Wake Up Paris. Une équipe d’une dizaine de jeunes s’est donc mobilisée pour élaborer un business plan. Des fonds doivent être levés et le projet encore peaufiné mais l’intention est solide. Il s’agirait d’un lieu pour se ressourcer et ouvert à tous, qui accueillerait des résidents permanents et des locataires de passage ayant la volonté de méditer ensemble et de partager des activités professionnelles mais aussi de loisirs liées à la pleine conscience : des repas (il y aurait un restaurant vegan), des cours de yoga, de qi gong ou encore des conférences.
Pour plus d’infos : www.facebook.com.wakeuphubparis
Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°3 (Été 2017)