Par Ajahn Jayasaro
Traduit par Jeanne Schut
Il y a différentes façons de s’asseoir en méditation et certaines traditions donnent des détails très précis sur la posture mais je pense qu’il n’y a que deux impératifs :
– Le premier est que nous soyons assis bien droit. L’une des raisons pour cela est qu’ainsi nous évitons de nous endormir. Plus important, dans cette posture bien droite, nous nous sentons libres et indépendants, et cela nous aide à créer les conditions justes pour ressentir, à l’intérieur de nous, la confiance en soi et l’indépendance que nous essayons de développer dans la méditation.
– L’autre principe consiste à garder le corps aussi immobile que possible. En effet, l’esprit est déjà très agité et, si le corps en fait autant, il est beaucoup plus difficile de calmer les mouvements de l’esprit.
Bien entendu, notre corps n’est jamais dans une condition parfaite et nous risquons de ressentir des douleurs ici ou là, donc il faut aussi savoir accepter ses limites, être ami avec son corps et se dire que cette posture que nous prenons est assez bonne pour l’instant.
Une fois que les exigences matérielles sont remplies au mieux, nous devons veiller aux conditions mentales, faire en sorte d’être prêts à appliquer les techniques de méditation. Les conditions nécessaires pour cela sont l’intérêt, l’enthousiasme, la joie – il ne s’agit pas de considérer la méditation comme un médicament amer !
Nous commençons donc par regarder en nous et nous nous posons la question : avons-nous ce sentiment d’intérêt et d’engagement ou bien sommes-nous encore préoccupés par certaines affaires, certains soucis qui n’ont rien à voir avec la pratique ? Si l’esprit est effectivement pris par d’autres préoccupations, nous ne devons pas essayer d’appliquer aussitôt une technique de méditation parce que nous aurions un sentiment d’échec très frustrant. Il faut être prêt à passer quelques instants à parler avec soi pour se rappeler l’intérêt de la méditation, se rappeler la souffrance que nous avons dû traverser à cause du manque de sérénité intérieure et de sagesse… jusqu’à ce qu’un sentiment de consentement et d’intérêt apparaisse dans l’esprit. Ne croyez pas qu’il s’agisse d’une perte de temps. C’est au contraire un préliminaire très important si l’esprit n’est pas encore vraiment prêt ou intéressé.
Je ne pense pas qu’il soit juste de concevoir la pratique comme une forme de concentration sur un objet. Ce que nous essayons de faire, c’est de maintenir une qualité d’attention éveillée, de clarté, dans l’instant présent, en utilisant la respiration (par exemple) comme un véhicule pour y parvenir.
Pour la pratique de l’observation de la respiration, choisissez une zone ou un point particulier du corps où vous sentez le mieux le passage de l’air et où vous pouvez vous détendre. Le premier défi va être : comment trouver de la joie au ressenti d’une inspiration et au ressenti d’une expiration ? En effet, notre esprit est toujours à la recherche de plaisir, de sorte que, si nous ne trouvons pas de plaisir à observer la respiration, il va très vite nous transporter dans le passé ou nous projeter dans le futur. Donc si nous pouvons être conscients du plaisir très naturel, simple et inoffensif d’être éveillés à la sensation de l’inspiration et éveillés à la sensation de l’expiration, si nous sommes satisfaits et heureux de percevoir ces sensations, l’esprit ne cherchera pas à fuir vers l’extérieur parce qu’il sera déjà satisfait.
Il ne s’agit pas de se complaire mais d’ouvrir l’esprit, de reconnaître comment il peut être agréable d’être simplement attentif, présent, éveillé, vigilant et totalement présent à cet instant.
Être présent à la respiration n’est pas chose facile ; ce n’est facile pour personne. Même les grands maîtres de la forêt comme Ajahn Chah ont eu du mal pendant des années avant de maîtriser cette pratique. Il faut donc être très patient. Si l’esprit s’évade, ne soyez pas agacé ou découragé. Sachez que c’est normal et naturel et, très calmement mais fermement, ramenez l’attention sur l’instant présent et l’objet de méditation.
Pour nous aider à développer notre capacité à maintenir l’attention, à être vigilants et éveillés à l’instant présent, il existe un certain nombre de techniques. L’une d’entre elles consiste à compter nos respirations. On compte « un » sur l’inspiration et « un » sur l’expiration puis « deux » sur l’inspiration et « deux » sur l’expiration, et ainsi de suite jusqu’à « cinq-cinq ». Quand on arrive à cinq, on recommence à partir de « un » : « un-un, deux-deux, trois-trois… » cette fois jusqu’à six. Et puis on recommence : « un-un, deux-deux… » jusqu’à « sept-sept ». Ensuite on compte de un à huit, de un à neuf et enfin de un à dix. Après quoi on reprend de un à cinq puis de un à six, etc.
Cette technique est particulièrement utile si vous débutez la méditation parce que, quand votre esprit s’évade, il ne restera pas éloigné trop longtemps avant que vous ne réalisiez que vous ne savez plus si vous étiez en train de compter de un à cinq ou de un à six, etc. Par ailleurs, l’un des obstacles, au début de la pratique de la méditation, est le besoin de savoir si l’on a fait des progrès. Par exemple, au début il est difficile de maintenir l’attention pendant un cycle entier (de un-un à dix-dix) mais, au bout d’un certain temps, on constate que l’on y arrive et on peut se dire : « Ah ! Je fais des progrès. » Si vous arrivez à maintenir l’attention présente pendant trois cycles complets sans être distrait, le comptage commence à paraître lourd et artificiel. À ce moment-là, vous pouvez arrêter cette technique et observer la simple sensation de la respiration.
Comme la respiration change sans cesse, elle devient de plus en plus fine au fil de la méditation. Nous devons donc réajuster constamment l’effort que nous faisons pour y demeurer attentifs. Cet effort que nous devons faire a été décrit par une image : c’est comme si nous tenions un petit oiseau dans la main. Si nous serrons trop fort, nous pouvons faire mal à l’oiseau ou même le tuer, et si nous ne le tenons pas assez fort, il s’envolera. Alors comment tenir l’oiseau de façon à ne pas lui faire mal et à ne pas le laisser s’envoler ? Comment être présent à la respiration de façon à n’être ni trop rigide et tendu, ni trop relâché et distrait ?
Soyons donc constamment vigilants et attentifs aux besoins de l’esprit pour que la qualité et l’intensité de l’attention soient optimales à tout moment.
Méditation guidée
Pour nous résumer brièvement, le mot « Bouddha » signifie « l’Éveillé » et notre pratique consiste à développer un sentiment de présence éveillée dans notre esprit en maintenant notre attention sur la respiration. Nous ne voulons pas que cette observation soit terne, floue, indistincte, parce que ce ne serait pas le type de samadhi qui mène à la sagesse. Il faut qu’il y ait précision et clarté à chaque instant de l’inspiration et de l’expiration. L’effort que nous faisons pour être éveillés à la nature de l’inspiration et à la nature de l’expiration doit être constamment réajusté au fur et à mesure que la respiration s’affine.
Rappelez-vous brièvement quels sont les obstacles à la méditation et déposez-les pendant la durée de l’assise – en particulier, toutes les choses auxquelles vous auriez plaisir à penser. Engagez-vous à ce renoncement : « Pendant la durée de cette méditation, je ne me laisserai pas aller à évoquer ces pensées et ces souvenirs, à céder à l’imagination. » De même si, en ce moment, vous avez des problèmes, des difficultés, des soucis, dites-vous que ce n’est pas le moment de vous en préoccuper. Quand nous sommes très clairs, comme cela, au début de la méditation, si l’esprit s’éloigne malgré tout vers ces questions, le souvenir de notre engagement à ne pas nous laisser prendre par ce type de pensées nous reviendra à l’esprit et nous aidera à les lâcher.
Éveillons ensuite un sentiment d’intérêt et d’enthousiasme pour cette pratique en nous rappelant que c’est une merveilleuse occasion que nous avons là de méditer. L’endroit est beau, le temps magnifique… Toutes ces conditions nous aident et nous devons en tirer le meilleur parti.
Un nombre infini d’hommes et de femmes, ordonnés et non ordonnés, ont réalisé de profonds états de paix et de sagesse grâce à cette pratique très simple qui consiste à s’éveiller à la nature de la respiration. Dans cette pratique de méditation qui peut s’avérer difficile et exigeante, n’oublions pas que nous suivons les traces des grands Éveillés.
Quand nous méditons, nous avons l’occasion exceptionnelle de nous libérer, pendant un moment, de toutes nos identités conventionnelles, de toutes nos responsabilités sociales. Il n’y a plus que la respiration qui nous intéresse. Quand on est attentif à la respiration, on n’a pas conscience de soi comme étant un homme ou une femme, un père ou une mère, un fils ou une fille, un patron ou un employé, une bonne ou une mauvaise personne. Dans la conscience de l’inspiration et de l’expiration, toutes ces discriminations s’évanouissent. Pendant que nous prenons du recul, pendant un court moment, nous avons une nouvelle perspective sur notre identité conventionnelle ;
Nous apprenons ainsi à n’être personne alors que, dans la vie, nous essayons toujours d’être quelqu’un.
Conseils pour la méditation en marchant
Dans la méditation en position assise, nous essayons de rester vigilants, en éveil et immobiles mais nous devons apprendre à avoir cette même qualité d’attention quand nous bougeons. Peu de gens sont capables de rester immobiles en position assise plusieurs heures par jour, alors, si nous voulons méditer tout au long de la journée, nous devons alterner des périodes d’assise et de marche.
Par ailleurs, la pratique de la méditation en marchant est spécialement appropriée à certains moments de la journée, par exemple après un repas ou bien tard le soir, quand on a sommeil. Les avantages spécifiques de cette pratique sont multiples :
– Tout d’abord, une fois que l’esprit a été calmé grâce à la méditation en marchant, il est plus facile de développer les pratiques de sagesse, vipassanā, en marchant qu’en étant assis.
– Par ailleurs, une fois que l’on a bien développé cette pratique, on constate que le type d’attention que l’on en obtient est plus facilement intégré au quotidien que celui que l’on obtient dans la méditation assise.
Beaucoup de gens trouvent la méditation en marchant frustrante parce que, du fait du mouvement du corps, il semble plus difficile de calmer l’esprit que quand on est assis immobile. Mais soyez patients parce que les résultats valent largement l’effort qu’il est nécessaire d’investir au début.
La méditation en marchant peut être pratiquée à différents rythmes. Certains d’entre vous connaissent probablement la technique birmane qui consiste à marcher très, très lentement. Dans quelques monastères, en Thaïlande, on marche très rapidement. Un jour quelqu’un a demandé à l’un des maîtres qui enseignent la marche rapide : « Pourquoi marcher si vite ? » et il a répondu : « Si je marche vite, les pollutions mentales n’arrivent pas à me suivre ! » Dans la tradition d’Ajahn Chah, nous marchons à une allure normale mais il est tout à fait acceptable d’ajuster votre allure à vos besoins.
La longueur idéale d’un chemin de méditation est de 20 à 30 pas. Si le chemin est trop court et qu’il faut sans cesse faire demi-tour, cela perturbe la méditation ; mais s’il est trop long, on est facilement distrait. On choisit trois points de repère sur le chemin : le début, le milieu et le bout du chemin, de sorte que si l’esprit s’évade, ce ne devrait pas être plus longtemps que le temps qu’il faut pour aller de l’un à l’autre de ces trois points.
Nous avons une habitude profondément ancrée qui consiste à faire une chose de façon à en faire une autre ensuite. Et si on nous demande : « Pourquoi veux-tu faire cette autre chose ? » on répond : « Parce qu’une fois que j’aurai fini cela, je pourrai faire autre chose. » C’est pourquoi, dans la méditation en marchant, nous n’allons nulle part, nous allons et nous venons sur le même chemin, tout simplement. De cette manière, nous apprenons à avancer sans avoir besoin d’une destination précise.
Tout comme pour la méditation assise, nous devons passer par l’étape préliminaire qui consiste à prendre la posture physique juste – que je vais vous montrer tout à l’heure – ainsi que la posture mentale juste. Et, comme je l’ai dit précédemment, la posture mentale juste, c’est éveiller de l’intérêt, voire même de l’enthousiasme, pour cette activité.
Vouloir faire quelque chose est sain ; vouloir expérimenter n’est pas sain. Dans la pratique, vouloir méditer est très bien mais vouloir atteindre certains buts ou obtenir certains résultats est un obstacle.
Au départ, nous essayons de calmer le mouvement de l’esprit en lui donnant une ancre, un objet d’attention. De manière générale, la respiration n’est pas un objet d’attention propice à la méditation en marchant parce que le rythme de la respiration et celui de la marche ne s’harmonisent pas bien. L’un des objets d’attention que les maîtres de méditation de la forêt recommandent est la sensation sous la plante des pieds en marchant. C’est particulièrement thérapeutique pour les personnes qui passent beaucoup de temps dans leur tête. Pour nous aider à maintenir l’attention sur la plante des pieds pendant que nous marchons, nous pouvons utiliser un mot de deux syllabes comme « bouddho » que nous divisons en deux : « boud- » en posant le pied droit et « -dho » en posant le pied gauche. Comme vous le savez, le mot bouddho – une forme déclinée de « Bouddha » – signifie « éveillé » ; c’est donc la qualité d’un esprit éveillé que nous essayons de développer. Mais vous pouvez aussi utiliser n’importe quel mot de deux syllabes qui a du sens pour vous et qui vous permettra de rester présent à la sensation.
Quand l’esprit s’évade, ramenez-le tranquillement à l’observation de la sensation sous la plante de vos pieds. Quand l’esprit vagabonde et que vous le ramenez encore et encore, ne croyez pas que ce soit une perte de temps ; c’est au contraire une démonstration de notre capacité à reconnaître que notre esprit s’est évadé, à réveiller notre attention et à la poser de nouveau sur notre objet de méditation. Donc même si vous vous considérez comme un méditant peu doué, je pense que, si vous pratiquez régulièrement, vous remarquerez dans votre quotidien que vous serez beaucoup plus vite conscient quand votre esprit s’éloignera de votre travail ou de vos responsabilités en cours, et vous serez en mesure de revenir à votre activité beaucoup plus facilement qu’avant.
Un dernier point : il faut savoir que, quand vous aurez l’habitude de pratiquer cette technique de méditation, vous pourrez le faire à tout moment de la journée : en marchant d’un bâtiment à un autre, en montant et en descendant les escaliers, etc. Ainsi, vous pourrez avoir plusieurs temps de méditation tout au long de la journée : vingt secondes par-ci, deux ou trois minutes par là. Ce sont des moments très rafraîchissants qui vous permettront de maintenir une continuité d’attention dans votre vie.
Un conseil : si vous marchez dans un parc ou si vous faites un long trajet à pied, au lieu d’essayer d’être attentif tout au long du trajet, pensez à poser des points d’attention le long du chemin, découpez-le en petits parcours – par exemple d’un arbre à l’autre – et vous pourrez ainsi rétablir rapidement l’attention à chaque fois que ce sera nécessaire.
Démonstration de la technique de méditation en marchant
Ce n’est pas très compliqué. Posez la main droite sur la main gauche et laissez-les pendre ainsi devant vous. Marchez tranquillement sur la longueur de votre chemin de méditation en repérant le milieu. Quand vous arrivez au bout, posez les deux pieds côte à côte et vérifiez si votre esprit est présent ou s’il s’est envolé. Si c’est le cas, arrêtez-vous et raffermissez votre intention d’être attentif. Faites demi-tour en deux temps et puis repartez dans l’autre sens – et ainsi de suite.
Remerciements à www.dhammadelaforet.org/
Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°15 (Automne 2020)
Ajahn Jayasaro est né sur l’île de Wight (Royaume-Uni) en 1958. En 1980, il est ordonné bhikkhu avec le vénérable Ajahn Chah comme précepteur. Il vit actuellement dans un ermitage au pied des montagnes de Khao Yai, non loin de Bangkok, en Thaïlande.