Par Kankyo
« Enfin... moi... la question que j’aimerais surtout vous poser c’est ça : il se passe quoi après la mort ? »
Nous venons de terminer la séance de méditation zen. J’ai expliqué en long, en large et en détails les secrets de zazen : posture, respiration, mouvements des pensées. L’ambiance est calme, paisible. Et soudain cette question, faisant irruption dans le déroulement bien léché de la soirée.
« Il se passe quoi après la mort ? »
La jeune fille se tient droite et darde son regard avec intensité. Impossible d’y échapper. Elle a les yeux noirs, perçants, fixes. Des yeux captivants, brûlants de vie. Des yeux puissants, capables de créer entre nous un espace vibrant, qui nous isole. S’échapper révèlerait la plus extrême impolitesse, ou pire encore, un renoncement.
Je soutiens donc son regard, franchement, tandis que les questions affluent dans ma tête. Elle doit avoir 16 ou 17 ans. Son corps est tendu, en mode combat : petit taureau sauvage. Qu’a-t-elle donc bien pu vivre à cet âge tendre, pour avoir accumulé tant de tensions. Des décès successifs dans la famille ? Des personnes atteintes de longue maladie ? Un trop-plein d’images de guerres ou de catastrophes naturelles sur sa timeline Facebook ? Une prise de conscience soudaine du changement climatique et de l’extinction probable et prochaine de l’espèce humaine ?[1]
Quoi qu’il en soit, je sens que ma réponse va devoir trancher comme une épée. Pas question de tergiverser avec la parabole de la flèche empoisonnée, trop métaphorique...[2] Ni de sourire. Ni de faire la maligne.
Je me lance, le visage grave : « Et moi, la question que j’aimerais vous poser c’est ça : y a-t-il une vie avant la mort ?... Vous faites quoi du temps qu’il vous reste ? »
La jeune fille reste interdite. Silencieuse. Puis – très doucement – ses épaules se relâchent et le souffle pénètre profondément dans ses poumons. Un peu d’air...
Elle ne répondra rien. Elle repartira comme elle était venue, toute menue, toute frêle, vêtue de noir.
[1] Voir sur ce thème les études de collapsologie de Pablo Servigne ou de Vincent Mignerot, et également Sagesses Bouddhistes n° 8 : Cultiver son jardin
[2] Comme il sera longuement développé dans ce numéro, à toutes les questions sur l’après-vie, le Bouddha répondait par le silence ou par cette fameuse parabole : « Si vous êtes atteint par une flèche empoisonnée, qu’allez-vous faire en premier ? Vous soigner ou bien rechercher l’origine de la flèche, de quel bois elle est faite, qui l’a fabriquée ? Qui a tiré et à quelle vitesse ? Moi, je suis venu pour vous donner les remèdes – le Noble Sentier Octupl19e –, et vous permettre de comprendre par vous-même, dans cette vie-ci. »
Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°9 (Hiver 2019)
Kankyo Tannier est nonne de la tradition zen Sôtô et auteure du blog www.dailyzen.fr. Elle pratique depuis quinze ans dans un monastère en Alsace.