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UN ENSEIGNEMENT DE LA MÉDITATION

  • Photo du rédacteur: Sagesses Bouddhistes
    Sagesses Bouddhistes
  • 30 oct. 2024
  • 8 min de lecture

Traduction française : Elisabeth Brookes.



Le maître Ajahn Jayasaro témoigne ici d’un enseignement du maître renommé Ajahn Chah à propos de la méditation.



L’attention portée aux menus détails de la posture assise n’a jamais été un trait marquant de la tradition de méditation theravada. Rares sont les moines de la forêt qui s’assoient en lotus complet, chaque pied posé sur la cuisse opposée, ou qui croisent leurs mains dans un mudra[1] parfait. Les instructions de base consistent simplement à adopter une posture stable et droite, le principal critère étant que la posture permette au méditant de rester assis pendant un temps raisonnablement long avec un minimum d’inconfort inutile. Luang Por[2] traitait la posture comme une question simple. Au début d’une séance, il donnait simplement comme instructions de prendre la posture assise avec les jambes croisées[3], placer la jambe droite sur la jambe gauche, la main droite sur la main gauche[4], garder le dos droit, se mettre à l’aise – ni trop tendu, ni trop détendu – et fermer les yeux.

Luang Por enseignait aux méditants moins expérimentés à suivre l’inspiration et l’expiration du corps pendant un certain temps avant de se concentrer sur un point particulier, comme le bout du nez :

« Concentrez votre attention de manière à suivre le souffle qui entre dans votre corps et qui en sort. Suivez le début de la respiration, le milieu de la respiration, la fin de la respiration. En pleine conscience, gardez le souffle à l’esprit ; et avec vigilance, soyez conscient que vous êtes en train de respirer. À l’inspiration, le début de la respiration se situe au niveau de la pointe du nez, le milieu au niveau du cœur et la fin au niveau de l’abdomen. À l’expiration, le début de la respiration se situe au niveau de l’abdomen, le milieu au niveau du cœur et la fin au niveau de la pointe du nez. Concentrez-vous sur ces trois points.

L’esprit, votre conscience, n’a pas le temps de s’échapper et de s’emparer d’autres objets parce qu’il est préoccupé par la conscience, ici même, de l’inspiration et de l’expiration. Si l’esprit s’en va à la recherche d’autres objets, cela montre que la conscience a glissé. Établissez-la à nouveau. Soyez conscient de l’endroit exact où passe le souffle à chaque instant. Continuez à regarder. Parfois, votre esprit s’égare pendant un long moment sans que vous en soyez conscient. Soudain, vous vous rendez compte que la pleine conscience a été perdue à nouveau. Recommencez. Si vous vous entraînez de cette manière, vous développerez une bonne connaissance pratique du début, du milieu et de la fin de la respiration. Après vous être entraîné de cette manière pendant un temps suffisant, la pleine conscience sera constamment présente sur l’inspiration et l’expiration. La pleine conscience sera présente au début de la respiration, à son milieu et à sa fin.

Au début, vous aurez quelques difficultés. Mais plus tard, lorsque vous serez plus expérimenté, il ne sera plus nécessaire de suivre l’inspiration et l’expiration. Maintenant, ancrez la conscience sur le bout de votre nez.

Arrêtez-vous là et notez si le souffle est long ou court, prenez conscience de l’inspiration et de l’expiration à ce moment-là. Lorsque vous commencez à pratiquer la méditation assise, essayez cette méthode.

Lorsque vous vous concentrez sur la respiration, vous n’avez pas besoin de la forcer. C’est un peu comme apprendre à utiliser une machine à coudre à pédale. Pour coudre correctement, vous devez trouver un rythme entre votre main et votre pied. Ainsi, lorsque vous apprenez à utiliser une machine à coudre, que faites-vous ? Vous vous entraînez à pédaler librement sans rien coudre. Une fois que vous savez pédaler avec aisance, vous commencez à coudre des tissus.

Votre respiration reste la même, il n’y a pas besoin qu’elle soit d’une façon particulière ; peu importe qu’elle soit longue ou courte, pourvu qu’elle soit confortable... Si la respiration est trop longue, trop courte ou trop forte, ne la forcez pas, laissez-la trouver son propre équilibre. Tout ce que vous avez à faire est de vous concentrer sur l’inspiration et l’expiration. Vous n’avez pas besoin de contempler quoi que ce soit d’autre. Il suffit d’être conscient de la respiration.

Lorsque vous faites cela, certaines pensées surgissent : « À quoi cela sert-il ? » et ainsi de suite. Continuez. Ne vous laissez pas prendre par les doutes. Il n’y a pas besoin d’y répondre. Il n’y a pas besoin de penser. Ce n’est pas votre travail. Votre travail consiste simplement à être conscient de la respiration lorsqu’elle entre et sort du corps. Vous ne voulez pas voir les déités ou les dieux Brahma, mais vous voulez voir le souffle. Il suffit simplement que vous n’oubliiez pas le souffle. Comprenez, puis détachez-vous des différents objets qui entrent et sortent de la conscience, et lâchez prise.

 Les pensées et les humeurs sont changeantes. Peut-être que lorsque vous commencez à vous asseoir, vous commencez à avoir le mal du pays, et l’esprit se met à proliférer sur tel ou tel sujet. Dès que vous commencez à penser à votre pays, rappelez-vous : «C’est changeant (mai nae). » Les pensées chaleureuses concernant la famille sont impermanentes, tout comme les pensées négatives. Vous ne pouvez pas croire à tout cela. Votre esprit vous ment. Vous devez voir la nature changeante des choses. Parfois vous détestez telle ou telle personne, mais ça ne dure pas. Parfois vous aimez telle ou telle personne, mais ça ne dure pas non plus. Fixez l’esprit juste là et où peut-il aller ? Quand vous détestez quelqu’un, vous fabriquez une certaine image de lui. Quand vous aimez quelqu’un, vous faites la même chose. L’esprit commence à souffrir. Parfois, vous pouvez détester quelqu’un à tel point que dès que vous pensez à lui, des larmes de fureur commencent à couler. Vous voyez ce que je veux dire ? Comment cela pourrait-il être réel et durable ?

Considérez les états mentaux comme de simples états mentaux. Ils sont tous impermanents. Nous devons arrêter les choses car elles nous tromperont si nous ne le faisons pas. Nous percevons quelque chose comme étant bon, et nous nous rappelons que ce qui est bon est changeant. Une autre chose est perçue comme étant mauvaise, et elle est également changeante. Ne laissez pas votre esprit s’accrocher au bon, ni au mauvais. Si vous mesurez les états mentaux de cette manière, ils perdent leur intérêt. Continuez à y travailler. Les états qui surviennent, bons ou mauvais, n’ont aucune valeur intrinsèque, et ils disparaîtront progressivement. Si vous les suivez et gardez un œil sur eux, vous verrez forcément cette vérité du caractère changeant. Votre pratique initiale doit être ainsi. Soyez attentif.

Par la suite, vous verrez la respiration, la pleine conscience et l’esprit simultanément en un seul point. Le mot « voir » ici ne fait pas référence à la vision ordinaire. Il s’agit d’une vision avec conscience, par l’œil interne et non externe. La conscience de la respiration est ici, la pleine conscience est ici, le sens de la connaissance, l’esprit, est ici.

Ils convergent en un tout harmonieux. Lorsque nous voyons cette harmonie, l’esprit se détache du désir sensuel, de la malveillance, de la paresse et de la torpeur, de l’inquiétude et de l’agitation, et de l’indécision. Alors, ces cinq entraves auront complètement disparu. Tout ce que vous verrez sera le souffle. Il n’y aura que la pleine conscience et l’esprit en un seul point. Avec l’absence des cinq entraves, vous pouvez considérer que l’esprit est entré en samādhi.

Vous devez savoir quand la respiration est grossière et quand elle est fine, et vous devez le savoir tout de suite. Ensuite, vous devez vous concentrer sur le souffle pour le rendre de plus en plus subtil et délicat jusqu’à ce que sa grossièreté ait disparu. Le raffinement de la respiration est tel qu’en vous asseyant et en contemplant la respiration, celle-ci devient si subtile qu’il n’y a presque plus de respiration, ou du moins c’est ce qu’il semble. Ne vous inquiétez pas. Le souffle est toujours là, mais il est extrêmement subtil. Alors, que faites-vous ? Vous devez utiliser votre pleine conscience pour faire de l’absence de souffle votre objet de méditation. À ce stade, certaines personnes peuvent s’alarmer, craindre que leur respiration s’arrête et que ce soit dangereux. Vous devez vous rassurer en vous disant que c’est tout à fait sans danger et qu’il n’y a aucun risque. Tout ce qui est nécessaire, c’est que vous mainteniez la pleine conscience, la conscience, le savoir.

L’esprit est maintenant dans un état très subtil. À ce niveau, il n’a pas besoin d’être contrôlé, vous n’avez rien à faire. Tout ce qui est nécessaire, c’est de maintenir la pleine conscience et la vigilance. Vous devez être conscient qu’à ce moment-là, l’esprit agit automatiquement, il n’est pas nécessaire d’ajuster sa qualité. Il suffit maintenant de maintenir une attention et une vigilance constantes. L’esprit est pleinement entré dans l’état de calme lucide. Parfois, l’esprit va entrer et sortir de cet état à de courts intervalles. Parfois, lorsqu’il s’est retiré, il redevient lucidement calme pendant un court moment, puis il émerge à nouveau et devient conscient des objets des sens. L’esprit, s’étant retiré du samādhi, comprend la nature des diverses choses qui surgissent dans la conscience. Il y aura un ravissement dans le Dhamma, la sagesse apparaîtra. De nombreux types de connaissances apparaîtront à ce moment-là.

L’esprit, à cet instant, sera entré dans le stade de vipassanā[5]. Vous devez établir fermement la pleine conscience, la concentration et la vigilance. Lorsque la sagesse surgit, l’esprit est dans vipassanā, qui est une continuité de samatha[6]. C’est ce qu’on appelle le processus de l’esprit. Vous devez atteindre la maîtrise pour entrer et sortir des états de tranquillité. Lorsque vous l’aurez fait, alors vous connaîtrez la nature des états d’esprit et la nature de l’esprit qui se retire. Vous devez être astucieux en entrant et en sortant du samādhi, en établissant un fort degré d’attention et de vigilance à ces moments-là. Ici, l’esprit est arrivé au bout de l’agitation. Qu’il avance ou recule, tous les états d’esprit se trouvent dans le calme lucide.

En arrivant au moment approprié pour la fin de la méditation, revoyez ce que vous avez fait avant d’entrer en samādhi. Comment avez-vous établi votre esprit pour qu’il soit si paisible ? Ensuite, la prochaine fois que vous vous asseyez, vous devez considérer la première chose à faire. Rappelez-vous comment vous avez focalisé votre esprit lorsque vous vous êtes retiré du samādhi. Vous devez savoir ceci. Bien que vous ayez mis fin à votre méditation assise, vous ne devez pas considérer cela comme la fin du samādhi. Vous devez être déterminé à continuer à être conscient, concentré et attentif. Que vous soyez debout, en train de marcher, assis ou allo



[1] Par exemple, avec les mains croisées sur les genoux et chaque pouce se touchant légèrement.

[2] Luang Por (thaï,  littéralement « vénérable père ») désigne le maître Ajahn Chah.  Ce terme est utilisé dans un contexte familial et marque également le respect des disciples envers le maître.

[3] Les méditants s’asseyaient généralement à même le sol. Luang Por ne s’est toutefois pas opposé à l’introduction de coussins de méditation au Wat Pah Nanachat, le monastère annexe qu’il a créé pour ses disciples occidentaux.

[4] La préférence pour la droite sur la gauche est simplement une tradition transmise par les moines de la forêt des générations précédentes. On peut imaginer qu’elle trouve son origine dans une réflexion sur les flux d’énergie internes, mais Luang Por n’en a jamais parlé en ces termes.

[5] Vipassanā : Une vision claire des trois caractéristiques de l’existence : l’impermanence, le caractère insatisfaisant et le non-soi.

[6] Samatha : Calme mental des états de tranquillité consciente résultant de l’abandon des cinq obstacles.


Extrait de Un courant paisible, la vie et les enseignements d’Ajahn Chah, Copyright © Fondation Panyaprateep, 2017





Ajahn Jayasaro, est ordonnébhikkhu en 1980, avec le vénérable Ajahn Chah comme précepteur. Il vit actuellement dans un ermitage au pied des montagnes de Khao Yai, non loin de Bangkok, en Thaïlande. Les enseignements du Dhamma et les retraites de méditation qu’il donne à intervalles réguliers dans un centrede retraites voisin sont une source d’inspiration pour les bouddhistes laïcs comme pour les monastiques.

 

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