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Photo du rédacteurSagesses Bouddhistes

Ce qu’est la méditation


©Philippe Judenne

Méditation est un mot, et les mots sont utilisés de manières différentes par ceux qui les emploient. Bien que cela puisse paraître banal, ce n’est pas le cas. Il est très important de distinguer exactement ce qu’une personne veut dire à travers les mots qu’elle utilise. Chaque culture, par exemple, a produit une forme de pratique mentale pouvant être appelée méditation. Tout dépend de l’extension de la définition de ce mot. Tout le monde médite, des Africains aux Esquimaux. Les techniques varient énormément et nous ne chercherons pas à les recenser. D’autres livres existent pour ce faire. Nous limiterons notre discussion aux pratiques les mieux connues d’un auditoire occidental, à celles qui ont le plus de chances d’être associées au terme méditation.

Dans la tradition judéo-chrétienne, nous trouvons deux pratiques qui se superposent en partie, appelées prière et contemplation. La prière est un appel direct à une entité spirituelle. La contemplation est une période prolongée de pensée consciente sur un sujet spécifique, généralement un idéal religieux ou un passage des Écritures. Du point de vue de la culture mentale, ces deux activités sont des exercices de concentration. Le déluge normal des pensées conscientes est réduit, et le mental est amené sur un seul domaine conscient d’opération. Les résultats sont ceux obtenus avec toute pratique de concentration : un calme profond, un ralentissement du métabolisme physiologique et un sentiment de paix et de bien-être.


Aussi complexe que soit l’objet de méditation, cette dernière demeure en elle-même un pur exercice de concentration.

Issue de la tradition hindoue nous parvient la méditation yogique, purement fondée également sur la concentration. Les exercices traditionnels consistent à centrer l’esprit sur un seul objet : une pierre, une flamme de bougie, une syllabe ou quoi que ce soit, et à ne pas lui permettre de s’échapper. Ayant acquis cette capacité de base, le yogi élargit sa pratique en prenant des objets de concentration plus complexes : des chants, des images religieuses colorées, les canaux d’énergie dans le corps, etc. Néanmoins, aussi complexe que soit l’objet de méditation, cette dernière demeure en elle-même un pur exercice de concentration.


Dans la tradition bouddhiste, la concentration est également fort estimée. Mais un nouvel élément est ajouté auquel il est donné plus d’importance. Cet élément est la conscience éveillée [1]. Toute méditation bouddhique a pour but son développement, en utilisant la concentration comme un outil. Mais la tradition bouddhiste est très vaste et il existe des routes différentes pour y parvenir.


Le zen utilise deux voies séparées. La première est la plongée directe dans la conscience par la pure force de la volonté. Vous vous asseyez et êtes tout simplement assis, ce qui veut dire que vous rejetez tout de votre esprit, à l’exception de la pure conscience d’être assis. Cela paraît très simple. Eh bien, non. Un bref essai démontrera à quel point c’est difficile. La deuxième approche zen, utilisée dans l’école Rinzai, consiste à obliger le mental à sortir de la pensée consciente pour entrer dans la conscience pure. On y parvient en donnant à l’étudiant une énigme insoluble, qu’il doit résoudre néanmoins, et en le plaçant dans des conditions d’entraînement extrêmement contraignantes. Étant donné qu’il ne peut échapper à la douleur créée par la situation, il doit fuir dans une pure expérience du moment. Il n’y a pas d’autre endroit où aller. Le zen est difficile. C’est efficace pour bien des gens mais vraiment dur.

Une autre stratégie, le bouddhisme tantrique, est presque l’inverse. La pensée consciente, au moins de la façon dont nous l’utilisons normalement, est la manifestation de l’ego, le « vous » que vous pensez être normalement. Elle est étroitement liée au concept de soi. Le concept de soi ou ego n’est rien de plus qu’un ensemble de réactions ou d’images mentales, artificiellement collées sur le flux de la conscience pure. Le tantra recherche l’obtention de la conscience pure en détruisant cette image de l’ego. Cela est accompli par un processus de visualisation. On donne à l’étudiant une image religieuse particulière sur laquelle il doit méditer, par

exemple l’une des divinités du panthéon tantrique. Il le fait d’une manière si approfondie qu’il devient cette entité. Il quitte sa propre identité et en revêt une autre. Pendant le processus, il a la possibilité d’observer la manière dont l’ego est construit et mis en place. Il en arrive à reconnaître la nature arbitraire de tous les ego. Il accède finalement à un état où il peut avoir un ego, s’il le choisit, le sien ou n’importe quel autre, ou ne pas en avoir. Résultat : la pure conscience. Le tantra n’est pas non plus une mince affaire.


© PJ

Vipassana est la plus ancienne des pratiques de méditation bouddhique. La méthode vient directement du Satipatthana sutta, un discours attribué au Bouddha lui-même. Vipassana consiste en un développement direct et graduel de l’Attention, ou conscience éveillée. Le processus s’effectue pas à pas, pendant des années. L’attention de l’étudiant est minutieusement dirigée vers un examen intense de certains aspects de son existence. Il est entraîné à remarquer de plus en plus d’éléments dans le flux de sa vie. C’est une technique douce. Mais elle est très, très complète. C’est un système ancien et codifié d’entraînement de la sensibilité, un ensemble d’exercices destiné à vous faire devenir de plus en plus réceptif à votre propre expérience de vie. C’est une écoute attentive, une vision totale et une expérimentation soigneuse. Vous apprenez à sentir avec intensité, à toucher complètement et à faire vraiment attention à ce que vous ressentez. Vous apprenez à écouter vos propres pensées sans en être prisonnier.

L’objet de la pratique de vipassana est d’apprendre à faire attention. Nous croyons que nous le faisons déjà, mais c’est une illusion. Elle provient du fait que nous portons une si faible attention au flux incessant de nos propres expériences que nous pourrions tout aussi bien être endormis.

Nous ne faisons simplement pas assez attention pour le remarquer. C’est un cercle vicieux.


À travers le développement de l’Attention, nous devenons lentement conscients de ce que nous sommes vraiment, en dessous de l’image de l’ego. Nous nous éveillons à ce qu’est réellement la vie, qui n’est pas simplement une danse de hauts et de bas, des récompenses et des coups. Cela est une illusion. La vie possède une texture beaucoup plus profonde, si nous nous donnons la peine de regarder et si nous regardons de la bonne manière.

Vipassana est une forme d’éducation du mental qui vous apprendra à expérimenter le monde d’une manière entièrement nouvelle. Pour la première fois, vous apprendrez ce qui vous arrive vraiment, ce qui arrive autour de vous et en vous... C’est un processus de découverte de soi, une investigation dans laquelle vous observerez vos propres expériences alors que vous y prenez part, et à mesure qu’elles se produisent. La pratique doit être approchée avec cette attitude :

« Qu’importe ce que j’ai appris. Oublions les théories, les préjugés et les stéréotypes. Je veux comprendre la vraie nature de la vie. Je veux comprendre ce que l’expérience d’être vivant est réellement. Je veux appréhender les véritables et les plus profondes qualités de la vie, et je ne veux pas simplement accepter les explications de quelqu’un d’autre. Je veux les voir par moi-même. »


Si vous poursuivez la pratique de votre méditation avec cette attitude, vous réussirez. Vous vous trouverez en train d’observer les choses objectivement, exactement comme elles sont, s’écoulant et changeant de moment en moment. La vie prend alors une richesse incroyable qui ne peut être décrite. Il faut l’expérimenter.


© PJ

Le terme pali pour la méditation de la vision intérieure est vipassana bhavana. Bhavana vient de la racine Bhu, qui signifie « grandir » ou « devenir ». Par suite, Bhavana veut dire « cultiver » et est toujours utilisé en relation avec l’esprit. Bhavana signifie « culture du mental ». Vipassana provient de deux racines : Passana, qui veut dire « voir » ou « percevoir », et Vi, un préfixe possédant un ensemble complexe de connotations. Sa signification de base est « d’une manière spéciale ». Mais il possède aussi les sens de « à l’intérieur » et de « à travers ». Son sens complet est « voir à l’intérieur de quelque chose avec clarté et précision, en percevant chaque composant de manière nette et séparée, et en pénétrant au plus profond, jusqu’à la réalité la plus fondamentale de cette chose ». Par suite, en réunissant tous nos éléments, vipassana bhavana signifie : « culture du mental, destinée à voir les choses d’une manière spéciale, menant à la perception totale de leur réalité et à une pleine compréhension ».

Dans la méditation vipassana, nous cultivons cette façon spéciale de voir la vie. Nous nous entraînons à percevoir la réalité exactement comme elle est, et nous appelons ce mode de perception spécial : « Attention ».


Lorsque vous détendez la force de votre désir de confort, le vrai contentement apparaît. Quand vous laissez choir votre fiévreuse poursuite de satisfactions, la vraie beauté de la vie apparaît.

Ce processus d’attention pure est réellement différent de celui que nous utilisons habituellement. Normalement, nous ne regardons pas ce qui est réellement là, en face de nous. Nous voyons la vie à travers un écran de pensées et de concepts, et nous faisons l’erreur de prendre ces objets du mental pour la réalité. Nous sommes tellement emprisonnés dans cet incessant flux de pensées que la réalité s’écoule sans que nous la percevions. Nous passons notre temps absorbés par l’activité, emprisonnés dans une éternelle poursuite de plaisirs et de satisfactions et dans une fuite éternelle devant la douleur et l’insatisfaction. Nous dépensons toute notre énergie àessayer de nous sentir mieux, à essayer d’enterrer nos peurs. Sans cesse, nous recherchons la sécurité. Pendant ce temps, le monde de l’expérience réelle s’écoule intouché et non goûté. Dans la méditation vipassana, nous apprenons à ignorer les envies constantes de bien-être et nous pénétrons en revanche dans la réalité. L’ironie est que la paix réelle ne survient que lorsqu’on arrête de la poursuivre. C’est encore un cercle vicieux.


Lorsque vous détendez la force de votre désir de confort, le vrai contentement apparaît. Quand vous laissez choir votre fiévreuse poursuite de satisfactions, la vraie beauté de la vie apparaît. Lorsque vous cherchez à connaître la réalité sans illusion, complète, avec toutes ses douleurs et son danger, alors la liberté réelle et la sécurité vous appartiennent. Il ne s’agit pas d’une doctrine que nous essayons de faire pénétrer en vous. C’est une réalité observable, une chose que vous pouvez et devez voir par vous-même.

Le bouddhisme est vieux de 2 500 ans, et tout système de pensée de cette ancienneté a eu le temps de développer de multiples niveaux de doctrines et de rituels. Néanmoins, l’attitude fondamentale du bouddhisme est intensément empirique et antiautoritaire. Le Bouddha Gautama était une personne hautement non orthodoxe et réellement antitraditionaliste. Il ne présenta pas son enseignement comme un ensemble de dogmes mais plutôt comme des propositions à vérifier par chaque individu. Son invitation à tous était : « Venez et voyez. »L’une des choses qu’il disait à ses disciples était : « Ne placez aucune tête au-dessus de la vôtre. » Par là, il voulait dire : n’acceptez pas les paroles de quelqu’un d’autre. Voyez par vous-même.



[1] Nous traduisons ici le mot awarenessss par « conscience éveillée » pour insister sur le fait qu’il ne s’agit pas de la conscience ordinaire mais d’une conscience d’ordre

impersonnel. « Conscience sans ego » est également utilisé en d’autres passages. (NdT)



Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°1 (Hiver 2016)

Extrait de Méditer au quotidien, Vénérable Henepola Gunaratana, éditions Albin Michel;

 



Bhante Gunaratana est né en 1927 au Sri Lanka. À l’âge de 12 ans, il reçoit l’ordination de moine bouddhiste novice. Aujourd’hui Bhante Gunaratana est président de la Bhavana Society, abbé du monastère de Shenandoah Valley ; il enseigne la méditation et conduit des retraites dans le monde entier. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont le plus connu, Méditer au quotidien, est un des meilleurs guides de méditation vipassana disponibles à ce jour.


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