Par Ayya Khema
Extrait de Rencontre avec des femmes remarquables, par Martine Batchelor, aux Éditions Sully
Pratiquer la méditation, c’est entraîner l’esprit, pour l’aider à développer les aptitudes dont il a besoin pour résoudre ses problèmes. Tout comme il existe de nombreux remèdes différents pour les maladies du corps, il existe de nombreux types de méditation différents pour les différents travers de l’esprit. Tous visent à résoudre son problème le plus fondamental : la souffrance et l’insatisfaction que l’esprit fait naître en lui à travers ses propres pensées et actions. En effet, l’esprit à la recherche du bonheur arrive toujours à s’accabler avec de la douleur mentale. Que d’efforts malavisés ! La méditation aide à dévoiler les raisons pour lesquelles l’esprit fait cela et en les dévoilant, elle nous aide à les soigner, nous ouvrant ainsi à la possibilité d’un bonheur stable et authentique. Plus ce bonheur stable prend place, plus nous avons à partager avec les autres, ce qui fait de la méditation un acte de gentillesse tant pour nous-même que pour les autres. Une bonne nouvelle, non ?
Nous vous proposons dans les pages qui suivent la richesse des approches méditatives du calme mental émanant des traditions theravada, tibétaine et zen.
Ne pensez plus ! par Maechee Pathowan
Le B.A.-BA de la méditation, par Aoyama Sensei
Guide pour les méditants, par Ayya Khema
Guide pour les débutants
Pour apprendre la concentration, les débutants peuvent s’aider en prêtant attention à leur respiration. Si on aime les chiffres, on peut compter. Si on aime les mots, on peut utiliser des mots comme « amour » ou « paix ». Si on est plutôt visuel, on peut utiliser l’image d’une vague de l’océan. Visualiser la respiration comme une vague qui monte et se retire, ou inspirer sur « amour » et expirer sur « paix », tout cela peut aider à se concentrer.
Quand on est un peu plus concentré, on peut suivre le début, le milieu et la fin de chaque respiration, ou suivre les sensations qui l’accompagnent, notamment les nombreuses sensations entre l’abdomen et les narines.
En réalisant le caractère fluctuant de la respiration et des pensées, on touche à l’idée d’impermanence. Si on identifie les pensées qui surgissent, on aura une idée de son fonctionnement mental. On utilise un mot évocateur comme : « futur, passé, projet, souvenir, volonté, rejet, résistance, ennui, désintérêt, non-sens, délire, rêve ». Peu importe le premier mot qui vient à l’esprit. Finalement un schéma se dessine, par exemple que l’on fait sans arrêt des projets. Quand on prend ainsi conscience de ses schémas de pensée, on peut voir à quel point ils sont inopérants et on peut donc les abandonner.
L’observateur n’est pas le penseur
L’autre grand intérêt de cette identification, c’est de constater que l’observateur n’est pas le penseur. On peut utiliser cela dans le quotidien, en remplaçant la diversité par l’unité, comme on remplace les pensées par l’attention à la respiration dans la méditation. Le Bouddha appelait cela « substituer les quatre efforts suprêmes », c’est-à-dire ne pas garder de pensées malsaines, mais les remplacer par leurs contraires. C’est l’une des principales pratiques de purification. Pour pouvoir pratiquer cela, on doit connaître le contenu de son esprit.
L’identification est utile pour les débutants. Pour quelqu’un qui est concentré et qui n’a plus que des pensées ponctuelles, cela ne servirait à rien. Mais pour les débutants, c’est extrêmement précieux. Cela permet aussi de voir qu’il n’y a nul besoin de croire aux pensées ; ce ne sont que des pensées. Pas besoin d’agir en fonction d’elles. Si on comprend cela, on arrête de discuter, ce qui constitue un agréable changement.
Vie quotidienne
Dans la vie quotidienne, la vigilance est très importante. La vigilance dans l’enseignement bouddhique est associée à la clairvoyance. Elles vont de pair. La clairvoyance signifie que l’on interroge ses motivations et ses buts, que l’on s’assure des moyens appropriés. On cultive aussi la purification du cœur et de l’esprit, en prenant soin de chasser les pensées ou les émotions négatives, en privilégiant sans cesse les pensées et les émotions positives. Cette substitution des opposés et la pratique de la vigilance sont indéniablement purificatrices.
Et puis il y a la méditation quotidienne. C’est aussi vital que de manger chaque jour. Ce peut être bénéfique de rejoindre ou de créer un groupe pour ne pas se sentir trop seul. Si vous vous intéressez aux enseignements bouddhistes du canon pali, je vous recommande les livres de la Société de publications bouddhiques de Kandy, au Sri Lanka. Le Bouddha a enseigné Pariyatti pati patti : pariyatti signifie « étude », pati patti « pratique » et ces deux éléments sont imbriqués.
Compréhension de l’expérience
On doit comprendre ses expériences à tous les niveaux. Sinon, à quoi nous servent-elles ? Une femme de soixante ans m’a raconté qu’elle avait fait une expérience trente ans auparavant, dont elle se souvenait encore, mais qu’elle ne comprenait toujours pas. Elle était spontanément entrée dans le cinquième jhana (absorption méditative).
Après en avoir discuté, elle put enfin lui trouver un sens, avoir une vision éclairée et s’engager dans la méditation. Si elle avait réfléchi à la lumière des enseignements bouddhiques, elle aurait compris plus tôt. Les expériences que nous faisons sont dans notre cœur, c’est notre ressenti. Leur compréhension est dans notre esprit. Les deux s’allient pour faire un tout.
Les jhana
Ma principale pratique méditative est la pratique des jhana. C’est pratiquer la concentration (samatha). Les jhana les plus élevés (les cinquième, sixième et septième) sont appelés les vipassana-jhana. Ils apportent une vision intérieure immédiate de la vacuité de l’être, ce qui permet d’abandonner l’illusion d’un soi existant par lui-même. Le Bouddha a décrit en détail comment réaliser cet abandon dans le « recueil du milieu » (Majjhima Nikaya).
Les trois jhana les plus élevés sont appelés « espace infini », « conscience infinie » et « base de la vacuité ». Si on en fait vraiment l’expérience, on sait que l’on n’est pas ici, que l’on a créé le « je » dans son esprit. Alors on peut véritablement essayer d’abandonner cette illusion. Le non-attachement et le discernement sont les chemins préconisés et empruntés par le Bouddha.
En tout, il y a huit jhana ; on pourrait traduire le premier par « ravissement et félicité» ; cela n’en dit pas grand-chose, mais c’est la plus exquise des sensations. Les quatre premiers se nomment rupa-jhana, les « absorptions de la matière subtile». Les quatre suivants sont les arupa-jhana, qui sont les absorptions « sans forme ». Les quatre premiers apportent l’expérience de la vision intérieure, si on les utilise correctement et si on est bien guidé. On doit abandonner le soi et l’attachement au soi à des niveaux différents pour réaliser la concentration, qui apporte alors la clairvoyance.
Les cinquième, sixième et septième jhana apportent une vision intérieure définitive de cet ego, qui facilite son abandon. À la fin de la pratique avec les jhana, j’enseigne et je pratique le fait de voir si l’esprit veut réellement cesser de s’occuper de lui-même et s’il peut laisser l’inconditionné s’exprimer. Il y a plusieurs manières d’y parvenir, c’est plus aisé qu’il n’y paraît.
J’enseigne généralement les jhana aux pratiquants avancés, mais certains débutants peuvent en tirer profit. Mon professeur disait que cela dépendait de nos vies antérieures. Si nous avons pratiqué dans nos vies passées, c’est possible, sinon on peut commencer maintenant.
« Le monde est une scène de théâtre »
L’idée que les jhana sont dangereux parce que susceptibles de rendre dépendant d’expériences agréables est erronée. D’abord, si nous nous saisissons de quelque chose, nous ne l’avons pas réalisé ; ensuite, la vision intérieure véritable vient avec la quiétude. On ne peut pas avoir un peu de l’une et beaucoup de l’autre. Un petit peu de calme apporte seulement une vision pénétrante limitée.
Ce qui est intéressant, c’est que toute personne qui médite peut pratiquer les jhana. La méditation devient alors quelque chose de substantiel et de satisfaisant. On réalise qu’il y a davantage de choses dans le monde que ce que nous y voyons et cela fait toute la différence pour notre vie intérieure.
Le Bouddha a continué à méditer après son éveil. Sur son lit de mort, il atteignit le huitième jhana, redescendit au premier et mourut entre le quatrième et le cinquième. Le vénérable Anuruddha, qui avait des pouvoirs psychiques, le raconte dans le Mahaparinibbana Sutta, qui relate la mort du Bouddha.
Le Bouddha dit que l’on peut faire l’expérience de l’inconditionné, après avoir réalisé n’importe quel jhana. Mais il est peu probable que cela advienne après la réalisation du premier jhana parce qu’il n’offre pas assez de vision intérieure. Quand on a atteint les jhana, expérimenté la quiétude complète et un état de conscience modifié, c’est le moment de laisser l’inconditionné émerger.
Y parvenir ou pas dépend entièrement de notre capacité à lâcher prise et à renoncer. Cette indication de tourner son esprit vers l’inconditionné concerne celui qui a maîtrisé les jhana. Maîtriser les jhana signifie que l’on peut pénétrer à volonté un jhana, y demeurer autant qu’on le souhaite, repasser ensuite par chaque étape mais aussi sauter d’un jhana à l’autre. On a toujours pensé que c’était très difficile. Il est néanmoins très étonnant de constater que de nombreuses personnes, avec de la concentration et une certaine habileté, peuvent pratiquer les jhana.
Grâce aux jhana, on peut percevoir le monde différemment. Notre méditation est différente et notre regard sur le monde change radicalement, même sans connaître l’expérience de l’éveil. Comme le dit Shakespeare : « Le monde est une scène de théâtre, dont les hommes et les femmes sont les acteurs. »
Pourtant, parce que nous sommes vivants, nous continuons à jouer la pièce. Celui qui voit le monde comme une scène de théâtre, celui qui a compris l’enseignement du Bouddha enseignera et touchera le monde avec compassion. Que pourrait-on faire d’autre ?
Nonne bouddhiste, Ayya Khema vivait en Allemagne et a enseigné partout dans le monde. Figure bouddhiste importante en Europe, cette femme simple, mère de famille, était d’une franchise réconfortante. Son attitude parfois sévère était adoucie par une chaleur et une gentillesse
Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°4 (Automne 2017)