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Vie et mort dans le bouddhisme

Photo du rédacteur: Sagesses BouddhistesSagesses Bouddhistes

Dernière mise à jour : 31 déc. 2024


Présentatrice de l'émission: Aurélie Godefroy


La question d’une existence future représente, d’une façon ou d’une autre, une interrogation commune à toutes les religions. Comment le bouddhisme aborde-t-il cette question mais aussi celle de la mort ? Roland Rech a été l’invité d’une des émissions de Sagesses Bouddhistes pour en discuter.

 

Aurélie Godefroy : Le constat est très simple : les êtres naissent, vivent et meurent, alors pourquoi cela pose-t-il un tel problème pour l’être humain ?

Roland Rech : Parce que l’être humain est attaché à son propre ego et c’est ce qui fait que nous avons du mal à accepter qu’il puisse disparaître, surtout si nous ne sommes pas éveillés à la véritable nature de notre existence. Tout le problème est là : on va s’efforcer de satisfaire ses désirs en essayant d’obtenir le plus de satisfaction possible, on s’attache à ce que l’on aime – que ce soit des êtres ou des activités – et on redoute de se séparer de ce que l’on a aimé, de ce à quoi on s’est attaché, de ce qui, parfois, a été le sens de notre vie.

 

Bouddha lui-même s’est trouvé face à une crise existentielle où il s’est confronté à ces questions ?

Bien sûr, parce que le fait de naître implique que l’on va nécessairement rencontrer la souffrance, à un moment ou à un autre. Même s’il y a des moments de bonheur dans la vie, ces moments sont impermanents et nous font éprouver une anxiété, une crainte de perdre ce par quoi notre bonheur est conditionné. Voilà ce qui a été le point de départ de la démarche du Bouddha : se confronter avec la perspective de souffrir en raison de la maladie, de la vieillesse, de la mort, de devoir se séparer de ce qu’il aimait, de devoir supporter ce qu’il n’aimait pas. Et il en a conclu que tout ce qui constitue notre existence conditionnée, finalement, est cause de souffrance. Ce qui est intéressant avec le Bouddha, c’est que c’est le contraire d’un homme désespéré – il part de la souffrance mais il part également du principe que, du moment où il y a problème à cause de la souffrance, il doit y avoir une solution.

 

Que peut-on essayer de faire pour tenter de résoudre cette question de la vie et de la mort ? Et pourquoi est-ce aussi important d’accepter cette impermanence ?

Il faut vraiment s’engager dans une pratique de la Voie de tous les instants ; mais cette voie est principalement, dans le bouddhisme, axée sur la pratique de la méditation. Il faut avoir une certaine discipline de vie, s’asseoir chaque jour, si possible jambes croisées, apprendre à se connaître soi-même, apprendre à s’oublier soi-même, apprendre à découvrir ce qu’est, au fond, la dimension profonde de notre existence à travers la méditation, et prolonger celle-ci à travers toutes les activités quotidiennes.

L’impermanence est la véritable nature de notre existence, mais aussi de tout l’univers : tout ce qui apparaît est voué à disparaître, tout change constamment. Si l’on s’attache trop à ce qu’on pense être soi-même et qu’on ne parvient pas à lâcher prise, c’est comme si l’on nageait constamment à contre-courant. Il est donc important de retrouver un esprit fluide qui, au lieu de considérer l’impermanence comme un scandale, trouve au contraire que c’est une chose tout à fait normale, naturelle et d’apprendre à s’harmoniser avec.

 

Il est important de retrouver un esprit fluide qui, au lieu de considérer l’impermanence comme un scandale, trouve au contraire que c’est une chose tout à fait normale, naturelle et d’apprendre à s’harmoniser avec.

 

Le samsara fait partie du cycle des renaissances : pouvez-vous nous expliquer ce dont il s’agit ?

Traditionnellement, le samsara, c’est le fait de renaître de vie en vie en fonction de notre karma ; les deux sont donc liés. Le karma, ce sont nos paroles, nos actions, nos pensées aussi, qui sont produites consciemment et avec une valeur positive ou négative – et cela entraîne des effets. Soit ces effets se produisent et se manifestent dans cette vie-ci – et cette vie-ci peut être une forme de samsara elle-même – ou bien ils vont mûrir comme des graines et produire leurs fruits dans une vie ultérieure et ainsi conditionner nos nouvelles naissances. On dit, traditionnellement, qu’il y a six chemins de samsara dans lesquels on renaît : le chemin infernal (les souffrances constantes), le chemin de l’avidité constante (dans lequel on n’arrive pas à satisfaire ses besoins), le chemin animal (caractérisé par l’ignorance, l’incapacité à s’éveiller), la renaissance humaine (qui est considérée comme la plus précieuse puisque, bien qu’on y souffre, on a l’occasion de désirer s’éveiller et donc, d’entrer dans le chemin de l’Éveil) et puis les deux formes de renaissances qui sont généralement considérées comme étant au-dessus de l’être humain mais qui ne sont pas tellement supérieures – c’est la déité : soit les déités agressives, courroucées, soit les déités qui sont dans un état extatique mais qui, en raison de cet état, ne prennent pas garde à ce qui est impermanent et qui vont donc devoir, à la fin, retomber dans des états plus douloureux.

 

Sommes-nous toujours condamnés à renaître dans le samsara ?

Sortir du samsara est le but de tous les moines bouddhistes, notamment ceux qui suivent la tradition originelle : sortir du samsara veut dire mettre fin aux renaissances. Et tout le but de la discipline bouddhiste – la pratique de la méditation, la pratique de l’éthique, la sagesse, la compréhension de l’enseignement et du Dharma – est de nous permettre de nous libérer de la nécessité de renaître. Mais cela implique aussi que tout le karma passé soit épuisé, pour que nous n’ayons plus de raisons de renaître. Cela implique aussi de faire le choix de l’extinction, ce que ne font pas les disciples du grand Véhicule, qui choisissent la voie du bodhisattva[1], qui donc choisissent au contraire de renaître, non plus poussés par leur karma et à cause de leur souffrance, mais poussés par leurs vœux et leur désir de compassion d’aider tous les êtres vivants. Là, c’est une autre forme de renaissance : on peut dire qu’on revient dans une existence de samsara mais avec un état d’esprit tel qu’en réalité on est au-delà de la souffrance ordinaire. On va souffrir par compassion, par empathie avec les autres êtres, mais non pas à cause de nos illusions, de nos attachements et de notre karma.

 

On dit souvent que naissance et renaissance sont des phénomènes de souffrance : aux yeux du bouddhisme, cela veut-il dire finalement que la naissance n’est qu’un mal de l’existence ?

Non, parce que le mot « souffrance » ne traduit pas bien dukkha. Dukkha veut dire « limité », « imparfait », et moi je crois que la souffrance fondamentale de l’être humain c’est qu’il a au fond de lui-même cette nature de Bouddha, cette nature d’éveil, de vérité, et que tant qu’il ne s’éveille pas à cette vérité qui lui permet de surmonter les souffrances du samsara, il va souffrir. Je crois qu’une des grandes causes de souffrance est de ne pas réaliser le vrai sens de notre vie, d’avoir l’impression que l’on passe à côté, et qu’à cause de cela, nous sommes poussés constamment à poursuivre toutes sortes de désirs qui sont des dérivatifs au fait que l’on est souvent passé à côté de l’essentiel.

 

Beaucoup de religions parlent de l’au-delà. Comment maître Dôgen s’est-il exprimé sur le sujet ?

Notre vie présente est inclue dans un cycle de naissances et de morts. Maître Dôgen disait à ce propos que ceux qui ne croient pas au fait que notre vie est inclue dans ce cycle et se déroule dans trois périodes – vie présente, vie future et vies à venir – ne sont pas prêts à entrer dans la voie du zen. Principalement, Dôgen enseigne que la vie ne devient pas la mort : tout cela est lié à une notion de temps, et le temps n’est pas une dimension séparée de l’existence. L’existence elle-même est faite d’apparitions et de disparitions successives ; le temps est donc fait d’une succession d’instants, chaque instant ayant sa valeur absolue et ne devenant pas l’instant suivant. Ce ne sont que des étapes, comme l’hiver ne devient pas le printemps, nous dit-il : l’hiver est l’hiver, le printemps est le printemps. De la même manière, une bûche dans un feu ne devient pas cendres : il y a d’abord l’état de bûche puis l’état de cendres. Il en est de même pour nos vies, et c’est très important car si nous regardons l’impermanence comme quelque chose de continu, il n’y a pas moyen de se transformer et de se libérer. Ce qui veut dire que l’enchaînement est déterministe, tandis que si l’impermanence est faite d’instants séparés, il y a la possibilité entre un instant et un autre instant d’introduire un changement.

 

Maître Deshimaru a dit : « Pratiquez la méditation comme si vous entriez dans votre cercueil ». Qu’est-ce que cela signifie ?

Cela veut dire qu’au moment d’entrer dans son cercueil, d’abord, il n’y a plus un instant à perdre pour se préoccuper de toutes sortes de choses qui nous font perdre notre temps dans la vie quotidienne. À ce moment-là il faut véritablement se concentrer sur ce qui est essentiel et comprendre dans ces quelques instants qui me restent à vivre. C’est l’occasion de porter un regard beaucoup plus intense sur notre vie et donc de réaliser l’Éveil. C’est pour cela que, souvent, des personnes font des expériences proches de la mort – la fameuse NDE[2] – et ce, spontanément, du fait qu’elles sont confrontées avec la mort imminente. Ce serait vraiment dommage d’attendre de devoir mourir pour s’éveiller et donc de ne pouvoir ensuite mener une vie à partir de cet éveil : c’est ce qu’enseigne le zen. Il faut donc pratiquer la méditation avec une très grande intensité, mais aussi toutes les choses de notre vie comme si nous étions en train de vivre notre dernier jour. Par conséquent, tout devient important, tout est vécu profondément et, finalement, à partir de cette perspective de la mort, c’est la vie même qui se trouve rénovée.

 

Que se passe-t-il quand on pratique zazen ?

Dans la pratique de zazen, tout d’abord, on est très concentré sur le corps et sur la respiration, ce qui aide à apaiser le mental et surtout à ne pas suivre nos pensées, à être vraiment très présent ici et maintenant. Et, je crois que par rapport à la vie et à la mort, la chose fondamentale c’est d’expérimenter l’éternité de cet instant-ci : cet instant-ci ne va pas devenir, il doit être vécu pleinement comme un instant absolu.

 

L’esprit du zen c’est l’esprit qui ne stagne sur rien.

 

Beaucoup de grands maîtres zen enseignent également à lâcher prise. Comment peut-on concrètement y arriver ?

Si on est très profondément concentré sur son corps, on arrive à laisser passer les pensées, les émotions plus rapidement, et également si on est concentré sur la respiration. Mais surtout, ce qui aide à lâcher prise, c’est la sagesse, c’est-à-dire l’observation profonde et intime du fait que ce à quoi on est attaché n’a pas de substance, que notre propre ego est impermanent et ne peut donc pas s’attacher à quoi que ce soit. Autrement dit, le détachement, ce n’est pas une chose que l’on obtient par l’effort mais par la réalisation du fait que, même si on le veut, on ne peut s’attacher à rien. Car justement la vie est constamment apparition, disparition et transformation, et le zen vous invite à retrouver un esprit constamment fluide qui épouse ce devenir, cette transformation sans demeurer nulle part. L’esprit du zen c’est l’esprit qui ne stagne sur rien.

 

Et cela permet aussi d’avoir une certaine unité, et notamment de ne pas séparer samsara et nirvana…

On dit qu’ils ne sont pas séparés parce qu’il y a une tendance chez certains pratiquants du bouddhisme à haïr le samsara comme étant le lieu de la souffrance, de la transmigration et à aspirer tellement fortement au nirvana que ça devient un objet d’avidité, ça devient à nouveau un objet de désir et la cause fondamentale de la transmigration fait que l’on se dirige à l’opposé du nirvana. C’est ce sur quoi Dôgen insiste beaucoup. Si vraiment vous haïssez vie et mort et que vous aspirez au nirvana en opposant nirvana et samsara, c’est comme si vous vouliez voir les étoiles polaires en vous tournant vers le Sud : vous faites complètement fausse route. Par contre, si vous voyez la véritable nature de ce samsara dans lequel vous êtes, vous réalisez qu’il est sans substance, qu’il est impermanent et le lâcher-prise se produit immédiatement ; ce lâcher-prise est nirvana.

 

Sur les temples zen, on trouve un petit écriteau où il est inscrit quelque chose qui fait référence à la vie et à la mort…

Oui, c’est écrit sur le bois que l’on frappe pour inviter les gens à venir rapidement pratiquer la méditation : « La vie et la mort est la grande affaire ». Sous-entendu, ne perdez pas votre temps, ne gâchez pas l’instant présent.

 


[1] Voir glossaire p. 73

[2] NDE : Near Death Experience ou Expérience de Mort imminente.


Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°9 (Hiver 2019)

 


Roland Rech est un disciple de maître Taisen Deshimaru. Moine bouddhiste, il enseigne le zen depuis bientôt quarante ans, d’abord au Dojo zen de Paris, puis au Dojo zen de Nice, mais aussi au temple zen de La Gendronnière, et conduit un certain nombre de sesshins en Europe tout au long de l’année.

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