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  • Photo du rédacteurSagesses Bouddhistes

La notion de genre est un concept

 

Jetsün Kandro Rinpoché est une enseignante internationale reconnue pour ses enseignements directs. Elle a reçu dès son plus jeune âge les instructions des maîtres tibétains les plus respectés et dirige des centres d’études et de méditation en Inde, Europe et Amérique du Nord. Nous la rencontrons sur le site de la Grande Pagode de Vincennes, au temple de Kagyu Dzong, pour une interview juste avant son départ pour l’étranger.

 

Sagesses Bouddhistes : Y a-t-il des aspects relatifs aux femmes ou aux hommes que nous devrions considérer par rapport au chemin bouddhiste ou par rapport à la vue ?

Jetsün Kandro Rinpoché : Selon la vue bouddhiste, il n’y a aucune distinction entre femme et homme.

Sur le chemin, on peut considérer qu’il existe certains aspects dont on doit tenir compte.

La vue est la connaissance de la base fondamentale et la libération est la réalisation de cette base. Si la nature fondamentale de l’esprit est absolue, vide, lumineuse, alors il n’y a pas de notion de genre à considérer. La bouddhéité n’a pas de genre, elle est juste une nature éveillée qui transcende les concepts. Et la notion de genre est un concept. C’est pourquoi la transcendance des concepts ne laisse aucune place à la discrimination de genre si minime soit-elle.

Mais jusqu’à ce que nous soyons capables de dépasser complètement la dualité et la conceptualisation, alors « oui », on peut dire que certaines distinctions peuvent être faites, selon notre réalisation, là où l’on se trouve sur le chemin. C’est parce que nous élaborons des concepts qu’existe la notion de genre, des différences et des particularités aussi bien positives que possiblement négatives selon que l’on est femme ou homme.

Nous naissons avec une constitution physique, biologique différente et nous vivons avec l’empreinte de notre forme physique. Au niveau même de la physiologie et de la constitution émotionnelle, il y a des différences entre les femmes et les hommes. Quand les caractéristiques et les conditions de votre naissance conditionnent votre corps physique dans ce monde, vous réagissez à partir de cette forme à l’environnement et à la culture.


« La notion de genre est un concept. C’est pourquoi la transcendance des concepts ne laisse aucune place à la discrimination de genre si minime soit-elle. »

Quelles seraient, si vous pouviez les caractériser, les tendances imprimées dans la forme physique des hommes et des femmes ?

Selon la tradition du Vajrayana, on distingue les moyens habiles et l’aspect de sagesse, ce qui peut faire sens, selon moi, en regardant attentivement les choses. Tout cela est exposé de manière avérée dans les enseignements mais comment pourrions-nous l’interpréter?

À la base, il y a une vivacité et une acuité d’esprit qui est caractéristique de la femme. C’est très présent. Le côté positif est que l’aspect de sagesse peut être très vif, très aiguisé et élevé. Mais il y a aussi un côté négatif, du point de vue de l’ignorance, qui va faire en sorte que cette vivacité se manifestera en une agitation et une indécision qui interféreront constamment, sans répit. Voilà un aspect caractéristique chez la femme qui peut évoluer positivement ou négativement.

Chez l’homme, l’énergie masculine joue comme un moyen habile qui contribue à une solidité certaine, un enracinement qui manifeste positivement une forte concentration et une forte capacité d’ancrage. Mais l’aspect ignorant se manifeste en quelque chose qui peut être vraiment terne, absorbé et pesant.

Chacune de ces énergies féminine et masculine a une polarité positive et négative. Et l’ensemble des techniques de méditation se résume à cette question : « Comment utiliser cette énergie pour se défaire de la polarité négative en la canalisant vers l’aspect positif ? »

Par conséquent, le principe féminin transcendant est toujours appelé prajñā (sanskrit), l’aspect de sagesse transcendante.


Avez-vous fait face dans votre passé à un machisme culturel et historique ?

Oui, absolument.


« Mon maître me disait toujours que l’éducation est très importante et que le changement ne survient pas sans elle. »

Comment avez-vous fait ?

Il n’y a pas de plan unique, pas de stratégie (elle rit). J’ai juste fait face aux situations.

Bien qu’ayant grandi au sein d’une famille très estimée de la tradition Nyingmapa, j’ai dû, en tant que femme, faire face à des épreuves dont certaines étaient très difficile de par le fait qu’elles ne me touchaient pas personnellement mais concernaient les femmes en général.

Je vois en fait deux sortes d’épreuves :

Il y a les épreuves personnelles qui sont les miennes. Elles ne sont pas difficiles en elles-mêmes car elles peuvent être gérées et travaillées en les abordant à travers la pratique, et je les vois comme un entraînement.

Mais les épreuves qui vous font rencontrer l’injustice ou les opinions ignorantes que les femmes ont subies, et subissent encore actuellement, sont les plus longues et les plus difficiles.

Il faut beaucoup de temps et de patience pour faire changer les mentalités, particulièrement à l’est, dans le monde traditionnel.

Comme je vous l’ai dit, il n’y a pas de stratégie établie mais, pendant ma jeunesse, j’ai pu apprendre de mon père, mon illustre enseignant (*), qui disait toujours : « Sois sympathique, sois compatissante envers l’ignorance des gens. » J’ai toujours essayé de garder cela à l’esprit. Je regarde l’ignorance dans l’esprit de certains et leur opinion sur les femmes. Et je développe beaucoup de sympathie à l’égard de la stagnation de leur compréhension limitée. Dans certains cas, je pense vraiment qu’ils ne sont pas personnellement responsables ou fautifs parce qu’ils sont conditionnés par le contexte de vie pour avoir des idées telles que « Les femmes ne peuvent être l’égal des hommes » , «  Elles ne peuvent pas participer à certaines cérémonies ou prétendre à étudier », « Les femmes ne peuvent pas réaliser l’Éveil » et toutes ces sortes d’opinions que les gens peuvent avoir. Face à cela, vous devez vraiment accepter que leur esprit est conditionné à penser dans un sens qui ne correspond pas à votre propre compréhension.

Par conséquent, il est mieux d’être en sympathie avec eux afin de leur laisser l’espace leur permettant d’avoir leur propre opinion. Si vous ne leur laissez pas cette place, cela se transformera en pugilat et ne résoudra pas forcément les problèmes.

Mon maître me disait toujours que l’éducation est très importante et que le changement ne survient pas sans elle. J’ai toujours pensé que si on éduque les gens, ils utiliseront alors leur propre esprit pour battre en brèche certaines croyances orthodoxes et autres opinions discriminatoires qu’ils pourraient avoir. Cela m’a toujours aidée. Mon père et maître était une personne d’une grande ouverture d’esprit et m’a toujours invitée à regarder les choses d’une manière très pragmatique. Cela m’a toujours aidée, dans les épreuves, à essayer de comprendre la situation d’un point de vue large, au-delà de la réaction immédiate.


Dans le centre d’études et de méditation de Dhagpo Kagyu Ling (Dordogne), vous avez demandé à tous les hommes de quitter la salle d’enseignement car vous aviez à dire certaines choses aux femmes occidentales qui se trouvaient dans l’assistance. Il y a de cela plus de quinze ans. Qu’avez-vous dit ?

En lisant votre question, l’épisode m’est revenu en mémoire mais assez vaguement. Il y avait certains sujets qui questionnaient les femmes à cette époque. Elles avaient eu certaines expériences de nature très personnelle. Pendant l’enseignement de la journée, beaucoup de conversations agitaient l’esprit du public féminin. C’était la première fois qu’elles rencontraient une femme enseignante, alors elles avaient le sentiment d’avoir quelqu’un à qui parler. Ce n’est pas tant ce que j’avais à dire mais ce que j’avais à écouter d’elles qui me semblait important. Après, lorsque j’ai dû vider la moitié de la salle, je ne pouvais pas dire : « Les femmes vont se plaindre des hommes alors, s’il vous plaît messieurs, veuillez sortir. » Non. C’était plus facile pour moi de dire : « J’ai des choses à dire aux femmes alors s’il vous plaît… » C’est ce qui s’est passé. On en a beaucoup parlé mais je ne pense pas avoir déclenché une révolution ! (Elle rit.)


(*) Sa Sainteté Mindroling Trichen Jurme Kunzang Wangyal, un des plus grands enseignants tibétains du XXe siècle.



Jetsün Kandro Rinpoché est issue de la tradition des Jetsünmas, filles de différents Mindroling Trichen (plus hauts hiérarques de la tradition Nyingmapa), une tradition d’enseignantes formidables de l’histoire du bouddhisme tibétain, qui commença avec Jetsün Mingyur Paldrön (1699-1769) et se poursuit jusqu’à Jetsün Kandro Rinpoché. En décembre 2012, la 13e génération de Jetsünmas est apparue avec la naissance de la nièce de Kandro Rinpoché, la petite Gautami Thrinley Choedron.


 

Les yidams de méditation sont nombreux dans le Vajrayana. Les Occidentaux ont tendance à vouloir les pratiquer pour cultiver certains aspects de l’esprit. Les professionnels du soin veulent pratiquer Sangey Melna, le Bouddha de médecine, les étudiants Manjushri pour l’aspect de connaissance ou d’autres Amitayus ou Tara blanche pour des aspects de longue vie. N’y a-t-il pas une mécompréhension dans cette approche façon « boîte à outils » ?


Jetsün Kandro Rinpoché : Oui et non.

Oui, c’est une incompréhension si vous regardez les choses du point de vue essentiel du Vajrayana. Si on comprend la raison du symbolisme et la signification de l’essence de la déité, alors on ne considère plus que le yidam Tchenrezi a le registre « compassion », que le yidam Manjushri a le registre « sagesse », que Tara verte a celui de la « levée des obstacles », que les yidams Tara blanche et Amitayus ont l’aspect « longévité », etc.

Essentiellement, le yidam relève de l’esprit et de l’engagement de l’esprit. Tout ce qui permet à l’esprit de se focaliser sur sa propre nature est l’activité du yidam. À ce stade, peu importe le yidam. Le support est le support, qui amène votre conscience à percevoir sa nature essentielle. Voilà ce qu’est le yidam.

D’un autre côté, les êtres humains sont conceptuels. Si vous partez d’un concept, vous arriverez à un concept. Si vous plantez une « graine » de concept, vous récolterez le bénéfice sous forme conceptuelle. Par exemple, si un étudiant a le projet suivant : « Je vais passer les épreuves d’examen, alors je vais prier Manjushri », il commence avec un concept et aura un résultat de cette nature. Mais une fabrication conceptuelle ne vous amène pas à la libération. Pour aller vers la libération, vous devez regarder l’essence des phénomènes dans laquelle il n’y a pas de séparation.

Si l’approche conceptuelle seule vous satisfait, alors pourquoi pas ?

Vous priez Amitabha quand vous mourez, Tara verte lorsque vous êtes dans la peur et le Bouddha de médecine quand vous êtes malade, et c’est aussi l’activité des bodhisattvas. C’est une question d’approche conceptuelle ou non face à la déité.

Pax exemple, si une personne est sur le point de mourir, je pourrais lui dire de regarder la nature de son esprit mais c’est très difficile pour quelqu’un de regarder ainsi. Alors je pourrais lui dire de garder à l’esprit l’image d’Amitabha et de prendre refuge. Cela pourrait aider bien plus parce que c’est conceptuel et que la personne a besoin de se tenir à quelque chose.

L’interprétation, le sens du yidam change selon l’habileté de l’esprit que chacun a pu affiner dans un sens moins conceptuel.


Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°4 (Automne 2017)


 


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