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  • Photo du rédacteurSagesses Bouddhistes

ZANMAI*

Itinéraire d’un moine zen en cyclopèlerinage

Texte et photos ©Stanislas Wang-Genh


Le 3 mai 2022, Stanislas a débuté un voyage de plus de 35 000 km à vélo centré sur zazen avec pour destination finale le Japon, où il passera six mois dans un monastère zen afin de continuer sa formation de moine. Il passera par le nord-est des États-Unis, le Canada, la côte Ouest américaine, l’Amérique centrale, du Sud, l’Australie, l’Asie du Sud-Est, la Chine et la Corée du Sud… Première étape : le départ du monastère zen de Ryumonji, près de Strasbourg, en direction de Bagnolet (93) soit près de 450 km.


* Zanmai est un terme bouddhiste japonais qui signifie à la fois concentration de la méditation (zazen) et tranquillité de l'esprit


©Stanislas Wang-Genh

Le plus dur, c’est de partir

Il a fallu que cette ombre insoupçonnée de moi sur un vélo s’éloigne sur plusieurs kilomètres, avant de réaliser que le moment était arrivé.

Nous avions fixé le départ à 11 heures sous la porte du Dragon.

Après m’avoir remis un rakusu (kesa à 5 bandes) calligraphié d’un poème de Ryôkan pour l’occasion, mon père[1] est arrivé avec Kankyo[2] pour la cérémonie de bon vent.

Les résidents présents au monastère attendaient là depuis quelques minutes.

Si la Sangha (la communauté) nous en apprend beaucoup sur nous-même — et parfois de manière implacable, elle sait surtout être le feu réconfortant au milieu d’une nuit froide.

De tout notre cœur, nous avons chanté le Maka Hannya Haramitta Shingyô (le Soutra du Cœur). Puis, quelques mots de l’abbé dont la simplicité m’a particulièrement touché : « Dans les moments de doute comme dans les moments de difficultés, revenir au moment présent. »

Souvenir d’un mondo (moment de question/réponse avec le maître, devant l’assemblée). Un homme lui avait demandé si le zen était la chose la plus importante pour lui dans sa vie. Aussitôt il avait répondu : « Non. Le zen n’est pas la chose la plus importante dans la vie. Le moment présent est la chose la plus importante. »

Empli de cette chaleur fraternelle — cadeau inestimable, je suis parti.

Pendant plusieurs jours, j’ai longé le canal de la Marne au Rhin, pendant plusieurs jours j’ai pris conscience de la médiocrité avec laquelle je manie l’art du bivouac. Barda mal imbriqué dans les sacoches, bouteille de gaz inadaptée à mon réchaud, briquet vide, ficelle trop courte, couteau enrayé... Il a fallu quelques jours pour repenser la totalité dans son contexte.



Depuis la Lorraine jusqu’aux abords de la région parisienne, une route oscille d’un village désolé à l’autre. On y croise quelques spectres inextirpables d’un long, très long quotidien.

Et quand le baladin à bicyclette que je suis passe devant leur maison, je perçois parfois des yeux si ronds de curiosité que je m’arrête. Leur méfiance ne fait d’ombre qu’un instant. Elle se mue très vite en générosité, élixir de ma survie pour ce voyage.

C’est alors qu’avec une complaisance dévouée ils me proposent de l’eau, des œufs d’oie pondus le matin même, un double serré à travers la fenêtre d’un rez-de-chaussée, un morceau de pain, un reste de pâté de compagne, une boîte de fayots.

Je continue ma route : une tuilerie dans sa rouille, des kilomètres de champs de colza à l’odeur entêtante, gargotes aux volets fermés, parfois même cloués aux murs.

Ces lieux dégagent une forme de quiétude qui donne au temps toute sa saveur quintessentielle. Toute l’affaire est là, dans les affinités que je vais tisser avec lui.

Après Nancy, une zone industrielle aussi bruyante que photogénique. À chaque voiture qui passe, je suis déporté par le vent sur cette route dangereuse aux bordures vermoulues.

J’ai peur.

C’est la mise en place d’un rouage, l’instauration de rituels qui ont fait de cette première étape une expérience plutôt réussie.

Le matin, zazen (sur mon sac de couchage embobiné sur lui-même). Puis toujours sur un parterre encore humide : trois prosternations en direction du Ryumonji. Et dans cette concentration de zazen, rangement méthodique, imbrication logique.

Je chevauche le biclou qui n’a toujours pas de nom et dans cet aplomb matinal, je chante un soutra. La journée, je soliloque. Premiers signes d’une précieuse solitude.

Sept jours de route à raison de 70 km en moyenne par jour pour arriver à Bagnolet (93) chez mes amis Colombe et Benjamin et leurs deux charmantes filles Brume et Louve dont la dernière est ma filleule.

Cinq jours de bonheur chez eux. Louve me fait l’honneur de m’inviter dans sa classe (CM1) pour parler de mon voyage devant ses camarades qui m’accueillent avec des mines espiègles et bonnes.

Demain, je m’envolerai pour New York. Mon ami Dinaw Mengestu, romancier américain et professeur au Bard College, viendra me chercher à l’aéroport. Et à environ 2 heures de route au nord de Manhattan, dans la vallée de l’Hudson, il m’accueillera chez lui sur le campus, où il vit avec sa femme et leurs deux enfants.

To be continued…


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Un voyage à vélo centré sur zazen

La pratique et l’étude d’une voie spirituelle nous font faire — en principe — le constat qu’il n’existe pas de bonheur plus complet que celui de se tourner vers les autres, de les aider. Je me suis interrogé alors sur la meilleure façon qui était pour moi d’aider les autres. La réponse a été immédiate : montrer la posture de zazen. Car c’est humblement ce que je sais faire de mieux, en tout cas, avec le plus de confiance et de foi.

Zazen n’est ni réservé à une élite, ni lié à des croyances religieuses ou même mystiques. Je ne me définis d’ailleurs pas comme un « religieux ». Trop lourd de sens, ce mot suscite plus de méfiance que d’inspiration. Je me sens davantage mû par une voie universelle — c’est-à-dire que tout le monde peut pratiquer — qui passe par le corps et qui a été transmise de maîtres à disciples depuis près de 2 600 ans, sans aucune croyance dogmatique à l’appui.

C’est la raison précise qui me pousse — lors de ce voyage — à faire la démonstration de zazen à ceux qui veulent bien en faire l’expérience. J’ai l’intime conviction que si chacune et chacun pratiquait zazen ne serait-ce que quelques minutes par jour, le monde n’en serait que meilleur. Car zazen, c’est se relier à l’ordre des choses et cesser la lutte sous toutes ses formes. Zazen, c’est le retour à la condition normale du corps et de l’esprit. Mais c’est aussi pénétrer une réalité plus vaste et plus profonde qui est commune à tous, et s’extraire de celle qui se limite à notre conscience personnelle et discriminatoire.

[1] Maître Olivier Reigen Wang-Genh. [2] Kankyo est une nonne résidente à Ryumonji.



Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°22 (Été 2023)

 

©Anne-Emmanuelle Robicquet

Né en 1980 de parents moine et nonne dans la tradition zen Sôtô, Stanislas Wang-Genh a reçu le nom bouddhiste de Komyo par maître Deshimaru alors qu’il était bébé. Il a reçu l’ordination de moine en 2014 du maître Olivier Reigen Wang-Genh, abbé du temple zen Ryumonji. Reporter-réalisateur, il est diplômé d’une école de journalisme (CELSA) et d’une école de réalisation audiovisuelle (CLCF). www.zanmai.fr


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