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SB

Éduquer le cœur, la tête et les mains

Dernière mise à jour : 7 oct.

Une rencontre avec Satish Kumar

Propos traduits par Karine Reignier-Guerre



Sagesses Bouddhistes : Vous dirigez le magazine Resurgence & Ecologist qui est le fer de lance de la réflexion écologique depuis plusieurs décennies et qui est reconnu partout dans le monde. Pourquoi avoir créé The Small School à Hartland ?

Satish Kumar : La rédaction et la publication de Resurgence est une activité intellectuelle que j’ai vite souhaité compléter par une série d’actions concrètes – notamment par la création de cette école. Il me paraissait essentiel de lutter contre le matérialisme et le consumérisme auxquels sont exposés les enfants de nos sociétés occidentales. Ce combat passe, d’après moi, par une meilleure connaissance de la nature et de sa valeur intrinsèque, et par la maîtrise d’une bonne relation entre l’homme et son environnement. Il est également crucial d’apprendre, dès le plus jeune âge, à prendre soin de la faune et de la flore qui nous entourent. Voilà pourquoi j’ai toujours considéré que l’école et la revue procédaient de la même démarche, et se complétaient l’une l’autre.


Pourquoi y apprend-on d’abord à faire du pain et faire pousser des légumes avant d’apprendre des notions plus abstraites et réflexives comme Shakespeare et Darwin ? Pourquoi ces exercices en premier ?

La plupart des écoles délivrent des connaissances académiques à leurs élèves. Bien que très utiles, ces informations ne suffisent pas à leur apprendre la vie. Nous devons tous manger pour vivre, mais combien d’entre nous ont appris à faire pousser les aliments essentiels à leur survie, et à les cuisiner correctement ? Combien d’entre nous ont appris à faire quelque chose de leurs dix doigts ? Aujourd’hui, à l’école, nos enfants apprennent principalement des notions abstraites et théoriques. À Hartland, les élèves découvraient qu’il ne suffit pas de se remplir la tête de connaissances : il est tout aussi important d’apprendre à travailler avec ses mains et avec son cœur. Ces trois piliers de notre pédagogie, la tête, le cœur et les mains, constituaient les fondements de l’éducation holistique que nous dispensions aux élèves de notre école. Le savoir intellectuel y figurait au même niveau que les compétences pratiques. Et nous passions du temps à leur faire comprendre l’importance de la compassion, de la bienveillance et de l’altruisme : être gentil, rendre service, avoir de bonnes relations avec autrui constituent autant de moyens d’écouter notre cœur et de développer ses qualités propres.


En quels autres aspects l’apprentissage à Hartland était-il différent de celui des écoles classiques ? Et en quoi était-il similaire ?

Ce qui distinguait The Small School des autres écoles, c’est que nous n’envisagions pas les enfants comme des vases vides qu’il faut à tout prix remplir de connaissances. Le mot « éducation » provient du latin ducere qui signifie mener ou guider ; ajouté au préfixe « e » (abrégé de « ex »), il signifie mener vers l’extérieur, faire jaillir ce qui est déjà présent. Aussi avions-nous à cœur d’identifier le talent ou les compétences propres à chaque enfant, afin de l’aider à les exprimer du mieux possible. Notre enseignement ne cherchait pas à préparer les enfants pour le marché du travail, mais à les préparer à la vie.


The Small School à Hartland est destinée aux enfants de 11 à 16 ans et accueille vingt étudiants seulement. C’est une petite école. Est-ce un choix au départ ? 

Nous avons accueilli jusqu’à quarante élèves, mais la plupart du temps, c’est vrai, nos effectifs oscillaient entre vingt et trente élèves. Ce petit nombre correspondait à un souhait de notre part : il était important pour nous que l’école ressemble à une maison, chaleureuse et accueillante ; qu’elle constitue une petite communauté plutôt qu’une institution. Et parce que nous avons toujours pensé que « Small is Beautiful », nous l’avons baptisée The Small School.


Vous avez fondé le Schumacher College dont vous avez été le directeur des programmes jusqu’en 2010. Plusieurs milliers d’anciens élèves viennent y suivre chaque année des formations courtes, des symposiums et des certifications de niveau master. Qu’apprennent et que développent les adultes qui fréquentent le Schumacher College ? Quelle est la continuité avec la Small School de Hartland ?

Oui, il y a une continuité entre The Small School et le Schumacher College. Au College aussi, nous nous efforçons d’instaurer une ambiance chaleureuse et conviviale. Développer et entretenir une véritable communauté éducative est très important pour nous. Tous nos étudiants prennent part à la préparation des repas, au ménage, à la vaisselle et à l’entretien du potager. L’apprentissage par la pratique se situe au cœur de la pédagogie pratiquée au College. Dans chaque formation, nous nous efforçons de faire la synthèse entre la connaissance et l’expérience.

Pour nous, l’étude des différents courants fondateurs de l’écologie mondiale est fondamentale. Nous éveillons nos étudiants et nos stagiaires à la connaissance de la théorie Gaïa, qui considère la Terre comme un organisme vivant, et non comme un amas de roches inertes. L’écologie profonde (deep ecology) et l’écologie spirituelle font partie intégrante du cursus. Nous proposons de multiples formations, diplômantes ou non, d’une durée de deux semaines à un an, centrées sur la science holistique, l’économie verte, l’économie bouddhique, la pensée écologiste, la permaculture, l’agroforesterie, et bien d’autres sujets encore. Je vous invite à consulter le site du Schumacher College pour en savoir plus.


Comment travailler pour la paix dans le monde et pour l’écologie, comment défendre un meilleur environnement si on ne pratique pas soi-même une forme d’écologie intérieure ? Comment définiriez-vous l’écologie intérieure ?

Au Schumacher College, nous pensons que le monde intérieur et le monde extérieur sont les deux facettes d’une même pièce. Elles sont inséparables. Pour cette raison, nous devons être le changement que nous souhaitons voir advenir dans le monde. Chacun d’entre nous doit veiller à nourrir sa paix intérieure et à développer son écologie intérieure. Nous ne parviendrons pas à prôner l’écologie dans le monde si nous ne sommes pas écologistes nous-mêmes. Une économie durable et protectrice de l’environnement ne devrait pas être fondée sur la peur, mais sur l’amour de la vie, des hommes et de la nature. La protection de l’environnement devrait être motivée par la compassion envers tous les êtres vivants. L’amour et la compassion nous guident vers le point de convergence entre l’écologie intérieure et l’écologie extérieure.


Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°8 (Automne 2018)


 
Satish Kumar ©Bill Ellzey


Né en Inde en 1936, Satish Kumar s’installe en Angleterre au début des années 1970. Ancien moine jaïn, militant écologiste et éditeur, il a mené de nombreux projets éducatifs basés sur un développement spirituel et environnemental. Il a eu la gentillesse de répondre à nos questions sur cette transmission envers les enfants et les plus jeunes.



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