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SIX PARAMITAS

  • Photo du rédacteur: Sagesses Bouddhistes
    Sagesses Bouddhistes
  • 30 juil. 2024
  • 7 min de lecture

Six pratiques de la vie quotidienne

 


Le mot paramita est en général traduit par vertu ou perfection, avec l’idée de transcendance car elle permet de dépasser les qualités ordinaires que peut développer un être humain sur le plan moral. Mais la traduction littérale de paramita est «  arriver à l’autre rive » ou « passer sur l’autre rive ».

Cette métaphore est centrale dans le bouddhisme traditionnel car elle éclaire d’une façon simple toute la démarche d’un pratiquant : nous sommes sur cette rive du samsara, des six mondes de transmigration et de souffrance, et notre pratique des vertus bouddhistes va nous permettre de traverser la rivière afin d’atteindre l’autre rive, celle  de la libération ou du nirvana.

Ainsi une histoire très ancienne raconte qu’un homme en voyage, après avoir vécu des aventures douloureuses et effrayantes, arrive au bord d’une grande et large rivière couverte de brume. Durant un très court instant le brouillard se lève et il aperçoit la rive d’en face qui lui semble paisible, pleine d’arbres couverts de fruits et d’oiseaux colorés. Il sait à quel point la rive où il se trouve est dangereuse et peuplée d’animaux sauvages et agressifs. Il n’aspire plus qu’à une chose : traverser cette rivière et aller sur la rive d’en face. Il se met à la recherche d’un pont, d’une barque ou d’un tronc d’arbre mais il n’en trouve pas. Il décide alors de se construire un radeau et rassemble quelques branches qu’il attache avec des lianes. Il s’allonge sur le frêle esquif et commence à ramer avec ses mains et ses pieds. La traversée s’avère longue et périlleuse car cette rivière étrange est traversée par quatre sortes de courants puissants : le courant des désirs, celui des attachements, celui des opinions erronées et enfin le plus dangereux, celui de l’ignorance… Ainsi le pauvre homme, malgré tous les efforts qu’il déploie, se trouve irrémédiablement ramené sur la rive de départ.

Même si nous ne devons pas prendre cette histoire à la lettre, nous pouvons tous constater que dans notre propre pratique de la voie du Bouddha, ces courants ou ces énergies sont bien réels et nous entraînent souvent très loin de nos aspirations en nous ramenant de façon décourageante à notre point de départ.


Les paramitas sont avant tout des pratiques.

Les paramitas sont au nombre de six dans les traditions mahayanistes : dana le don, sila l’éthique, ksanti la patience, viriyal’énergie, dhyana la concentration et prajna la connaissance ou la sagesse.

C’est prajna, la connaissance issue directement de l’expérience de la non-dualité et de la vacuité intrinsèque des phénomènes, des êtres et du soi, qui imprègne les cinq autres paramitas et qui permet d’en faire des « vertus transcendantes ».

Une histoire rapportée dans le Mahaprajnaparamita-sastra illustre particulièrement bien ce qui différencie le fait de donner tel qu’on l’entend de façon ordinaire et la paramita du don, le dana.

« Ainsi, Sariputra, grand disciple du Bouddha, qui pratiquait la voie du bodhisattva depuis très longtemps, voulait “traverser la rivière du don” (pratiquer la dana paramita). Un mendiant vint vers lui et dit : “Donne-moi ton œil !” Surpris, Sariputra lui répondit : “Mon œil ne te servira à rien ! Demande-moi de te donner mon corps ou mes biens et je le fais aussitôt !” Mais le mendiant insiste : “Je n’ai pas besoin de ton corps ou de tes pauvres biens, je veux seulement ton œil. Si tu pratiques la dana paramita alors tu me donnes ton œil.” Totalement décontenancé, Sariputra arrache un de ses yeux et le donne au mendiant. Celui-ci le prend, le renifle et après avoir craché dessus avec dégoût, il le jette par terre et l’écrase avec son pied !

Sariputra observe cette scène improbable et se dit à lui-même : “Des personnages aussi vicieux sont difficiles à sauver. Mon œil ne lui était d’aucune utilité mais il l’a exigé, et lorsqu’il l’a obtenu il l’a jeté et foulé du pied… Quoi de plus vicieux ? Il est impossible de sauver de tels êtres !” Et Sariputra décide alors de quitter la voie des bodhisattvas et de retourner vers une voie de libération pour soi-même. C’est ce que le sutra appelle : “commencer à traverser la rivière mais faire demi-tour en plein milieu et ne pas atteindre l’autre rive” ».

Cette histoire choquante illustre de façon caricaturale des sentiments que nous pouvons tous éprouver lorsque nous donnons : nous voulons que ça serve à quelque chose, que ce soit utile, que ce soit apprécié par celui qui reçoit, que cela suscite de la reconnaissance, des remerciements ou des louanges. Mieux encore, nous attendons un reçu fiscal ou, d’une façon ou d’une autre, un cadeau en retour ! Cela nous semble normal et légitime.

Pourtant comment nous comportons-nous avec tout ce que nous recevons du matin au soir ? L’eau, la lumière, la nourriture, le chant des oiseaux, l’amour et les sourires de nos proches, les paroles aimables qui nous sont adressées, la chaleur du soleil ou l’air que nous respirons à chaque instant ? Nous le considérons comme un dû, nous le prenons, le consommons et le jetons, nous gaspillons, la plupart du temps sans aucune conscience que tout cela nous est offert gratuitement sans que rien ni personne n’attende quoi que ce soit en retour.

Et pourtant ! Toutes ces multiples expressions du don sont la dana paramita en action, cette énergie omniprésente qui structure l’univers et qui anime notre existence.

Ainsi, lorsque nous recevons à manger dans un temple zen, un sutra est chanté :

« Maintenant nous ouvrons les bols du Bouddha,

Puissions-nous avec tous les êtres vivants,

Réaliser la vacuité des trois roues :

Celui qui donne, la chose donnée et celui qui reçoit. »

Dans le monde ordinaire, ces trois roues sont clairement identifiées et chacune est à sa place : il y a un donateur, un objet et un receveur, c’est le don tel que nous le comprenons généralement. La dana paramita supprime ces relations et fait que ces trois roues fonctionnent sans attachement, sans relation sujet/objet, donc dans cette vacuité et cette totale liberté.

C’est cette « transcendance » qui est évoquée dans certaines traductions : on passe silencieusement d’une réalité à une autre, du monde dualiste à celui de l’unité parfaite.

C’est donc de cette façon que nous pouvons étudier les autres paramitas : soit comme des valeurs et des vertus qu’il nous faut cultiver au cœur de notre quotidien, soit comme un accès direct à l’autre rive.

Lorsqu’on les décrit comme des vertus, ce sont en effet les grandes lignes de force qui guident notre pratique d’aspirant à l’Éveil. Lorsqu’on traduit par « perfections » on les considère comme étant l’expression la plus aboutie de notre pratique, celle qui nous permet d’atteindre l’autre rive, la libération ou l’Éveil.

Mais maître Dôgen donne un éclairage encore différent des paramitas. Il dit dans le chapitre « Bukkyô » du Shôbôgenzô :

« Paramita signifie “arriver sur l’autre rive”. Bien que “l’autre rive” ne soit pas le lieu de l’arrivée ou du départ, “l’arrivée” est le kôan (la grande question). Ainsi, ne pensez pas que la pratique soit le moyen d’atteindre l’autre rive. Puisqu’il y a “pratique” sur l’autre rive, dès lors que nous pratiquons c’est déjà “l’autre rive”. Pour cela la pratique est immanquablement dotée du pouvoir de l’éveil, partout, ou que nous soyons. »

Comme souvent ce passage de Dôgen peut sembler abscons et difficile. Pourtant ce qu’il exprime est d’une simplicité déconcertante : je ne suis pas ici et l’autre rive là-bas ; la pratique n’est pas le radeau ou le moyen qui me permettra d’atteindre la libération ; dès lors qu’il y a la pratique c’est l’autre rive qui est là, car de fait les deux rives n’en sont qu’une et font le lit de cette rivière. Ce n’est donc pas nous qui allons sur l’autre rive, mais l’autre rive qui apparaît là où nous sommes. Ces points de départ et d’arrivée ne s’inscrivent pas dans les perspectives ordinaires du mental et du temps linéaire.


Les paramitas sont donc avant tout des pratiques d’éveil qui s’inscrivent dans le cœur de notre vie quotidienne.

C’est vrai pour la dana paramita où cette conscience de la générosité universelle est présente dans tous les aspects de notre vie : l’air, l’eau, la nourriture, l’amour, la lumière, les enseignements et bien sûr la parole et la pensée.

C’est tout aussi vrai pour les cinq autres pratiques :

Sila paramita, l’éthique bouddhiste qui se résume dans les trois purs préceptes : ne pas nuire, cultiver les actions bienfaisantes et agir pour le bien de tous les êtres. Sans le moindre écart entre l’idéal et l’action, entre le discours et les actes, le bodhisattva suit simplement sila, littéralement « l’honnêteté naturelle ».

Ksanti paramita, la patience, est seulement l’instant présent vécu pour ce qu’il est, dans sa plénitude. Que ce soit par rapport aux autres ou à soi-même, le bodhisattva est sans attente et sans regret, il n’est ni dans le ressassement du passé, ni dans l’espérance d’un futur.

Virya paramita, l’effort ou la persévérance qui consiste à ne pas tomber dans les excès et à maintenir jour après jour les comportements que nous pouvons continuer jusqu’à notre mort. Que ce soit dans le domaine matériel ou spirituel, le bodhisattva vit sans excès ni manques.

Dhyana paramita, le recueillement dans la présence et l’unité de toutes choses en ce monde. L’oubli de soi dans la non-intention en est une belle expression.

Et enfin prajna paramita, maladroitement traduit par sagesse. Prajna, contrairement à toutes les sagesses, est une connaissance directe du réel qui ne repose sur aucun système de pensée ou de logique particulière. De fait c’est prajna paramita qui imprègne les cinq autres et qui permet cette métamorphose de qualités ordinaires en paramitas.

Nous avons tous en mémoire ces films d’action ou le héros se retrouve face à un gouffre qui l’empêche de rejoindre l’autre versant. Il ne peut faire demi-tour et est obligé d’avancer… Un message apparaît alors : « Fais confiance ! » Il fait un pas dans le vide et lorsqu’il est sur le point de tomber, un rocher apparaît mystérieusement… Il fait un autre pas et une autre pierre soutient son pied et disparaît aussitôt le pied levé, et ainsi de suite jusqu’à l’autre côté de la falaise.

Les paramitas sont ces soutiens invisibles mais bien réels qui portent notre vie de pratique et nous permettent de continuer à avancer en toute confiance, quelles que soient les difficultés que nous sommes amenés à rencontrer.

 




Olivier Reigen Wang-Genh pratique le zen Sôtô depuis 1973. Il a été ordonné moine par maître Taisen Deshimaru et a reçu la transmission du Dharma de maître Dosho Saikawa. Fondateur d’une vingtaine de dojos et de groupes de pratique en Alsace et en Allemagne, il est l’abbé du temple Ryumonji fondé en 1999 à Weiterswiller, dans le nord de l’Alsace.

 

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