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Le bonheur de donner et de partager

Photo du rédacteur: Sagesses BouddhistesSagesses Bouddhistes

Fuse 布施


Avec l’aimable autorisation de ©sotozen.com

 

 

1 – Le fait de donner (fuse, en japonais)

 

Selon la traduction officielle du Shushogi par la Sôtôshû, « donner » signifie « ne pas convoiter », mais partager. Les gens sont encouragés à donner, car « en principe... rien n’appartient vraiment à quelqu’un ». Tout, dans la vie de quelqu’un, existe pour être partagé, pas pour être possédé dans un intérêt personnel. Lorsqu’on contemple les racines de la souffrance de l’humanité, on voit un attachement égoïste inné aux choses qui alimente le cycle vicieux des naissances et renaissances. C’est aussi le désir apparemment insatiable et incontrôlable de l’être humain de posséder des choses qui empêche souvent les gens de donner et de partager des choses, matérielles et immatérielles. Dans le Shushogi, on peut lire : « nous devrions donner même cinq centimes ou quelques brins d’herbe de nos ressources, car cela aidera à établir de bonnes racines dans cette vie, ainsi que dans la vie suivante. Sans rechercher de récompense ou de remerciements, nous partageons simplement notre force avec les autres ».

Quand les gens effectuent l’acte de donner une part de leur identité profonde, leurs actions les mènent naturellement à comprendre et à apprécier la valeur de ce qu’ils possèdent. Plus important encore, cela leur fournit l’occasion d’améliorer la conscience de leur existence dans ce monde régi par l’interdépendance. Il est très difficile de vivre sans être interdépendant. Les gens croient souvent qu’ils peuvent vivre leur existence quotidienne de manière indépendante car ils gèrent leur routine selon leurs propres autorité et capacité. Cependant, ils ne sont pas complètement indépendants dans un monde interdépendant, car même un besoin primaire dans la vie (la nourriture) dépend de l’interaction avec d’autres personnes. Par exemple, l’assiette de haricots cuisinés sur la table provient des mains qui l’ont préparée. Les mains qui ont préparé la nourriture ont acheté les haricots chez l’épicier au marché. L’épicier au marché s’est procuré les denrées chez un grossiste. Le grossiste s’est procuré les haricots auprès d’un agriculteur qui les a fait pousser. Les haricots proviennent des plantes poussant à la ferme. C’est un exemple d’interdépendance. Chacun pourra trouver les multiples manières dont il est dépendant des autres, ou même de l’environnement autour de lui. En vérité, il y a de nombreuses personnes qui ne peuvent entretenir leur vie que grâce aux autres. Ainsi, il est facile de comprendre comment la pratique du don est une manière positive et pleine de compassion de se lier et d’interagir avec les autres.

 



« Le véritable esprit du don n’est pas seulement dirigé vers les autres, mais aussi vers soi-même. »

 



Le mot sanscrit originel pour le fait de donner est dana. En japonais, dana est traduit par fuse, c’est-à-dire « profondément apprécié ». Ce terme est utilisé quand on donne de l’argent, ce qui est nommé fuse ou ofuse. Ainsi, donner généreusement sous la forme de dons monétaires implique une profonde appréciation. Le fait de donner est d’une importance cruciale, pas seulement pour partager des choses matérielles comme la nourriture, l’argent, des objets de valeur, des ressources ou une technologie moderne, mais aussi pour partager l’immatériel : l’esprit de générosité. Dans la tradition japonaise ancienne, une personne qui pratiquait dana était appelée Danna sama. Danna sama ne signifie pas un homme qui est paresseux et qui ne fait rien d’autre que donner des ordres. Plutôt, la réelle signification de Danna sama est quelqu’un qui partage et fournit généreusement et inconditionnellement, par l’intermédiaire des pensées, des sentiments, des mots ou des actions. Sans générosité, le don n’est pas une vraie forme de partage. Ainsi, la générosité est comme une couverture chaude qui rend le don réconfortant. Cependant, donner avec générosité du fond du cœur est une action désintéressée et englobante que les gens doivent pratiquer dans leur vie quotidienne. Le Bouddha n’a pas commandé aux êtres humains de faire ou de ne pas faire quelque chose. Au contraire, au lieu de donner des ordres aux humains, il a conseillé à ses disciples de faire le bien en exécutant quelque chose de positif et de significatif, avec des sentiments et des pensées purs provenant d’un esprit et d’une âme désintéressés. Ce qu’une personne fait pour les autres doit être inconditionnel et provenir de sa propre nature bouddhique. « Donner » sans rechercher de récompense, l’essence de l’idéal du bodhisattva, force l’individu à fournir de l’aide pour éliminer toute forme de souffrance. Le don compassionnel émeut le cœur d’une personne à la vue de la souffrance d’autrui. Le fait de donner à quelqu’un de chaudes pensées affectueuses peut être comparé à l’amour inconditionnel d’une mère pour son enfant, même au point de se sacrifier soi-même. La volonté de quelqu’un de donner sans hésitation s’accompagne d’une grande compassion et d’amour pour sauver tous les gens, par tous les moyens possibles. Le véritable esprit du don n’est pas seulement dirigé vers les autres, mais aussi vers soi-même. Cette qualité provient de la réalisation parfaite de l’unité de la vie. Et c’est cette qualité qui élève un être humain à un statut supérieur à celui d’un animal. La vie sans esprit de don est en fait comme une machine sans huile. Il est intéressant de remarquer qu’ici à Hawaï, le mot aloha est une expression qui exprime de nombreuses choses, de « bonjour », « bienvenue » à « au revoir » et « je t’aime ». Ce qui est commun dans toutes les utilisations du mot aloha est le sentiment intérieur de cœur et d’esprit ouverts, pour donner et recevoir de tout son cœur, sans préjudice ou condition. De la même manière, dans l’esprit du bouddhisme, le don inconditionnel doit provenir de notre esprit et de notre cœur ouverts. Chaque jour, les gens ont de nombreuses opportunités de mettre cela en pratique. Un esprit ouvert et un cœur ouvert doivent être tolérants, compréhensifs, compatissants et désireux de partager le Dharma. Si les gens partagent avec un cœur ouvert et un esprit ouvert, « l’esprit d’aloha » va indubitablement se manifester par lui-même.

 

« Un esprit ouvert et un cœur ouvert doivent être tolérants, compréhensifs, compatissants et désireux de partager le Dharma. »

 

Bien qu’il soit très difficile de faire s’éveiller le Bouddha qui est en nous, tout effort dans ce sens doit être fait. Mettre en pratique les enseignements du Bouddha concernant l’amour, la clémence et la compassion est quelque chose que n’importe qui peut effectuer. Cela n’est pas limité à la communauté du temple, c’est ouvert sur le monde. Toute vie est précieuse et ne doit pas être gâchée. Donnez, dites des mots gentils, aidez les autres et coopérez, pas pour un gain personnel, qu’il soit matériel ou spirituel, mais plutôt seulement pour l’intérêt de l’acte en lui-même. Plutôt qu’un moyen servant un but, la pratique correcte est, par essence, un but en elle-même. C’est la vraie pratique du bouddhisme et l’idéal du bodhisattva.

J’ai été bouleversé, il y a peu, en visitant un hospice, par une rencontre inattendue avec une patiente souffrant d’un cancer en phase terminale à qui j’ai prodigué des prières et des mots d’encouragement. Elle avait 70 ans et était plutôt alerte. Elle m’a accueilli et m’a souhaité la bienvenue, en disant qu’elle était très contente de ma visite hebdomadaire. Après quelques minutes de conversation nous avons récité ensemble la prière des Trois Refuges (Sanki Rai Mon) et le Sutra de Kannon de la Vie intemporelle (Enmei Jikku Kannon Gyo) en dix vers avec son chapelet juzu sur ses mains qui étaient en gassho.



Après avoir récité les sutras, elle a fermé les yeux et plusieurs minutes se sont écoulées ; avec un sourire léger mais joyeux elle m’a regardé et m’a dit doucement : « Merci de prier pour moi. Maintenant je me sens calme et tous mes ennuis semblent avoir disparu. Je me sens beaucoup mieux, dynamisée. Je me sens bénie et entourée. Je n’ai plus peur d’être seule même si je vais peut-être devoir partir très bientôt. Maintenant je sens que je suis spirituellement avec le Bouddha et que ma famille est aussi avec moi. Je suis heureuse d’être en vie aujourd’hui et je veux partager avec vous ce précieux sentiment de gratitude. Je suis aussi reconnaissante pour tous les bienfaits que j’ai reçus pendant ma vie, de mes parents, grands-parents, enfants, petits-enfants et amis. Je suis si reconnaissante. Je n’ai aucun regret. »

Avec ses mains en gassho, elle a hoché la tête et m’a dit doucement : « Merci, je me sens si arigatai(reconnaissante). » Des larmes plein les yeux, quelques minutes de silence se sont écoulées et elle a continué de sa douce voix : « Révérend Komagata, je suis si reconnaissante pour vos visite et prières hebdomadaires. Oh, j’aimerais pouvoir vous offrir quelque chose en signe de reconnaissance mais j’ai peur de ne rien avoir à vous donner. Honto ni gomen nasai (« Je suis sincèrement désolée »). Je ne sais pas si je serai toujours en vie demain mais tant que je vis aujourd’hui, pourrais-je prier pour vous, maintenant ? C’est tout ce que j’ai à vous offrir. » Et de sa voix calme elle a prié pour ma santé et mon bonheur. J’étais bouleversé mais je me suis ressaisi, j’ai souri et je lui ai dit : « Merci. » Elle a répondu d’un sourire doux et charmant et a chuchoté : « Merci. » Ce sont les derniers mots qu’elle m’a adressés. Le lendemain matin sa famille m’a appelé pour me dire qu’elle était décédée paisiblement. La vie est précieuse. Chaque moment vécu est précieux quel que soit l’état physique de la personne. Cette femme, donc, a vécu au maximum, même si elle savait que sa vie se terminait. Son désir désintéressé de partager avec moi ses sincères pensées de gratitude en m’offrant des prières était admirable. J’étais allé la voir pour l’encourager à vivre positivement ce moment spécial de sa vie ; en fait, elle a montré avec dignité que, même dans les circonstances extrêmement difficiles liées à sa propre mort, elle pouvait ressentir de la joie en pratiquant, en offrant quelque chose à quelqu’un, d’une manière dévouée corps et âme. C’est le plus bel acte de « don » que j’aie jamais reçu de la part de quelqu’un.

L’essence fondamentale du don doit être pratiquée dans notre vie quotidienne par l’intermédiaire de nos actions physiques, des paroles que nous prononçons et des pensées que nous avons. C’est une pratique du vœu du bodhisattva de don et de partage. Cela n’est pas compliqué. Tout ce que nous devons faire est pratiquer l’acte du don sincèrement, d’une manière naturelle et ordinaire, sans préjudice ou condition.



Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°19 (Automne 2021)

 

Le révérend Shugen Komagata est un enseignant de la Sôtôshû. Il est le responsable du temple zen Sôtô Shoboji situé à Hawaï et l’actuel directeur du Bureau hawaïen du bouddhisme zen Sôtô.

Dans le quatrième chapitre du Shushogi, la compilation moderne de passages empruntés à l’œuvre la plus importante de l’éminent ancêtre Dôgen, le Shobogenzo, il y a les quatre méthodes intégratives des bodhisattvas (Shishobo) qui bénéficient à tous les êtres vivants : 1) le fait de donner (fuse), 2) le discours aimable (aigo), 3) les actions bénéfiques (rigyo) et 4) la coopération (doji). Ce sont les pratiques des vœux du bodhisattva, les actions que l’on exécute dans l’intérêt des autres, sans penser à obtenir quoi que ce soit en retour.

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