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LE TRÉSOR DE LA PATIENCE

  • Photo du rédacteur: Sagesses Bouddhistes
    Sagesses Bouddhistes
  • 30 juil. 2024
  • 11 min de lecture

Photo par © JK

Source Dharma Seed, adaptation Sagesses Bouddhistes.



J’ai travaillé sur une série d’enseignements que l’on nomme dans la tradition bouddhiste les dix perfections, les perfections du cœur qui mènent à l’éveil. J’aimerais en parler comme l’expression de notre propre nature de bouddha et de ce qui est inné en nous. Les belles qualités et le potentiel avec lesquels nous naissons peuvent être développés ou valorisés même si on peut parfois les oublier un peu et les perdre de vue. Nous connaissons la qualité de la conduite éthique, celle de la générosité, la qualité de la sagesse, celle d’un effort avisé. Et ce soir, nous allons parler de ce que l’on appelle traditionnellement la perfection de la patience. Ce n’est pas une

mince affaire.


La durée intemporelle

Car ce que je ne n’ai pas dit – quand on fait le vœu de devenir pleinement éveillé en tant que bouddha, c’est que le dernier bouddha historique Siddhartha Gautama avait pratiqué ces qualités pendant... 100 000 maha kalpa pour parvenir à l’Éveil. Un mahakalpa, pour qu’on puisse s’en faire une idée, est la durée nécessaire à l’érosion complète du mont Everest dont le sommet serait effleuré tous les 100 ans par un voile de soie porté dans le bec d’un oiseau. Et ce qui est magnifique, c’est qu’il s’agit d’un nombre mythologique. C’est

un nombre qui n’est pas calculable, et on comprend qu’il est incommensurable. Il s’agit plus d’une invitation à voir quelque chose en dehors du temps, quelque chose de plus universel et de plus grandiose, comme le cycle des saisons et le cycle des galaxies elles-mêmes. Et lorsque vous le comprenez de cette manière, vous commencez à voir que ces perfections ne sont pas des qualités qui doivent être obtenues après 100 000 passages de l’oiseau qui use la montagne, mais qu’il s’agit plutôt d’une sorte de développement qui peut se produire. Il ne se produit pas parce que vous devenez de plus en plus performant, mais plutôt parce que vous découvrez ce que vous êtes vraiment, votre véritable nature. Nous croyons d’une certaine manière que c’est en réalisant un certain progrès, suite à un certain effort que nous deviendrons un être spirituel ou une personne sage.

« Les violettes dans les montagnes ont brisé les rochers. » Ce sont des mots de Tennessee Williams. Les violettes, ce sont cette ouverture qui est à l’œuvre en nous-même mais elle ne requiert pas nécessairement de s’efforcer de gagner, de faire des efforts et faire des progrès, mais plutôt d’avoir la volonté d’être présent.


La culture du speed

Le fait est que nous vivons dans une culture qui nous enseigne à accumuler des moyens pour progresser : vous suivez une thérapie, vous avez un coach, vous allez à la salle de sport, vous vous entraînez, vous avez un bon régime alimentaire, vous méditez et vous vous perfectionnez. Et puis vous commencez à réaliser que votre but est différent alors vous vous racontez que vous allez méditer et que vous ne serez plus jamais déprimé, ni seul, ni en colère, ni dans le besoin, ni avide. Vous serez juste saint et sage. Et vous vous dites : « Si seulement je participais à davantage de retraites de méditation. » Le fait est que nous vivons dans une culture qui nous enseigne ce genre de réflexion. Nous vivons dans une culture de vitesse et d’empressement. Je me souviens de l’époque de la présidence de Jimmy Carter (1976-1980), où la vitesse limite, pour une question d’économie d’énergie, avait été abaissée à 55 miles/h (environ 90 km/h). Après un tollé général des fous du volant que nous sommes – et je m’y inclus – elle avait été relevée généreusement à 105 km/h. Et de nos jours, il y a des régions dans l’Ouest, comme le Wyoming où l’on peut rouler de 130 km/h jusqu’à 145 km/h. C’est fantastique ! C’est notre culture, n’est- ce pas ? Nous vivons dans une culture grégaire, nous sommes en ligne en permanence, les gens nous contactent et nous devons répondre immédiatement. Dépêchons-nous, dépêchons-nous pour pouvoir faire toutes ces choses, pour avoir des loisirs après. Et nous nous aidons d’ordinateurs pour pouvoir faire tout notre travail et avoir plus de temps libre, après. Croyons-nous encore à cela ?


Les enfants maltraités

Toujours plus, de plus en plus vite et de plus en plus tôt. Et nous avons des enfants pressés, pressurisés. Je pense à ce psychiatre de l’Université, le docteur Elkind, qui a écrit un livre sur les enfants de huit, neuf ou dix ans qui souffrent d’ulcères dus au stress. Je pense à ces étudiants en Chine, à Singapour et en Corée parmi lesquels il y a un fort taux de suicide. Et ici même, nous préparons les enfants aux entretiens pour entrer dans la bonne école primaire qui est le meilleur chemin vers Harvard ou Stanford. Mais on peut commencer plus tôt encore avec ces produits sur le marché comme les cartes d’alphabet pour vos enfants et les programmes de lecture pour les bébés dans l’utérus.... S’il vous plaît, ne le faites pas Peggy O’Mara, rédactrice en chef du magazine Mothering, nous avertit avec plein de sagesse que nous avons un préjugé, un biais culturel contre la dépendance ou contre toute émotion qui indique une faiblesse. Rien n’est plus tragiquement évident que la façon dont nous poussons nos enfants au-delà de leurs limites et de leur rythme en leur imposant des normes extérieures. C’est à cet âge-là qu’un bébé est censé être sevré. C’est à cet âge-là qu’un bébé est censé être propre. C’est à cet âge-là qu’il est censé le faire. Au lieu de leur apprendre à avoir confiance en eux, de mettre sur la table des aliments sains et de qualité – au lieu de leur dire « finissez tout ce que vous avez dans votre assiette », donnez aux enfants des aliments sains et laissez-les apprendre à s’autoréguler. Selon Peggy O’Mara, refuser la dépendance parce qu’elle n’est pas l’indépendance, est comme refuser l’hiver parce que le printemps n’est pas encore là. La dépendance s’épanouit en indépendance en son temps et nos enfants passent de la marche à quatre pattes à la marche, du babillage à la parole, de la puberté à la sexualité. C’est ainsi que la vie se déroule, et nous pouvons lui faire confiance. Souvenez-vous des rythmes de vie dans lesquels vous êtes né et revenez-y. Vivez avec la dignité et la présence qui vous reviennent de droit.


L’égalité de la constance

Nous parlons de patience. Mais en réalité, patience n’est pas un très bon mot parce que la patience peut être comme ronger son frein : « Si j’attends assez longtemps, quelque chose de bien va se produire, n’est-ce pas ? Alors j’attends... et j’attends. » Les gens s’assoient en méditation, attendant que quelque chose se produise. C’est comme attendre dans le bus. Le maître zen Suzuki Rôshi du Centre zen de San Francisco a trouvé un meilleur mot pour décrire vraiment ce qu’est la qualité de la patience. Il a proposé le mot « constance » plutôt que patience ou impatience à attendre quelque chose. Il s’agit simplement d’une volonté d’être présent, comme nous venons de le faire dans notre méditation, de s’asseoir et de ressentir cette respiration, ces émotions, ces pensées et ces histoires dans l’esprit, celles qui sont habiles et celles qui ne le sont pas. Comme ces histoires dans notre corps qui ont besoin d’être soignées avant de pouvoir commencer à faire confiance au développement de ce corps et de cet esprit, au fur et à mesure que nous devenons présents. Et parfois, comme vous le savez très bien, les moments où l’on s’impatiente, où l’on s’ennuie, où les choses semblent mauvaises et où l’on voudrait que quelque chose de mieux se produise, où quand elles deviennent vraiment difficiles, sont les moments où l’on apprend ce que le cœur a le plus besoin de savoir.


Le millionnaire et l’autiste

Quand j’étais à Los Angeles, j’ai discuté avec un homme qui avait bâti un empire immobilier très prospère, d’environ un demi-milliard de dollars et sur le point d’en valoir plusieurs milliards, quand il a décidé de tout arrêter. Il avait un enfant autiste et il y avait beaucoup de tensions dans la famille. Il m’a dit : « Vous savez, cet enfant m’a beaucoup appris. Il a changé ma vie. J’étais éparpillé, perdu et cet enfant m’a obligé à me calmer, à apprendre ce que signifie être présent pour quelqu’un, d’une manière que j’ignorais totalement. C’est comme ça que j’ai appris à être présent pour ma femme et mes autres enfants. Je ne peux pas vous dire à quel point c’est important d’avoir vécu ce qui, à première vue, n’était qu’une tragédie. Mais c’est la difficulté d’être avec ce magnifique enfant qui m’a redonné la vie. » Se reposer dans le présent, dans les rythmes de la vie, dans sa propre nature, avec constance, avec une conscience aimante, c’est ce que nous appelons la pleine conscience. Nous y sommes. Waouh, qu’est-ce qui se révèle maintenant ?


Ce qui se cache sous l’impatience

Décrétez que pour chaque acte important, il vous faut trois jours pour être sûr. La réflexion approfondie fait partie des qualités divines et sacrées. Quand vous lancez quelque chose à un chien, il le renifle pour voir s’il en veut. Soyez prudent.

Reniflez avec votre sagesse et votre nez, puis décidez. Même si vous sentez l’urgence de vous dépêcher et d’agir. Car, honnêtement, où allons-nous tous ? Si on prend un peu de recul, on va tous au même endroit finalement, n’est-ce pas ? Alors pourquoi se presser ? Pourquoi ne pas en profiter pendant qu’on est là ?

La vérité, c’est que je suis une personne plutôt impatiente par tempérament. Je pense vite, je fais vite, je n’aime pas être en retard. Mais quand je prête attention à mon impatience, je remarque que, au-delà du désir que tout arrive vite, il y a autre chose. Parfois, en filigrane, je prends conscience qu’en étant tout le temps en action, j’évite d’être confronté à certains ressentis difficiles : l’ennui, le chagrin, la frustration, le vide, la perte, le temps qui passe, la brièveté de la vie... Je suis tellement habitué à être quelqu’un qui accomplit des choses. C’est difficile pour moi de m’arrêter. Qui suis-je si je ne cours pas, si je n’accumule pas de points, si je n’accomplis pas quelque chose ? Il y a un petit espace, entre cette partie de moi qui agit sans cesse et cette autre partie qui a juste à s’arrêter et sentir. Je dois ressentir l’inconfort d’arrêter d’agir pour me rendre à l’endroit où « oh, les grillons chantent. C’est une chaude soirée d’été. La lumière est douce. C’est un moment agréable avec ma femme ou ma fille et je vois des chevreuils traverser le jardin ».

Cet état n’est pas de la patience mais une qualité de contentement, d’émerveillement, une capacité à se poser, se reposer et faire confiance. Il est donc utile d’étudier le contentement. Et on réalise que c’est le cœur qui est content ou patient, alors que c’est l’esprit qui s’emballe dans l’impatience. Si on fait attention, on remarque ce qui empêche d’être heureux. Quelles sont ces choses qui m’empêchent d’être content, de la manière la plus profonde, la plus aimante, la plus présente ?


Dans les embouteillages

Vous connaissez sans doute cette impression de perdre son temps dans les embouteillages. Par exemple, je conduis en direction du Golden Gate et il y a un accident qui crée un embouteillage donc je m’impatiente, comme tout le monde. Mon corps veut aller plus vite et je me désespère. « Non, pourquoi moi ? Je ne veux pas de ça, pas maintenant. »

Est-ce que ça m’aide ? Est-ce que j’arrive plus vite ? Ne vaut-il pas mieux faire confiance, à l’endroit où je me trouve, et me dire : « Voilà où j’en suis, dans un embouteillage, et tous ces gens, toutes leurs voitures bloquent la mienne et ma voiture bloque la leur. Je fais partie de l’embouteillage. » Au lieu de les blâmer tous, n’oublions pas de voir que nous avons contribué à l’embouteillage avec notre voiture. Et, même si c’est difficile, prêtons attention à la frustration, à l’ennui, au vide, à la perte de temps ou à tout ce qui surgit en nous... Soyons nous-mêmes, dans l’instant présent.

Quand nous nous inclinons devant notre incarnation humaine et que nous l’acceptons, c’est là que commence l’illumination. Là où nous sommes, ici et maintenant. Les véritables ouvertures dans la vie spirituelle se produisent le plus souvent lorsque nous cessons d’essayer de faire ou d’être quoi que ce soit. Je le sais par expérience. Lors de mes propres retraites, il arrive un moment où je me laisse aller et où je suis simplement là. Cela devient le moment le plus beau et le plus fructueux. Toutes sortes de choses commencent à s’ouvrir à moi.


L’activisme sans frustration

Quelqu’un m’a demandé : « Oui, mais qu’en est-il des guerres, du racisme, de l’injustice ou du changement climatique ? Comment voyez-vous la patience et la constance dans ce contexte ? »

J’aime citer Thomas Merton, si plein de sagesse quand il s’adresse à un jeune activiste frustré et lui dit : « Ne comptez pas sur l’espoir des résultats. » Il se peut que vous deviez faire face au fait que votre travail semble sans valeur et même qu’il n’aboutisse à aucun résultat. Ou bien, que le résultat soit parfois à l’opposé de ce que vous attendiez. À mesure que vous vous habituerez à cette idée, vous vous concentrerez de moins en moins sur les résultats et de plus en plus sur la valeur, la justesse et la vérité du travail lui-même, de ce qui compte vraiment pour vous. On ne peut pas dire ce qui va se passer, ni comment ça va se passer. Mais on peut calmer son esprit et prendre soin de son cœur et sentir la direction dans laquelle on veut offrir sa vie au monde. Ensuite, on peut agir, mais d’une manière différente. Ce n’est pas que l’on ne se soucie pas du monde, ni que l’on n’y réponde pas de manière honorable, mais on essaye moins d’agir par la volonté et plus de s’ouvrir à ce que son cœur indique comme la chose la plus sage à faire, de façon paisible comme Gandhi, et de laisser ses actions suivre un cours plus intemporel.

Et c’est là une autre qualité de cette constance ou de cette patience. Quand y parviendrons-nous ? C’est ici qu’il faut lui donner vie. Ô, noblement né. Il y a une illumination en vous, une nature de

bouddha. La capacité de s’asseoir, d’ouvrir son cœur, ses yeux, son esprit, et d’être présent au mystère de cette vie, sans argument, sans rejet, sans ambition. Parce qu’il y a une beauté, un bien-être et une attention que nous communiquons à nos corps, à nos proches, à la terre, lorsque nous revenons à qui nous sommes vraiment. On peut appeler cela l’amour, l’éveil, la liberté ou la libération. Et l’invitation de la pratique spirituelle est de revenir à cela. Même avec toute cette impatience en nous et autour de nous. Et ce n’est pas passif. C’est en fait le plus vivant et actif que nous puissions être.


Comme un dimanche

Je me souviens que lorsque j’étais jeune, tout était fermé le dimanche. Rien n’était ouvert. C’était un sabbat commercial. La société avait décidé que le sabbat était une chose saine. On en avait l’habitude et c’est le cas dans toutes les cultures. Il y a le sabbat juif, le sabbat musulman et le sabbat bouddhiste. Pleine lune, quart de lune, nouvelle lune. Vous savez, là où tout s’arrête. Quand on arrête de vendre ou d’acheter, ou quoi que ce soit d’autre, et qu’on prend le temps d’écouter. Alors, puisque la société ne le propose plus, votre propre pratique de la méditation devient votre sabbat. Elle devient votre habitude, le matin ou le soir ou chaque fois que c’est bien pour vous, de vous arrêter, d’être attentif, d’écouter en profondeur, pour sentir votre propre rythme et le rythme de ce qui vous entoure.



Jack Kornfield, né en 1945, est titulaire d’un doctorat de psychologie clinique de l’université de Dartmouth, fondateur de l’Insight Meditation Society et du centre bouddhique de Spirit Rock en Californie où il enseigne et vit. Jack Kornfield est considéré comme l’un des plus grands enseignants bouddhistes occidentaux.

Jack Kornfield a abordé les dix perfections du cœur que l’on trouve dans le bouddhisme Theravada. Il présente ces perfections comme l’expression de notre propre nature de bouddha, que chaque être humain possède à la naissance et peut faire progresser. Il explore ici la qualité de la patience qui réside en chacun de nous. Cet enseignement a été donné par Jack Kornfield au Spirit Rock Center en Californie le 5 mai 2002.

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