Le trésor de la méditation
- Sagesses Bouddhistes
- 30 juil. 2024
- 5 min de lecture
La cinquième paramita
Traduction Sylvie Gauthier
Extrait de « The Six Paramitas », Bodhicharya Publication © 2021
La méditation arrive en cinquième place dans l’ordre des paramitas, car toutes celles qui la précèdent servent, en quelque sorte, à préparer le terrain. Les six paramitas sont liées les unes aux autres, donc l’ordre importe peu… mais il ne relève pas du simple hasard. Plus nous apprenons à laisser passer, plus nous devenons disciplinés, plus nous sommes patients, plus nous pouvons agir positivement dans la joie, et plus la méditation devient facile et ancrée.
La langue tibétaine possède plusieurs termes que l’on peut traduire par « méditation ». L’un d’eux est samten, l’équivalent de dhyana en sanskrit et de jnana en pali. Sam signifie « esprit » et ten, « stable » : rendre notre esprit stable, paisible et limpide, c’est-à-dire inébranlable, de sorte que nous ne soyons pas dérangés par les phénomènes qui nous entourent.
Il y a aussi le mot gom, qui signifie « s’habituer à » ou « se familiariser avec ». À partir du moment où nous identifions l’état d’esprit que nous souhaitons établir en nous, nous le pratiquons sans relâche ; nous créons une habitude. Nous avons laissé germer de mauvaises habitudes dans nos façons de voir, de ressentir et d’agir, et lorsque nous en prenons conscience, nous nous efforçons de les corriger, jusqu’à ce qu’elles changent.
Présentement, notre esprit est indompté, incontrôlé. Si nous lui disons : « Concentre-toi ! », il n’obéit pas, et si nous lui ordonnons : « Ne pense pas ! », il pense encore plus.
Comment stabiliser l’esprit ? Pas par la contrainte. Inutile de lui répéter : « Ne pense pas, ne pense pas, ne pense pas. » Il faut employer une technique, un entraînement. Cette technique est la méditation. Une fois la technique maîtrisée, il devient plus aisé d’entraîner notre esprit à pratiquer les paramitas et toute autre chose.
En ce moment, notre esprit est perturbé. Il est comme de l’eau polluée par des débris boueux. Comment nettoyer cette eau par des moyens naturels? Simplement en la laissant reposer. À l’époque, à défaut de système de purification, les gens conservaient l’eau dans des pots en terre. Peu à peu, le sable et la boue se déposaient au fond, car la vraie nature de l’eau est claire. Voilà pour la technique.
Nous passons notre vie à courir, courir, courir… Nous sommes stressés. Nous devons pacifier notre esprit, ralentir le rythme. Mais lorsque nous nous relâchons, nous risquons de tomber dans le sommeil ou la torpeur, un état bien différent de celui de la méditation. Il faut trouver l’équilibre : concentration et clarté d’esprit, accompagnées d’un soupçon de vivacité et de discernement.
Je dirais que c’est un peu comme conduire une voiture. Je suis un piètre conducteur. J’ai eu de très bons professeurs, mais ils avaient affaire à un cas désespéré ! Enfin, leurs efforts ont quand même porté leurs fruits car j’ai réussi le test à ma deuxième tentative. Je crois que l’examinateur a fait preuve d’indulgence : il ne m’a pas fait passer l’épreuve du stationnement. Du coup, je ne considère pas avoir réellement réussi l’examen et c’est pourquoi je n’ai pas pris le volant depuis. Je suis très fier d’avoir mon permis et je le montre à tout le monde, mais je ne conduis jamais !
Les professeurs peuvent vous aider à apprendre, mais là s’arrête leur rôle car c’est à vous de faire le travail. Vous devez être conscients de ce qui se passe autour de vous et en plus, vous devez être attentifs – tout en restant légèrement détendus. Ce n’est pas quelque chose qu’on peut vous apprendre et que vous pouvez mémoriser ; vous y arriverez en pratiquant, encore et encore.
Il en va ainsi de la plupart des formations pratiques. Il faut faire et refaire jusqu’à ce qu’un déclic se produise : « Ça y est! » Une compréhension conceptuelle ne suffit pas. Le propos n’est pas d’accumuler des connaissances, puisque vous savez déjà tout, mais d’apprendre comment faire en faisant.
Il en va de même pour la méditation.
Je crois qu’il est important de comprendre que la méditation n’est pas quelque chose de très compliqué. Un de mes maîtres, un grand khenpo, disait souvent : « Il n’y a rien de nouveau à comprendre. Tout cela est fort simple. » Simplement cela : être.
Lorsque nous parlons de méditer, de dompter l’esprit, nous faisons référence à la méditation shamatha, qui signifie calmer, pacifier, détendre. Vous pouvez maîtriser votre esprit et commencer à vous libérer des émotions négatives par la méditation shamatha mais, aussi profonde et puissante soit-elle, elle ne délogera pas totalement l’ignorance et, par conséquent, les émotions négatives. Shamatha seule ne peut vous extraire du samsara. C’est pourquoi vous avez besoin de vipashyana, la compréhension bouddhique.
Shamatha et vipashyana sont très semblables, mais aux fins de cette discussion, nous les placerons à des niveaux légèrement différents.
La méditation vipashyana nous invite à cultiver la sagesse, la sixième paramita. Vi est l’un des 21 préfixes sanskrits. Il signifie « plus », « beaucoup plus », « complètement ». Pashyana signifie « voir complètement ». Vipashyana consiste donc à voir la nature de tous les phénomènes, à voir les choses telles qu’elles sont.
Parfois, en shamatha, nous comparons l’esprit indompté à un éléphant sauvage. Vous courez derrière cet éléphant avec une corde et un crochet, mais l’éléphant a pour cavalier un singe ivre et vous ne pouvez pas l’attraper. Il n’est pas facile de contrôler un énorme éléphant sauvage. On ne peut pas faire « pschtt, pschtt » pour le chasser. Il est fort entêté. Parfois, il piétine tout sur son passage. Rien ne peut l’arrêter, surtout s’il est contrôlé par un singe fou et ivre. Les singes bondissent ici et là, ils ne restent jamais en place.
Notre esprit n’est pas différent : constamment affairé, parfois ingouvernable, et plutôt têtu. Notre esprit change tout le temps. Les pensées et les émotions s’y bousculent. S’il s’engage dans une certaine direction, on aura du mal à lui faire changer de cap. S’il est sous l’emprise d’émotions négatives, il peut faire beaucoup de tort aux autres et à soi-même. Il faut donc lui faire entendre raison, le dompter, le contrôler. Comment y parvenir ? Selon le bouddhisme, les seuls outils à notre disposition sont la conscience ordinaire (awareness) et la pleine conscience (mindfulness).
Quel est le sens de ces deux notions? Traditionnellement, le mot tibétain utilisé pour traduire « conscience ordinaire » est shéshyin. Shé signifie « savoir », et shyin, « continuer ». Shéshyin veut donc dire « savoir de façon continue ». « Pleine conscience », tenpa en tibétain, veut dire se souvenir, être conscient, et aussi savoir ce qui devrait se passer. Assis ici, conscient des personnes présentes, du soleil, de moi-même en train de parler, de ce qui se passe, je manifeste la conscience ordinaire.
La pleine conscience va un peu plus loin. C’est savoir ce qui se passe, mais aussi savoir quoi faire, comment agir dans l’instant. Ce n’est pas seulement être concentré. Lorsque nous regardons un film, nous sommes totalement concentrés, mais ce n’est pas de la méditation, car nous ne sommes pas conscients de ce qui est en train de se passer dans notre esprit.
Ce sont là les deux outils de la méditation. Quelle que soit notre pratique, nous n’avons que ces deux outils à notre disposition.

Ringu Tulku Rinpoché est un maître bouddhiste tibétain de l’ordre Kagyu. Il a été reconnu à l’âge de cinq ans comme un maître réincarné (tulkou) et a reçu les enseignements et les instructions de nombreux grands maîtres tels que Sa Sainteté le 16e Gyalwa Karmapa et Sa Sainteté Dilgo Khyentsé Rinpoché. Depuis 1990, il voyage et enseigne le bouddhisme et la méditation dans plus de 50 universités, instituts et centres bouddhistes en Europe, aux États-Unis, au Canada, en Australie et en Asie. Il est l’auteur de plusieurs livres.