Par Virginie Kozerawski
Le mois de décembre est arrivé et, au Japon comme ailleurs, les rues ont été décorées de guirlandes électriques qui scintillent dès la nuit tombée. Les haut-parleurs placés en haut des arbres sur les avenues crachent les airs de Douce Nuit et de Jingle Bells, quand les cafés font résonner les voix caressantes des crooners américains célébrant Noël. La frénésie des achats de cadeaux bat son plein et Merry Christmas s’affiche partout dans les vitrines. Rien de nippon dans cette uniformisation mondialisée de la culture. Et pourtant. Dès que le 25 décembre est passé, les Japonais se tournent aussitôt vers les préparatifs d’une autre fête : celle du nouvel an. Point de consumérisme importé d’Occident pour celle-ci mais au contraire, la perpétuation de rites et de rituels ancestraux propres à la culture japonaise. Le passage à la nouvelle année revêt une double signification sur l’archipel puisqu’il s’agit du changement d’année civile mais également d’année religieuse, les deux calendriers ayant été couplés dès la fin du xixe siècle. Le Japon a donc officiellement débuté l’année du Chien le 1er janvier 2018 !
Dès lors, on s’active aux préparatifs de cette fête dans les chaumières car le temps presse. Comme dans les autres cultures asiatiques, le changement d’année donne lieu à un grand ménage domestique pour bien finir l’ancienne et débuter la nouvelle.
Légendes : (1) Talismans. (2) Les lanternes ont été achetées et offertes au temple par les fidèles, une pratique Shintoïste qui assure la protection aux fidèles. (3) Support de souhait à l’effigie du cerf. Le souhait du fidèle écrit au dos bénéficiera de la prière des moines. (4) Braseros pour la fabrication des mochis. (5) Mochis mis en forme. Ils sont toujours présentés deux par deux. (6) Papiers d’oracle attachés en noeuds
Pour ce faire, du 29 décembre au 3 janvier, qui de fermer son commerce, qui de s’absenter du bureau, ce peuple d’abeilles travailleuses profite de ces rares jours de congés annuels pour marquer une pause dans sa vie quotidienne et célébrer le nouvel an. Beaucoup rejoignent leurs familles à cette occasion et cela donne lieu à un formidable chassé-croisé de foules dans les gares et sur les routes. C’est ainsi que Kyoto, la ville aux centaines de temples, étape touristique internationale, se remplit soudainement de visiteurs nippons.
Outre le ménage, avant le 31 décembre, les Japonais préparent traditionnellement des mochi, une pâte à base de riz gluant pilé qui n’est faite que lors des grandes occasions. Les particuliers les achètent à présent car l’élaboration des mochis nécessite beaucoup de main-d’œuvre. Les temples les font encore eux-mêmes mais il n’est pas rare que les prêtres de plusieurs temples se réunissent en un seul lieu pour unir leurs forces. Il s’agit de faire cuire le riz à l’étouffé sur des braseros, avant de battre la pâte brûlante à l’aide de gros maillets en bois pour rendre sa texture élastique et homogène. Ensuite, des morceaux de pâte collante de la taille souhaitée sont détachés et saupoudrés de farine de riz. Accompagnés de pâte de haricots rouges sucrés ou de daikon, le long radis blanc de l’archipel, ou bien encore d’algues, ils se dégustent aussi bien sucrés que salés. Deux gros mochi en forme de galettes, surmontés d’une orange amère, sont aussi déposés en offrande devant les statues de Bouddha des temples à la fin du mois de décembre.
Si le décompte jusqu’à minuit le 31 décembre existe aussi au Japon, une autre tradition déplace les foules, celle des 108 coups portés à d’énormes cloches en bronze dans les temples bouddhistes, chacun en possédant une à cet effet. Ils symbolisent les 108 désirs terrestres et il est dit que frapper ainsi la cloche avant le changement d’année élimine un désir. Entre 23 h et minuit, 108 coups sont donc portés dans les temples par des paroissiens préalablement inscrits, qui attendent patiemment leur tour dans la nuit froide. D’autres lieux de culte permettent cependant que les coups soient portés jusqu’à ce que tout un chacun soit passé. Kyoto résonne ainsi la nuit de la Saint-Sylvestre de coups de cloches émanant de ci, le là, des nombreux temples éparpillés dans la ville.
Légendes : (1) Offrande au Bouddha. (2) Du 1er au 3 janvier, les habits traditionnels sont de rigueur pour aller visiter les temples. (3) Les calligraphes d’un temple. (4) Entrée du temple de Fushimi-Inari.
Si beaucoup de Japonais ne se couchent pas cette nuit-là, afin d’observer le premier lever de soleil de l’année, tous ont un impératif le 1er janvier : se rendre dans les temples et les sanctuaires shintoïstes. Cette première visite aux lieux de culte revêt une importance toute particulière puisqu’il s’agit d’obtenir la bénédiction de l’année qui débute. Alors, la foule des grands jours se presse vers les autels. C’est ainsi qu’un des lieux les plus révérés du pays, le sanctuaire de Fushimi-Inari de Kyoto, voit défiler des dizaines de milliers de Japonais qui se pressent, les trois premiers jours de janvier, sous les portes rouges qui symbolisent l’entrée du royaume des dieux, les torii. Ce lieu est réputé pour apporter la richesse et c’est donc une marée humaine mais disciplinée qui va faire des souhaits de bon augure et grimper les marches du mont sacré. Bouddhisme et shintoïsme étant indissociés au Japon, les temples bouddhistes possèdent également leurs autels shintoïstes et, lorsqu’ils franchissent les portes d’un temple, les Japonais passent ainsi d’une prière devant une statue de Bouddha à un souhait adressé aux dieux animistes, devant un autel d’un bâtiment adjacent. Ils jettent pour se faire une pièce dans le réceptacle prévu à cet effet, font tinter des cloches accrochées à une corde, s’inclinent deux fois, tapent dans les mains deux fois, font leur souhait avant de s’incliner à nouveau. Plusieurs rituels sont ainsi effectués indifféremment dans les temples et les sanctuaires pour s’assurer d’une bonne année, tout comme il en est de nos vœux et de nos bonnes résolutions, eux les effectuant devant les supports sacrés. Des souhaits sont parfois inscrits sur des tablettes en bois, à l’effigie d’un chien pour l’occasion, et confiés aux religieux du lieu qui les incluront aux prières du lendemain. Des stands se dressent dans la cour des temples et l’on peut y acheter de petits talismans cousus dans du brocard, qui protègent des dangers ou bien favorisent ce qui est souhaité comme la chance, la réussite aux examens et même la rencontre du partenaire idéal ! En ce début d’année d’autres supports de protection sont proposés, comme ces tiges de bois ornées de paille tressée et de papiers pliés en origami agrémentés d’autres menus objets colorés pour protéger le foyer. Ils fleurissent alors à toutes les portes de la ville et dans les vitrines des commerces. Il est aussi d’usage de tirer au hasard un papier d’oracle et de se faire prédire ce que réserve l’avenir. Si cela ne correspond pas aux attentes ou si des obstacles sont prédits, les Japonais accrochent alors le papier plié en forme de nœud à un fil en espérant qu’ils se dissiperont. Enfin, pour commémorer cette visite ce jour-là, comme il en est de même sur tous les lieux de pèlerinage importants, un sceau est apposé sur un carnet prévu à cet effet. Des calligraphes écrivent à l’encre noire et en kanji, les caractères japonais, le jour de la visite et le lieu de culte visité, avant de certifier le tout d’un coup de tampon à l’encre rouge.
Au matin du 4 janvier, la parenthèse s’est refermée. Chacun est retourné d’où il était venu. L’année peut se dérouler sous les meilleurs auspices.
Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°5 (Hiver 2018)
Virginie Kozerawski parcourt l'Asie depuis de nombreuses années à la rencontre des cultures et civilisations orientales. Empreinte de curiosité et d’esprit de découverte, elle nous livre ici un récit au regard sensible.