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Quand les vérités conventionnelles s’effondrent

Photo du rédacteur: Sagesses BouddhistesSagesses Bouddhistes

Traduction : Jeanne Schut

 

Quand les jours et les nuits passent, il n’y a pas que cela qui passe ; le corps aussi se transforme et se détériore constamment. Le corps décline petit à petit mais nous n’en sommes pas conscients. Ce n’est qu’après qu’il a beaucoup changé, quand les cheveux sont devenus gris et que les dents sont tombées, que nous réalisons qu’il est vieux. C’est une connaissance à un niveau grossier et vraiment flagrant, alors que nous ne sommes pas conscients de la détérioration régulière qui se produit silencieusement en nous.


Le résultat de cette inconscience est que nous nous attachons au corps, à chaque partie de notre corps, comme s’il était nous. Ses yeux sont « nos » yeux, ce qu’ils voient est ce que « nous » voyons, la sensation de voir est quelque chose que « nous » ressentons. Nous ne voyons pas ces choses-là comme les « éléments » qu’elles sont en réalité. Ce qui se passe vraiment, c’est que l’élément de la vue et l’élément de la forme entrent en contact ; ensuite la conscience de ce contact est l’élément de la conscience sensorielle, ce phénomène mental qui ressent les objets vus, les sons, les odeurs, les saveurs, les contacts, etc. Cela, nous ne le comprenons pas et c’est pourquoi nous nous saisissons de tout comme étant nous ou nous appartenant : les yeux, les oreilles, le nez, la langue, le corps et le mental. Ensuite, quand le corps décline, nous avons le sentiment que « nous » vieillissons ; quand il meurt et que les phénomènes mentaux s’arrêtent, nous croyons que « nous » mourons.

Par contre, une fois que l’on a décomposé le corps et l’esprit en éléments, on constate qu’il n’y a rien. Ces choses perdent leur sens d’elles-mêmes. Ce sont simplement des éléments physiques et mentaux, sans maladie ni mort. Si vous ne pénétrez pas les choses en profondeur pour parvenir à les voir ainsi, vous resterez dans l’erreur, aveugle. Par exemple, quand nous récitons jara-dhammamhi, « je suis sujet à la mort », c’est simplement pour éveiller notre attention et être sans complaisance dans les premières étapes de la pratique. Mais quand on arrive à l’étape de la méditation de la vision pénétrante, il n’y a plus rien de cela. Toutes les suppositions, toutes les vérités conventionnelles sont anéanties ; elles s’effondrent toutes. Quand le corps est vide de « moi », de quoi pourrait-on se saisir ? Il n’y a que des éléments physiques et des éléments mentaux qui n’ont rien de « personnel ». Il faut que vous voyiez cela clairement, tout au long du chemin. Sinon, tous ces éléments se regroupent pour former un « être », à la fois physique et mental, et vous vous en emparez comme étant « vous ».


Mais une fois que l’on voit le monde comme un composé d’éléments, il n’y a pas de mort. Et une fois que nous voyons qu’il n’y a pas de mort, nous avons la véritable connaissance. Si nous croyons encore que nous mourons, cela montre que nous n’avons pas encore vu le Dhamma, que nous sommes encore attachés à l’enveloppe extérieure. Dans ce cas, quelle sorte de Dhamma pouvons-nous espérer connaître ? Vous devez pénétrer plus en profondeur, observer, décomposer.

Vous êtes presque au bout du bail de cette maison en feu – cette enveloppe corporelle périssable – et pourtant vous continuez à vous en saisir comme si elle était « vous ». Cette vision erronée crée aussi bien de la peur que de l’amour et, quand vous êtes séduit par elle, quelle voie pouvez-vous suivre ? L’esprit s’empare de ces choses pour se tromper lui-même à de très nombreux niveaux. Vous n’arrivez même pas à voir au travers de ces conventions, alors vous vous en saisissez comme étant vous : vous vous percevez comme une femme, un homme et toutes sortes de choses, et vous vous transformez effectivement en ces choses-là. Si vous ne parvenez pas à observer cela suffisamment clairement pour vous libérer de ces conventions et de ces suppositions, votre pratique tournera en rond sans progresser et vous ne parviendrez pas à trouver d’issue.


Vous devez donc observer en profondeur à plusieurs niveaux. C’est comme utiliser un tissu en guise de filtre : si le tissage est grossier, vous n’en retirerez pas grand-chose. Il faut utiliser un tissu fin pour filtrer au maximum – pénétrer à l’intérieur des niveaux les plus profonds en affinant toujours plus votre observation, d’un niveau à l’autre. C’est pourquoi il y a plusieurs niveaux dans l’attention et le discernement et il faut filtrer jusque dans les moindres détails.

Cela explique aussi pourquoi il est tellement important d’observer les choses en profondeur pour devenir pleinement conscient de vos propres caractéristiques intérieures. La pratique de la méditation n’est rien d’autre que la découverte d’auto-tromperies : on voit comment elles s’infiltrent jusqu’aux niveaux les plus profonds et comment même les niveaux les plus évidents nous trompent ouvertement. Si vous ne parvenez pas à voir les tricheries et les tromperies du « moi », votre pratique n’aboutira pas à la libération de la souffrance. Elle vous maintiendra seulement dans l’illusion de croire que tout est vous et à vous.


Pratiquer en accord avec les enseignements du Bouddha, c’est aller à contre-courant. Tout être vivant désire, au fond de lui, avoir du plaisir sur le plan physique et sur les plans plus élevés et plus subtils des sensations, comme dans les formes de concentration où l’on devient dépendant des sentiments de paix et de détente qui les accompagnent. C’est pourquoi vous devez analyser toutes les formes de ressentis pour pouvoir les lâcher et étouffer ainsi le désir, en étant pleinement conscient de la véritable nature des sentiments et des sensations – du fait qu’ils sont dépourvus de « moi », qu’ils ne sont ni liés ni concernés par un « moi » personnel. Voilà ce qui jugule le poison du désir et qui permet qu’il finisse par disparaître sans laisser de trace.

 

 

 

Remerciements à dhammadelaforet.org

Extrait de Pure et simple, paru aux Éditions Sully

 

Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°9 (Hiver 2019)

 




Upasika Kee Nanayon (1901-1978), autodidacte, est devenue l’une des plus grandes enseignantes du Dharma en Thaïlande au cours du xxe siècle. Fondatrice d’un centre de méditation réputé, elle n’a cependant jamais pris de vœux monastiques. Elle a consacré sa vie à enseigner les paroles du Bouddha dans un langage clair, en menant une vie active et lucide, pleine de bienveillance.








Traductrice spécialisée d’écrits de moines contemporains de la tradition bouddhiste theravada, Jeanne Schut pratique le bouddhisme dans la Tradition de la Forêt depuis plus de trente ans. À l’origine du site dhammadelaforet.org, une véritable mine d’or regorgeant de nombreux textes et enseignements des maîtres de la Tradition de la Forêt, traduits et accessibles à un large public, Jeanne Schut n’a de cesse de compiler, indexer et transmettre le Dharma.

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