Par Jack Kornfield

Lors d’une retraite de méditation il y a plusieurs années, tard un soir après un enseignement, une femme a levé la main et posé une dernière question : « La réalisation de l’Éveil[1] n’est-elle qu’un mythe ? » Lorsque nous, enseignants, sommes retournés à notre réunion du soir, nous nous sommes posé cette question les uns aux autres. Nous avons échangé des histoires sur la liberté créative d’Ajahn Chah, l’énorme aura d’amour et de bienveillance qui émanait de Dipa Ma, le rire joyeux de Poonja, et sur nos propres expériences d’éveils. Bien sûr, l’éveil existe.
Mais le mot « éveil » est utilisé de différentes manières, et cela peut prêter à confusion. L’éveil dans les traditions zen, tibétaine, hindoue ou theravada est-il le même ? Quelle est la différence entre une expérience d’éveil et le plein éveil ? À quoi ressemblent les personnes éveillées ?
Des approches de l’éveil
À mes débuts, lorsque je pratiquais en Asie, j’ai été obligé de faire face à ces questions de manière assez directe. Mes enseignants, Ajahn Chah en Thaïlande et Mahasi Sayadaw en Birmanie, étaient tous deux considérés comme les plus grands maîtres éveillés du bouddhisme theravada. Bien qu’ils aient tous deux décrit le but de la pratique comme étant la libération de l’avidité, de la haine et de l’illusion, ils n’étaient pas d’accord sur la façon d’atteindre l’illumination, ni sur la façon d’en faire l’expérience. J’ai commencé ma formation monastique en pratiquant en communauté avec Ajahn Chah. Puis je suis allé étudier dans un monastère de Mahasi Sayadaw, où la voie de la libération est entièrement axée sur de longues retraites de méditation silencieuse.
Dans le système de Mahasi, on pratique la méditation assise et la méditation en marchant dans le contexte des semaines de retraite, et on note continuellement l’apparition des mouvements de la respiration, de la pensée, des sentiments et des sensations, encore et encore, jusqu’à ce que la conscience soit si affinée qu’il n’y ait rien d’autre que l’apparition et la disparition instantanées. Vous passez par des étapes de clarté, de joie, de peur et de dissolution de tout ce que vous pensiez être solide. L’esprit devient immobile, reposant dans un lieu de calme et d’équanimité, transparent à toute expérience, toutes pensées et peurs, tous désirs et amour. Il en résulte un abandon de l’identification avec tout ce qui se trouve dans ce monde, une ouverture à l’inconditionné au-delà de l’esprit et du corps ; vous entrez dans le courant de la libération. Comme l’enseigne Mahasi Sayadaw, ce premier aperçu de l’entrée dans le courant de l’illumination demande une purification[2] et une forte concentration conduisant à une expérience de cessation qui commence à déraciner l’avidité, la haine et l’illusion.
« La méditation est un moyen de calmer l’esprit afin de pouvoir pratiquer tout au long de la journée, où que l’on soit ; de voir quand il y a saisie ou aversion, accrochage ou souffrance ; puis de laisser passer cela. »

Lorsque je suis revenu à la pratique dans la communauté d’Ajahn Chah après plus d’un an de retraite silencieuse avec Mahasi Sayadaw, je lui ai raconté toutes ces expériences — la dissolution de mon corps dans la lumière, les profonds aperçus de la vacuité, les heures de vaste immobilité et de liberté. Ajahn Chah les a comprises et appréciées à partir de sa propre sagesse profonde. Puis il a souri et a dit : « Eh bien, encore quelque chose à lâcher. » Son approche de l’illumination n’était pas basée sur le fait d’avoir une expérience de méditation particulière, aussi profonde soit-elle. Comme Ajahn Chah les décrivait, les états méditatifs ne sont pas importants en eux-mêmes. La méditation est un moyen de calmer l’esprit afin de pouvoir pratiquer tout au long de la journée, où que l’on soit ; de voir quand il y a saisie ou aversion, accrochage ou souffrance ; puis de laisser passer cela. Ce qui reste est l’illumination, que l’on trouve toujours ici et maintenant, une libération de l’identification aux conditions changeantes du monde, un repos dans la conscience. Cela implique un changement d’identité simple mais profond, qui consiste à passer de la myriade d’états conditionnés, en constante évolution, à la conscience inconditionnée — la conscience qui les connaît tous. Dans l’approche d’Ajahn Chah, la libération de l’enchevêtrement fait d’avidité, d’aversion et d’illusion ne se produit pas par la retraite, la concentration et la cessation, mais par ce profond changement d’identité.
Comment pouvons-nous comprendre ces approches apparemment différentes de l’illumination ? Les textes bouddhistes contiennent certaines de ces mêmes descriptions contrastées. Dans de nombreux textes, le nirvana est décrit dans le langage de la négation et, comme dans l’approche enseignée par Mahasi Sayadaw, l’illumination est présentée comme la fin de la souffrance par l’extinction des feux du désir, le déracinement de toutes les formes d’attachement. L’élimination de la souffrance se pratique par la purification et la concentration, en affrontant les forces de l’avidité et de la haine et en les surmontant. Lorsqu’on demanda au Bouddha : « Enseignez-vous l’anéantissement ? Le nirvana est-il la fin des choses telles que nous les connaissons ? », il répondit : « Je n’enseigne qu’une seule forme d’anéantissement : l’extinction de l’avidité, l’extinction de la haine, l’extinction de l’illusion. C’est ce que j’appelle le nirvana. »
On trouve également dans les textes une façon plus positive de comprendre l’éveil. Ici, le nirvana est décrit comme le bonheur le plus élevé, comme la paix, la liberté, la pureté, le calme, et comme l’inconditionné, l’intemporel, l’éternel. Dans cette conception, comme dans l’approche d’Ajahn Chah, la libération passe par un changement d’identité — une libération de l’attachement aux conditions changeantes du monde, un repos dans la conscience elle-même, la non-mort, la non-naissance. Dans cette conception, la libération est un changement d’identité qui consiste à ne plus prendre quoi que ce soit pour « soi ». J’ai trouvé une pratique similaire à Bombay avec Sri Nisargadatta, un maître de l’Advaita[3]. Ses enseignements soulignaient l’importance de ne plus s’identifier à l’expérience en se posant en conscience, où que l’on soit. Ils n’insistaient pas sur la suppression de l’avidité et de la haine. En fait, lorsqu’on lui demandait s’il lui arrivait de s’impatienter, Nisargadatta expliquait joyeusement : « Je vois, j’entends et je goûte comme vous, je ressens la faim et la soif ; si le déjeuner n’est pas servi à l’heure, même l’impatience va s’élever. Je perçois tout cela très clairement, mais d’une certaine manière, je ne suis pas dedans. Je suis conscient de tout cela et j’ai le sentiment d’une immense distance. L’impatience surgit ; la faim surgit. Même lorsque la maladie et la mort de ce corps surviendront, elles n’auront rien à voir avec ce que je suis. » C’est l’éveil en tant que changement dans la perception de l’identité.

Nous avons donc ici différentes représentations de l’éveil. D’une part, nous avons la libération de l’avidité, de la haine et de l’illusion, atteinte par une concentration et une purification puissantes, soulignée par de nombreux maîtres, de Mahasi et Sunlun Sayadaw au zen Rinzai. D’autre part, nous avons le changement dans la manière de percevoir, reflété dans les enseignements d’Ajahn Chah, de Buddhadasa, du zen Soto et du Dzogchen. Et il existe de nombreuses autres approches ; si vous pratiquez le bouddhisme de la Terre pure, qui est la tradition la plus répandue dans le monde, l’approche de l’éveil implique la dévotion et l’abandon, en étant porté par la « bénédiction » du Bouddha.
Pour comprendre ces différences, il est plus sage de parler de l’éveil avec un s pluriel — comme les éveils. Il en va de même pour Dieu. Il en existe tant de formes : Jéhovah, Allah, Brahma, Kali et ainsi de suite. Dès que les adeptes disent connaître le seul vrai Dieu, les conflits surgissent. De même, si vous parlez de l’éveil comme d’une seule chose, le conflit surgit et vous passez à côté de la vérité.
Tout comme la nature de la lumière, qui est faite de particules et d’ondes, la conscience de l’éveil est expérimentée d’une myriade de façons magnifiques.
Nous savons que le Bouddha a enseigné de nombreuses approches différentes de l’éveil, qui sont toutes des moyens habiles de se libérer de l’emprise du sens limité du moi et de revenir à la pureté inhérente de la conscience. De même, nous allons découvrir que les enseignements sur la conscience éclairée comprennent de nombreuses dimensions. Lorsque vous faites réellement l’expérience d’une conscience libre de toute identification à des conditions changeantes, libérée de l’avidité et de la haine, vous découvrez qu’elle a de multiples facettes, comme un mandala ou un joyau, un cristal aux multiples facettes. À travers une facette, le cœur éveillé brille comme une clarté lumineuse, à travers une autre comme une paix parfaite, à travers une autre encore comme une compassion illimitée. La conscience est intemporelle, toujours présente, complètement vide et pleine de toutes choses. Mais lorsqu’un enseignant ou une tradition met l’accent sur une seule de ces qualités au détriment des autres, il est facile de s’y perdre, comme si le véritable éveil ne pouvait être goûté que d’une seule façon. Tout comme la nature de la lumière, qui est faite de particules et d’ondes, la conscience de l’éveil est expérimentée d’une myriade de façons magnifiques.
Les portes de l’illumination
Quelles sont donc les pratiques qui mènent à l’illumination ? Le bouddhisme utilise principalement les pratiques libératrices de la pleine conscience et de l’amour bienveillant. Ces pratiques sont soutenues par la pratique de la vertu, qui nous libère des énergies réactives susceptibles de nous nuire ou de nuire à autrui. À cela s’ajoutent les pratiques du calme, ou de la concentration, où nous apprenons à apaiser l’esprit ; et les pratiques de la sagesse, qui permettent de voir clairement comment toutes les choses surgissent et passent, comment elles ne peuvent être possédées. Ces pratiques permettent la purification et la guérison, ainsi que l’émergence d’une profonde compassion. Progressivement, il y a un changement de la perception, de celle d’une personne prise dans la souffrance à celle d’une personne en chemin vers la libération. La libération du sentiment de soi et de toutes les conditions changeantes du monde permet l’entrée dans le courant, la première étape de l’illumination.
Les accès les plus courants à l’entrée dans le courant dans la tradition theravada sont la porte de l’impermanence, la porte de la souffrance[4] et la porte de l’impersonnel (non-soi). Lorsque nous passons par la porte de l’impermanence, nous voyons de plus en plus profondément comment chaque expérience naît et meurt, comment chaque moment est nouveau. Dans un monastère où j’ai pratiqué, nous étions entraînés à expérimenter comment la vie tout entière est variation et vibration. Grâce à de longues heures de concentration affinée, nous en sommes venus à ressentir tous les sons et les images, la respiration, la succession des pensées — tout ce que nous prenions pour nous-mêmes — comme un champ d’énergie changeante. L’expérience chatoyait, se dissolvant instant après instant. Puis nous avons détourné notre attention des vibrations pour nous reposer dans le cœur spacieux de la conscience. Moi et l’autre, l’intérieur et l’extérieur — toutes les frontières disparaissaient et nous apprenions à connaître le vaste silence au-delà de tout changement. C’est l’éveil par la porte de l’impermanence.
Nous pouvons parfois entrer dans le courant par la porte de la souffrance. Nous nous asseyons dans le feu de l’expérience humaine et, au lieu de le fuir, nous nous éveillons à travers lui. Dans le Sermon du feu, le Bouddha déclare : « Tout brûle. L’œil, le nez, la langue, le corps, l’esprit, le monde brûle. Avec quoi brûle-t-il ? Il brûle des feux de l’avidité, de la haine et de l’illusion. » Par la porte de la souffrance, nous faisons face aux feux du désir, de la haine, de la guerre, du racisme et de la peur. Nous nous ouvrons à l’insatisfaction, au chagrin et à la perte. Nous acceptons la souffrance inhérente à la vie et nous sommes libérés. Nous découvrons que la souffrance n’est pas « notre » douleur, mais « la » douleur — la douleur du monde. Un profond sentiment de sérénité s’installe, la compassion remplit le cœur et nous sommes libérés.

Mon ami Salam, journaliste et militant palestinien, a franchi la porte de la souffrance lorsqu’il a été brutalement battu dans les prisons israéliennes. Ce type de souffrance se produit dans tous les camps en temps de guerre. Lorsque j’ai rencontré Salam pour la première fois à San Francisco, il avait reçu une distinction honorifique pour son engagement dans les soins palliatifs. Je lui ai alors demandé ce qui l’avait amené à faire ce travail. « Une fois, je suis mort », m’a-t-il dit. Frappé par un gardien, il gisait sur le sol de la prison, du sang sortant de sa bouche, et sa conscience flottait hors de son corps. Soudain, il s’est senti très paisible — une sorte de béatitude — en voyant qu’il n’était pas ce corps. « J’étais tellement plus : J’étais la botte et le garde, la chèvre qui appelait à l’extérieur des murs du poste de police. J’étais tout cela », m’a dit Salam. « Quand je suis sorti de prison, je ne pouvais plus prendre parti. J’ai épousé une femme juive et j’ai eu des enfants juifs-palestiniens. Voilà ce que je peux vous dire. » Il explique : « Maintenant, je m’assieds avec des gens qui sont sur le point de mourir. Ils ont peur et je peux leur tenir la main et les rassurer en leur disant que c’est parfaitement sans danger. » Salam s’est éveillé par la porte de la souffrance.
Parfois, nous nous éveillons par la porte du non-soi. L’expérience du non-soi peut se produire de la manière la plus simple qui soit. Dans la méditation marchée, nous remarquons à chaque pas l’apparition spontanée de pensées, de sentiments, de sensations, pour ensuite les voir disparaître. À qui appartiennent-ils ? Où vont-ils ? Dans le vide, là où est passé notre vécu d’hier, ainsi que notre enfance, Socrate, Gengis Khan et les bâtisseurs de pyramides. Lorsque nous lâchons prise, nous ressentons le non-soi initial des choses. Parfois, les frontières se dissolvent, et nous ne pouvons plus nous séparer du prunier, du chant des oiseaux ou de la circulation du matin. L’ensemble du sentiment de soi devient une expérience vide qui surgit dans la conscience. De plus en plus profondément, nous réalisons la joie de « pas de soi, pas de problème ». Nous goûtons à l’illumination par la porte du non-soi et de la vacuité.
Il existe de nombreuses autres portes : les portes de la compassion, de la pureté, de l’abandon, de l’amour. Il existe également ce que l’on appelle la « porte sans porte ». Un enseignant la décrit comme suit : « Je partais pour des mois de formation en retraite, et rien de spectaculaire ne se produisait, pas de grandes expériences. Pourtant, d’une manière ou d’une autre, tout changeait. Ce qui m’a le plus transformé, ce sont les heures interminables passées à faire preuve de pleine conscience et de compassion, à accorder une attention bienveillante à ce que je faisais. J’ai découvert comment je saisissais, je m’agrippais et déformais automatiquement tout ce qui passait à ma portée en ce monde. Avec cette prise de conscience, j’ai commencé à lâcher prise, à m’ouvrir à l’appréciation de tout ce qui était présent. J’ai trouvé une certaine aisance. J’ai renoncé à m’efforcer. Je suis devenu moins sérieux, moins préoccupé par moi-même. Ma gentillesse s’est approfondie. J’ai fait l’expérience d’une profonde liberté, simplement le fruit d’être présent encore et encore. » C’était son portail sans porte.
Expressions de l’éveil
Quelle que soit notre porte d’accès à l’illumination, le premier véritable aperçu, l’entrée dans le courant, est suivi de nombreux autres aperçus alors que nous apprenons à stabiliser, à approfondir pour incarner cette sagesse dans notre vie singulière. À quoi cela ressemble-t-il ? Les facettes de l’illumination s’expriment merveilleusement chez nos enseignants. Chacun manifeste l’illumination selon sa propre saveur.
Mahasi Sayadaw, le maître birman, a exprimé l’éveil comme étant la vacuité. En l’observant lors de ses visites en Amérique, nous avons constaté qu’il riait ou jugeait rarement. Au contraire, il dégageait une équanimité tranquille. Les événements et les conversations se déroulaient autour de lui alors qu’il restait immobile. Il était comme l’espace — transparent, il n’y avait personne. C’est l’éveil en tant que vacuité.
Thich Nhât Hanh exprime l’éveil en tant que pleine conscience. Lorsqu’il venait enseigner à Spirit Rock, 3 000 personnes étaient assises tranquillement sur le flanc de la colline et mangeaient leurs pommes en pleine conscience en prévision de son arrivée. Une cloche sonnait, et il marchait lentement et intentionnellement sur la route — si attentivement que tout le monde poussait un soupir : « Ahhh ». La conscience de 3 000 personnes se transformait rien qu’en voyant cet homme marcher, chaque pas contenant l’univers entier. En regardant, nous entrions dans la réalité de l’éternel présent. C’est là que nous nous éveillons. L’éveil en tant que pleine conscience.
Le Dalaï-Lama exprime l’éveil comme une bénédiction pleine de compassion. Par exemple, à la fin de son séjour dans un hôtel de San Francisco, il a demandé à la direction de faire sortir tous les employés. Cela incluait les personnes qui coupent les légumes en cuisine, ceux qui nettoient les tapis tard le soir, ceux qui font les lits. La grande allée circulaire s’est remplie de toutes les petites mains qui faisaient fonctionner cet hôtel mais qui n’étaient généralement pas considérées. Un par un, il a regardé chacun avec une pleine présence, leur a pris la main et leur a dit « Merci », en se déplaçant sans se presser, juste pour s’assurer qu’il était pleinement connecté avec chacun. Le Dalaï-Lama personnifie l’éveil comme une bénédiction compatissante.
« Alors, l’éveil est-il un mythe ? Non. Il n’est pas lointain. C’est la liberté ici et maintenant, à goûter dès que vous vous y ouvrez. »
La manifestation d’Ajahn Chah était le rire de la sagesse. Que ce soit avec des généraux ou des ministres, des fermiers ou des cuisiniers, il disait : « Quand je vois combien les gens se débattent, je les regarde avec beaucoup de sympathie et leur demande : "Est-ce que vous souffrez ? Ahhh, vous devez être très attaché. Pourquoi ne pas lâcher prise ?" » Ses enseignements étaient profonds et allaient droit au but. Il disait : « Si vous lâchez un peu, vous serez un peu heureux. Si vous lâchez beaucoup, vous serez très heureux. Si vous lâchez complètement, vous serez complètement heureux. » Il voyait la souffrance, sa cause, et que la liberté est possible à chaque instant. Il a exprimé l’éveil comme une sagesse.
Lorsque les gens lisent ces histoires, ils peuvent se demander : « En quoi cela me concerne-t-il ? Je veux ces éveils. Comment puis-je les obtenir ? Que dois-je faire ? » Le joyau de l’éveil nous invite à nous éveiller par de nombreux moyens habiles. Mahasi Sayadaw dirait : « Pour trouver la vacuité, notez chaque instant jusqu’à ce que ce que vous considérez être le monde se dissolve, et vous arriverez à connaître la liberté. » Ajahn Chah dirait : « Lâchez prise, et devenez la conscience, soyez celui qui sait. » Dipa Ma dirait : « Aimez quoi qu’il arrive. » Thich Nhât Hanh dirait : « Reposez-vous dans la pleine conscience, cet instant, l’éternel présent. » Ajahn Jumnien dirait : « Soyez heureux sans raison. » Suzuki Rôshi dirait : « Soyez exactement là où vous êtes. Au lieu d’attendre le bus, réalisez que vous êtes dans le bus. »
Alors, l’éveil est-il un mythe ? Non. Il n’est pas lointain. C’est la liberté ici et maintenant, à goûter dès que vous vous y ouvrez. Dans mon rôle d’enseignant, j’ai le bonheur de voir la bénédiction de l’éveil se développer chez tant de méditants qui viennent à la pratique du Dharma et se transforment au travers de ses nombreuses expressions. Alors que leurs difficultés et leurs tensions premières face à la vie, leurs doutes et leur détresse s’apaisent, j’observe leur corps se détendre, leur visage s’adoucir, leur vision du Dharma s’ouvrir, leur cœur s’épanouir. Certains touchent ce que Buddhadasa[5] appelait le « nirvana quotidien ». D’autres en viennent à connaître une profonde pureté d’esprit et à goûter directement à la libération.
Le Bouddha déclare : « S’il n’était pas possible de libérer le cœur de toute cette ignorance, je ne vous enseignerais pas à le faire. Ce n’est que parce qu’il est possible de libérer le cœur que surgissent les enseignements du Dharma de la libération, offerts à cœur ouvert pour le bienfait de tous les êtres. »
Ne visez rien de moins.
[1] Ndlr : « Éveil » et « illumination » traduisent tous les deux le mot enlightment utilisé par Jack Kornfield. Ils sont choisis selon le contexte afin d’éviter au lecteur d’imaginer l’aspect instantané d’une illumination domestique commandable du bout du doigt, bien loin de la réalité organique et progressive de la réalisation de la nature de l’esprit – même si celle-ci est parfois soudaine.
[2] La purification est un processus, un ensemble de pratiques qui œuvrent comme des antidotes aux tendances fortes liées à l’ignorance, le désir-attachement et l’aversion – les trois poisons.
[3] Fondée sur les grandes Écritures de l'Inde, en particulier les Upanishads, la philosophie non-dualiste de l'Advaita Vedânta est au cœur même de l’Hindouisme. Elle affirme l'unité du monde, l'identité de la conscience individuelle et de la conscience
universelle.
[4] Souffrance : Jack Kornfield fait ici référence au terme dukkha (sanskrit) qui a un sens très large et qu’on peut traduire par « souffrance » mais aussi par « insatisfaction ».
[5] Le vénérable Ajahn Buddhadasa Bhikkhu était un moine bouddhiste thaïlandais. Célèbre et influent ascète-philosophe du xxe siècle, il est connu pour avoir été un réinterprète novateur de la doctrine bouddhiste.
Paru initialement en anglais dans le magazine Inquiring Mind (automne 2001, vol. 27, n° 1)
Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°19 (Automne 2021)

Né en 1945, titulaire d’un doctorat de psychologie clinique de l’université de Dartmouth, fondateur de l’Insight Meditation Society et du centre bouddhique de Spirit Rock en Californie où il enseigne et vit, Jack Kornfield est considéré comme l’un des plus grands enseignants bouddhistes occidentaux.