Une médecine intemporelle pour une époque agitée
Par Jack Kornfiled
Dans cette intervention, Jack Kornfield est invité par la fondation Sound True [1]qui présente ce jour-là un Programme de certification pour enseigner la méditation de pleine conscience (MMTCP). Jack Kornfield parraine cette formation complète de deux ans dispensée par Tara Brach et lui-même. La parole est distribuée tour à tour aux différents intervenants du programme. Au bon moment, et avec une bienveillance profonde, Jack Kornfield replace la situation dans son cadre le plus large.
Je me suis imprégné de vos paroles à tous, qui m’ont touché et inspiré. Elles me rappellent – comme vous l’avez souligné –, que ce qui compte vraiment c’est de se rappeler qui nous sommes. Je voudrais commencer par un poème et nous permettre aussi de ralentir – car c’est très excitant d’être tous ensemble, il y a beaucoup à dire et nous avons besoin de nous exprimer, mais nous avons aussi besoin de nous poser et de retrouver notre ancrage.
Le poème est de Juan Ramon Jiménez et s’intitule « Tu n’es pas vraiment toi, je ne suis pas moi ».
« Je ne suis pas moi. Je suis celui qui marche à côté de moi et que je ne vois pas. À qui parfois je parviens à rendre visite et que parfois j’oublie. Celui qui reste silencieux quand je parle. Celui qui pardonne avec douceur quand je déteste. Celui qui va se promener quand je ne sors pas. Celui qui restera debout quand je mourrai. »
Avec ces mots magnifiques, Juan Ramon Jiménez souhaite nous rappeler que nous sommes tout ça, que nous savons déjà — que vous savez déjà quelque part au plus profond de vous-même — que peu importe à quel point nous sommes perdus, quand nous nous rappelons qui nous sommes, nous revenons à ce sens de présence et d’amour qui est toujours là pour nous et qui est à portée de souffle. C’est en partie ce pour quoi la pratique existe. Elle est difficile et ce n’est pas non plus facile d’y consacrer du temps. Mais il y a quelque chose que nous savons en fin de compte, quand on regarde la vie du début à la fin. Au début de la vie, dès la naissance d’un bébé, la première chose que l’on fait c’est le prendre dans ses bras et l’aimer. Et à la fin, quand on voit quelqu’un mourir, on lui tient la main et on l’aime. Et entre les deux ? Je pense que c’est à ça que sert la danse.
La pratique est un puissant remède pour nous le rappeler quand on est perdu dans ce petit sentiment de soi-même ou dans les drames et tout ce qui a été cité.
Je pense à ma bien-aimée, Trudy Goodman, qui a aussi été enseignante de méditation et fondatrice d’Insight LA. Elle a voyagé pour travailler dans les camps de réfugiés du Darfour en Afrique comme éducatrice pour la petite enfance et instructrice de méditation de pleine conscience. Il y a encore des centaines de milliers de gens dans ces camps, comme dans ceux du monde entier. Je suis allé dans les camps de réfugiés. Il y a une sorte de désespoir, mais il y a aussi autre chose : ils veulent quelque chose. Elle est donc allée dans les camps et elle a commencé à montrer aux enseignants comment mettre en place des écoles maternelles et primaires pour que les enfants puissent apprendre. Elle leur a enseigné toutes sortes de pratiques dont celles de méditation de pleine conscience et d’amour bienveillant. Et à la fin, elle leur a demandé : « Qu’est-ce qui vous a le plus aidé ? » C’étaient surtout des femmes, un grand cercle de femmes, et elles ont répondu : « Oh, la pratique de pleine conscience et la pratique de compassion, plus que tout. Nous sommes coincées ici depuis des années. Dans le passé, nous avons été témoins de violences et de drames terribles que nous avons fuis. Le futur est tellement incertain. Vous nous avez appris que nous disposons du moment présent et que nous pouvons créer notre vie, là où nous sommes. De tout ce que vous nous avez appris, c’est le plus important et le plus beau. Merci. Revenez, s’il vous plaît ! »
Car, vous le savez, un esprit de communauté se développe immédiatement quand on partage avec le cœur. C’est de ça qu’il s’agit dans ce programme de formation pour ceux d’entre vous qui sont dans la relation d’aide. On envoie des gens dans le monde entier pour dire : « Oui, vous pouvez vous rappeler la compassion du grand cœur que vous avez en vous. Vous pouvez voir les choses différemment et c’est comme un rappel. » Dans la pratique, vous pouvez vous enraciner dans le sol comme un grand arbre, laisser le vent souffler à travers vous et sentir la connexion avec la terre mère. Ou vous pouvez devenir le témoin bienveillant de cette danse de votre incarnation et vous interroger profondément : « Quelle est ma véritable intention ? Quand tout s’en va, qu’est-ce qui compte vraiment si je devais suivre la boussole de mon cœur ? »
Le Dalaï-Lama se réveille tôt chaque matin et dit : « Puissé-je être un remède pour ceux qui sont malades, un lieu de repos pour ceux qui sont fatigués, un bateau, un radeau ou un pont pour traverser le déluge. Puissé-je être une lampe dans l’obscurité. Puissé-je souffrir toute la souffrance du monde, toute la souffrance jusqu’à ce que nos cœurs s’éveillent à la liberté à travers le temps et l’espace »… quelques petits souhaits, comme ça (sourire). Mais quand on s’arrête, quand je m’arrête parce que je me sens submergé, quand je ressens du désespoir, je pense que peut-être j’en ai assez fait et que je devrais prendre ma retraite. C’est peut-être au tour de quelqu’un d’autre. C’est comme une petite dépression qui commence, vous savez : « J’ai fini ma danse. » Tout tourne autour de ma personne, ce Jack. Alors, je me souviens de ces vœux de bodhisattva et je réalise : « Oh, il ne s’agit pas de moi mais il s’agit de nous. » Ce qui sous-entend, ayant pris ces vœux, d’être le remède, d’être le pont, non pas parce que nous sommes plus spéciaux que d’autres mais parce que c’est notre tour. Comme dans les bateaux chargés de réfugiés face aux tempêtes et aux pirates : si tout le monde panique, tous sont perdus. Mais si une seule personne sur le bateau reste calme et stable, c’est suffisant : ça montre à chacun le chemin de la survie. Nous l’avons déjà entendu mais ce qui est beau c’est que nous pouvons nous tenir par la main, nous le rappeler les uns aux autres et dire : « Oui, nous sommes cette personne, tu es cette personne. » Quoi que vous traversiez, et ça nous arrive à tous car nous sommes tous en lien, vous disposez d’un magnifique soutien vous aussi : vous avez la possibilité d’éveiller votre grand cœur à la compassion, la possibilité d’apporter de la lumière, de prendre soin de vous-même et prendre soin du monde autour de vous, car il n’y a pas de séparation. Inspirer et expirer, comme on l’a dit. Il y a deux choses à faire : s’asseoir puis ratisser le jardin, peu importe la taille du jardin. Une fois que votre esprit s’est calmé, votre cœur va mieux, plein d’espoir, et vous pouvez aller dans le jardin du monde. Vous avez un cadeau à offrir, chacun de vous a un incroyable cadeau à offrir : votre vie, votre être, votre main tendue vers les hommes. Qu’y a-t-il de mieux à faire ? Quelle merveille de disposer d’instructions, de pratiques et de rappels pour nous soutenir les uns les autres dans ce qui est juste !
[1] Sound True est au départ un label de musique ou plutôt un label diffusant les enseignements bouddhistes enregistrés par sa fondatrice Tami Simon. Dans les premiers temps, les enseignements étaient diffusés sur bandes magnétiques et recopiés dans des K7 audio. Après trente-six ans d’existence, Sound True garde une vocation toujours authentique : « diffuser la sagesse spirituelle ». Sound True est devenu un éditeur multimédia qui a produit plus de 6 000 titres et est le principal éditeur d’enseignements spirituels sonores d’Amérique du Nord. Il a depuis créé sa fondation éponyme, d’intérêt général et proposant des formations en ligne.
Traduction : Sagesses Bouddhistes le Mag
Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°23 (Automne 2022)
Jack Kornfield a étudié et pratiqué auprès de grands maîtres bouddhistes comme Ajahn Chah, Mahasi Sayadaw et Dipa Ma. Il réside au Spirit Rock Center en Californie, dont il assure avec d’autres pratiquants la direction spirituelle.
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