Par Ajahn Jayasaro
Traduction : Jeanne Schut
La pratique quotidienne de la méditation est au cœur de notre effort pour abandonner l’ignorance et le désir malsain. Je recommande de faire, en priorité, une méditation tôt le matin. Tôt le matin, vous êtes reposé, le monde est encore calme, vous n’avez pas encore trop de préoccupations dans la tête et, plus important, vous aurez l’occasion d’observer les effets de la méditation pendant le reste de la journée. Par contre, si votre principal temps de méditation est le soir, vous serez probablement déjà fatigué, vous n’aurez donc pas l’esprit très clair – surtout si vous avez dîné avant –, et puis ensuite vous irez vous coucher. À ce moment-là, c’est comme la fin d’un chapitre de votre vie, de sorte que vous n’aurez pas l’occasion de voir aussitôt les effets bénéfiques de la méditation.
Alors soyez patient. Si vous n’êtes pas trop accroché à l’idée d’atteindre l’éveil immédiatement ou d’obtenir rapidement les bienfaits d’une méditation « élevée » et que vous savez apprécier une amélioration dans la qualité de votre vie, alors vous verrez évoluer la qualité de votre cœur et de votre esprit : vous vous sentirez un peu plus présent, plus enraciné, plus gentil, plus patient, moins irritable, moins enclin à la colère. Vous aurez un sentiment général de contentement et toutes ces modestes améliorations dans votre vie vous donneront le désir sain de poursuivre la pratique de la méditation.
C’est ainsi que l’on nous apprend à suivre le chemin spirituel : une chose à la fois, sans imaginer tout un ensemble merveilleux. Donc, même si votre esprit n’est pas encore paisible, s’il y a encore beaucoup de pollutions mentales, trouvez un moyen d’apprécier le chemin que vous faites sans mettre tous vos espoirs dans le bonheur que vous pourriez trouver à l’avenir.
Comme je l’ai dit, il n’est pas facile de méditer mais, si nous considérons la pratique comme un processus d’apprentissage et que nous commençons à constater un changement d’attitude face aux difficultés que nous rencontrons, la pratique cesse bientôt d’être une contrainte et devient beaucoup moins laborieuse. Les obstacles que nous rencontrons dans la méditation n’apparaissent pas à cause de la méditation ; ils apparaissent en continu, dans notre vie quotidienne, et nous créent des problèmes. On peut comparer cela au fait de suivre un objet en mouvement sur un fond de couleurs mêlées. C’est très difficile. En revanche, si le fond est blanc, il est beaucoup plus facile de distinguer l’objet même s’il bouge. L’objet de méditation est donc volontairement très simple. Il ne suscite aucun intérêt particulier : c’est la simple sensation de la respiration. Comme le fond blanc d’un décor, cette simplicité met en évidence les pollutions mentales qui sont toujours présentes dans le décor de notre vie mais que nous ne sommes pas capables d’identifier habituellement. Donc savoir reconnaître les obstacles et trouver des moyens habiles pour mieux les traquer, c’est développer une capacité très enrichissante.
Il est important de connaître la façon dont vous réagissez car si ces réactions vous sont habituelles quand vous ressentez une douleur physique en méditation, elles se manifesteront aussi dans le quotidien quand vous devrez faire face à quelque chose de désagréable, que ce soit physique ou mental. En méditation, vous avez l’occasion d’observer beaucoup plus clairement les réactions mentales assez complexes qui ont lieu dans la vie de tous les jours.
Si nous nous sentons souvent insatisfaits et malheureux dans la vie, c’est à cause d’un manque de clarté par rapport à la nature de nos ressentis et de notre incapacité à accepter ce qui est tel que c’est, avec patience, compréhension et gratitude.
Je voudrais souligner encore à quel point il est important d’avoir une pratique de méditation soutenue. Certaines personnes commencent par s’enthousiasmer : elles sont inspirées par un enseignement et méditent beaucoup pendant un certain temps, puis leur énergie tombe et tout dégringole. C’est un peu comme apprendre une langue : on peut découvrir beaucoup de vocabulaire si on est entouré de gens qui parlent la langue mais on oublie tout très vite une fois rentré chez soi. Il est donc plus important de prendre l’engagement de s’asseoir tous les jours, même pendant peu de temps, et de maintenir cette continuité que de méditer des heures durant et puis de cesser pendant quelque temps pour reprendre ensuite, etc.
D’autre part, le succès d’un temps de méditation est très conditionné par la qualité d’attention que l’on aura développée en dehors de ce temps de méditation. C’est pourquoi je vous suggère d’essayer de développer une pratique de mini-méditations tout au long de la journée. Imaginons que vous soyez assis devant un écran d’ordinateur et que vous commenciez à vous ennuyer : au lieu d’aller vous distraire sur internet, retirez vos mains du clavier et observez votre respiration pendant quelques minutes. On peut aussi pratiquer la méditation en montant et descendant des escaliers ou en allant d’un bâtiment à un autre. Quand vous êtes debout dans un ascenseur, au lieu de regarder dans le miroir, observez votre respiration. Si vous arrivez à trouver de brefs temps de présence, comme cela, même au milieu d’une journée active – trente secondes ici, deux minutes là – vous pouvez revenir à vous-même et maintenir un courant de présence consciente tout au long de la journée. Ensuite, quand vous avez le temps de faire une méditation formelle, assis ou en marchant, vous avez l’impression de poursuivre une pratique et non de repartir de zéro.
Extrait des enseignements donnés en France en juin 2010
Remerciements à www.dhammadelaforet.org/
Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°19 (Automne 2021)

Ajahn Jayasaro est né sur l’île de Wight (Royaume-Uni) en 1958. En 1980, il est ordonné bhikkhu avec le vénérable Ajahn Chah comme précepteur. Il vit actuellement dans un ermitage au pied des montagnes de Khao Yai, non loin de Bangkok, en Thaïlande.