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Les pratiques de réconciliation (Et Sûtra des 5 méthodes pour mettre fin à l’irritation et à la colère)

Dernière mise à jour : 11 mars

Par Noémie Lehouelleur


Soeur Dao Nghiem a été ordonnée novice par le vénérable maître Thich Nhat Hanh en 2003,
© VDP

Sœur Dao Nghiem a été ordonnée novice par le vénérable maître Thich Nhat Hanh en 2003, elle a reçu les préceptes de bhikshuni en 2006 et la transmission de la lampe du Dharma en 2011. Elle vit actuellement au Village des Pruniers au Hameau du Bas en Dordogne.


 

Sagesses Bouddhistes : En quoi les pratiques de réconciliation du Village des Pruniers touchent-elles la dimension ultime ?

Sœur Dao Nghiem : Au moment où nous parlons, il pleut et nous entendons le son de la pluie sur le toit de la yourte, et cela me fait penser à une calligraphie de notre maître, Thich Nhât Hahn. Il dit que « les larmes que j’ai versées hier sont devenues pluie ». Notre maître parle de l’inter-être de toute chose et souvent en souriant, il dit : « Être ou ne pas être, ce n’est pas la question. »

La pratique de la réconciliation, c’est toucher l’inter-être, voir que nous ne sommes pas séparés de l’autre et arriver à ouvrir notre cœur à l’autre, se reconnaître dans l’autre et voir que l’autre est aussi à l’intérieur de nous-mêmes.

Ici, au Village, toutes les pratiques nous aident dans notre quotidien à vivre la dimension historique de la plus belle façon possible. Nous sommes des êtres humains, nous avons un corps, des sensations, des émotions, des sentiments, des perceptions, des formations mentales et nous sommes conscients de plein de choses, mais il s’agit de savoir qu’au-delà de nous, il y a une autre dimension, beaucoup plus vaste, que nous appelons la dimension ultime. Les textes mentionnent une très belle image, celle de la vague et de l’océan. Une vague monte et descend, on peut dire qu’elle a de la colère, des souffrances, des complexes mais quand elle réalise qu’elle est l’eau, tout cela s’éteint. Bien sûr, nous pouvons être submergés par des émotions, la colère par exemple, mais avec la pleine conscience, nous le réalisons, revenons à la respiration et apaisons cette émotion. Ensuite, un peu plus tard, une fois que l’émotion est calmée, nous regardons plus profondément dans notre colère pour voir ce qui a été touché en nous. Nous allons ensuite nous rendre compte de ce qu’il s’est passé pour nous et voir aussi que cette colère a peut-être été transmise par des ancêtres, parents, grands-parents.

La colère, ce n’est pas simplement notre colère. Elle est connectée à d’autres conditions qui ont fait qu’elle s’est manifestée. Dans la Voie du Milieu, dans l’enseignement du Bouddha, il est dit : « ceci est parce que cela est », « ceci apparaît parce que cela est apparu », « ceci disparaît parce que cela disparaît ». Ce sont des mots simples mais très profonds. Avec la pleine conscience de la colère, nous nous arrêtons, nous respirons. Avec la concentration et la vision profonde, nous pénétrons dans notre colère et comprenons d’où elle vient. Nos ancêtres jouent également un rôle et c’est pour cela que nous pratiquons les touchers de la terre au Village. Nous essayons de nous connecter avec nos ancêtres génétiques et spirituels mais aussi avec l’énergie de la Terre Mère.





Les touchers de la terre sont aussi là pour régler des conflits ?

Oui. Par exemple dans mon quotidien ici, si je suis fâchée avec une sœur, j’essaie de ne pas ruminer et manger ma colère, mais de l’embrasser et d’envoyer des pensées d’amour à cette sœur. Je me vois en elle. J’essaie de voir sa lignée d’ancêtres à l’intérieur d’elle. Je vois ma propre souffrance et je vois la souffrance de ma sœur. Le sûtra sur les cinq façons de mettre fin à la colère (voir encadré ci-dessous) m’a beaucoup aidée.


Quel est le principe des touchers de la terre ?

Il y a des touchers de la terre où nous visualisons les ancêtres génétiques en nous. Nous voyons toutes leurs belles qualités et nous voyons aussi les qualités qui nous ont été transmises et qui nous font souffrir. Nous les abandonnons, nous lâchons prise et nous les redonnons à la terre pour qu’elle les transforme. C’est pareil pour nos ancêtres spirituels et pour les ancêtres de notre pays. Cela nous ouvre à l’inter-être.

Très souvent, de petites ou grandes blessures ont été réprimées par l’enfant intérieur, créant des blocages en nous. Avec les touchers de la Terre, nous touchons à d’autres dimensions de notre être, nous ne nous limitons plus et allons au-delà de la pensée dualiste très répandue en Occident, qui a formaté notre esprit. Cela va au-delà des mots. Il n’y a plus la séparation moi et les autres, la terre et moi. Nous faisons partie d’un tout.

Ce qui nous amène à la notion de vacuité, qui diffère du néant. Notre maître prend souvent l’exemple d’une fleur. On peut y reconnaître le soleil, la pluie, la terre, le jardinier... De même, ici, nous mangeons en silence pour contempler la nourriture, et toucher l’inter-être, remonter toute la lignée, voir d’où elle vient, tout reconnaître.


Quand on vit en communauté, comment gérer les conflits qui émergent ?

Je me dis que chaque jour est un nouveau jour. J’essaie donc de me voir chaque jour avec un nouveau regard et de voir la personne en face de moi aussi avec un nouveau regard. C’est un nouveau départ, c’est un nouveau jour. Il y a bien sûr des formations mentales auxquelles l’esprit s’accroche, mais j’essaie d’aller au-delà. J’essaie de reconnaître ma propre souffrance chez l’autre et de générer de la compassion pour cette personne comme pour moi.

Lorsque j’ai une difficulté avec quelqu’un, c’est pesant. La réconciliation implique beaucoup de patience. Mais elle n’a pas à voir qu’avec la colère. Cela a trait à la séparation d’avec l’autre.

Il s’agit au contraire de dépasser cela, de se rencontrer, d’écouter profondément, de pratiquer la parole compatissante et non violente mais aussi de développer une capacité à s’écouter soi-même.


© Dicky Leung - VDP
© Dicky Leung - VDP

Avec la pleine conscience, nous apprenons à ne pas laisser l’irritation évoluer et devenir une habitude. Nous retournons à notre respiration et tentons de tirer le fil et de discerner ce qui a réellement été irrité en nous.

J’ai parfois discerné de la tristesse dans ma colère, la tristesse de mon père, décédé lorsque j’avais 19 ans. Grâce à la marche méditative, en sentant qu’il marchait dans mes pieds, j’ai rouvert une communication avec lui et j’ai compris certaines choses qui se passaient en moi, en particulier certaines situations de conflit que je traversais dans la vie communautaire. J’ai compris que c’était en relation avec mon père. Cela a libéré quelque chose en moi.


Nous pensons souvent que l’autre pense comme nous, mais non. Il en va de même pour nos proches, que nous arrêtons parfois de rencontrer et de découvrir. Mais chaque jour est nouveau, en fonction de nouvelles expériences, nous évoluons. Il faut donc poursuivre la rencontre avec l’autre au quotidien.

Je me souviens de mes premières années de monastique : dès que j’avais un conflit, je voulais que cela se résolve tout de suite. Cela avait un effet contraire. Chacun a besoin d’espace. Souvent, lorsque l’on fait un travail de réconciliation à l’intérieur de soi-même, cela a des effets extérieurs.


Et lorsque l’une des deux personnes ne pratique pas ?

Il ne faut pas attendre de l’autre. C’est nous qui devons faire ce chemin. « Paix en soi-même, paix dans le monde. » Quelque chose se passera parce que notre énergie va changer. C’est un chemin de réconciliation avec la personne à l’intérieur de nous-mêmes. Là encore, c’est une pratique de non-soi. La pratique de la pleine conscience dans les petites choses du quotidien a un impact. Est-ce que je fais des pas en pleine conscience, comment j’ouvre une porte, avec violence ?

Nous pouvons aussi utiliser le Metta Sutta, le sûtra de l’amour et de la méditation, c’est-à-dire envoyer des pensées d’amour à la personne. Nous lui souhaitons d’être en paix, heureuse, en sécurité, libre de toute affliction, etc. Nous pouvons souhaiter à l’autre de se libérer de la souffrance qui l’habite, sans le dire. Notre énergie vis-à-vis de cette personne va changer et même si cette personne ne pratique pas, elle va recevoir cette énergie différente.

L’impermanence aide aussi dans ce chemin de la réconciliation. L’autre est en moi donc je lui envoie des pensées d’amour. Tout change, tout se transforme. Nous avons un corps et quand les conditions ne seront plus suffisantes, nous allons mourir. C’est la réalité historique. Les personnes qui nous entourent vont aussi mourir. Nous allons souffrir. Ainsi, la présence de la personne à nos côté est très précieuse. Cela peut aider à lâcher prise quand un conflit survient.

Dans la vie en communauté, nous allons apprendre beaucoup sur nous-mêmes grâce aux conflits. Qu’est-ce qui a été touché en moi par ce petit conflit ? Nous tirons le fil. Et parfois, nous ne nous attendons pas du tout à ce que cela va dévoiler. Ce sont dans ces difficultés, dans ces souffrances que nous allons apprendre le plus.


Est-ce que le noble silence est un moment privilégié pour laisser les choses décanter ?

Complètement ! J’encadre un petit groupe de pratiquants pendant cette retraite d’hiver et nous avons beaucoup partagé sur ce que cela apporte. Souvent, une situation survient et notre réflexe est de réagir, de nous perdre dans les mots, les paroles, etc. La période de noble silence nous entraîne à la non-réactivité. Cela m’a beaucoup aidée à mes débuts. En laissant les choses décanter, mon regard changeait sur la situation. Le silence apaise l’esprit. Le noble silence permet d’établir un silence intérieur et de découvrir ce qui tourne en boucle en nous, les pensées récurrentes.

Il y a aussi des retraites de silence, parfois sur plusieurs jours. C’est quelque chose qui m’a beaucoup nourrie et j’encourage tout un chacun à le faire. Au village, nous respectons aussi le silence pendant les repas, pendant la vaisselle ou encore dans les salles de bain. Là, le silence permet par exemple de générer de la gratitude en se brossant les dents, pour l’eau courante, et puis en nous regardant dans le miroir, nous pouvons voir tous nos ancêtres dans notre visage. En prenant une douche, nous pouvons aussi reconnaître tous nos ancêtres dans notre corps et ainsi pratiquer le non-soi au lieu de discuter avec la personne qui est à côté. Il s’agit d’être en contact profond avec ce que nous sommes en train de faire.


Ce silence permet-il de toucher plus facilement la dimension ultime ? 

Oui, tout à fait. L’esprit qui s’apaise entre plus facilement en contact avec les merveilles de la nature qui nous entoure, les merveilles chez la personne qui est en face de nous, cela permet de voir profondément à l’intérieur, réaliser que nous sommes agités par exemple. Quand notre maître était ici, nous pouvions vraiment nous connecter avec son silence intérieur, une présence très forte.

Nous parlons ici du noble silence, le silence qui guérit, surtout dans cette société où nous sommes constamment bombardés de bruits. Nous sommes déconnectés de nous-mêmes, cela nous paralyse, nous ferme de l’intérieur. Dans le silence, nous avons la possibilité de nous reconnecter avec nous-mêmes. Ce n’est pas un silence qui nous sépare d’autrui. C’est pour cette raison que dans notre communauté, nous avons aussi le partage et tout cela s’équilibre ainsi avec des moments de joie pour cultiver l’art de vivre ensemble. Dans le silence, la connexion avec l’autre peut être très profonde, au-delà des mots. C’est une pratique très vaste. Selon le moment que notre traversons dans notre vie, certaines pratiques vont être plus nourrissantes que d’autres. À nous de les découvrir.


 

Sûtra des 5 méthodes pour mettre fin à l’irritation et à la colère


Notre esprit est entraîné par toutes les générations ancestrales à voir ce qui ne va pas, ce qui ne va pas chez soi, ce qui ne va pas chez l’autre. Il s’agit de s’entraîner à voir ce qui fonctionne, à voir le beau.

La première étape de cette pratique du renouveau consiste à « arroser les fleurs », à reconnaître les talents, les belles actions, les belles paroles chez l’autre. Au début, cette procédure peut sembler hypocrite ou forcée : c’est parce que nous n’avons plus l’habitude d’ouvrir notre cœur. C’est aussi lié à la gratitude. De même, quand je reçois des fleurs, ce n’est pas pour renforcer mon ego, mais pour remercier tout ce qui m’a permis d’être, voir toutes ces qualités en moi et nous faisons la même chose pour l’autre.

Lors de la deuxième étape, nous exprimons nos regrets quand nous réalisons que l’une de nos actions a pu blesser quelqu’un. Parfois, nous pensons à tort avoir blessé quelqu’un... et nous en revenons aux fausses perceptions ! C’est probablement parce que cela a créé une souffrance en nous-mêmes et alors, le regret est en nous-mêmes.

Ensuite, nous exprimons notre souffrance, générée par une situation, sans dire : « Tu m’as dit des mots méchants » ou « Tu as fait cela ». Nous parlons de notre ressenti. « Je me suis senti agressé, pas respecté »... C’est difficile et c’est pour cela que nous commençons par arroser les fleurs. Nous prenons le temps de nous asseoir pour ne pas laisser la situation se détériorer. Nous pouvons aussi faire cette pratique pour nous-mêmes et nos ancêtres à l’intérieur de nous-mêmes.

La quatrième étape, c’est demander le soutien à la communauté. Nous voyons que quelque chose nous fait souffrir et nous l’exprimons avec des mots. Cela libère ce qui est enfoui en nous. Dans l’un de nos centres, j’ai eu une difficulté avec l’une de mes sœurs et nous n’avancions pas. Il y avait comme un mur et cela a généré une énergie de tension qui affectait toute la communauté. Un jour, après une cérémonie, j’ai demandé de l’aide à toute la communauté pour être accompagnée dans mon chemin de réconciliation. De l’exprimer, cela a abattu un obstacle que j’avais moi-même créé. Nous abandonnons une fierté et ouvrons notre cœur.

La cinquième méthode, c’est quand nous éprouvons de la jalousie contre une personne sage. La question, c’est : est-ce que j’alimente ma colère ou est-ce que j’amène la compréhension ?


Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°5 (Hiver 2018)


 

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