Quelques clefs pour la pratique de zazen
Par Brad Warner
On entend encore de nos jours que la méditation est trop difficile pour les gens ordinaires. La première fois que j’ai entendu ça, c’était quand j’étais au lycée et que j’assistais aux conférences du temple Hare Krishna de Cleveland. Selon ces gens, la méditation assise était une méthode que seuls les grands saints peuvent espérer utiliser pour accomplir la Réalisation divine. Dôgen[1] n’était pas d’accord.
Soit. Alors, comment fait-on ? Tout d’abord, Dôgen dit que l’on doit trouver un joli endroit bien tranquille. Ni trop froid, ni trop chaud. La pièce doit être claire, dit-il. Zazen n’est pas quelque chose que l’on doit faire dans l’obscurité. « Mettez de côté toutes vos occupations », dit-il, « et mettez un terme aux dix mille choses ». J’ai vu des débutants zénistes se prendre les pieds dans des expressions comme « les dix mille choses ». Mais ce n’est qu’une expression chinoise pour dire « des tas de trucs ». Cela veut dire de laisser tomber toutes vos autres conneries et de consacrer votre temps de zazen à zazen.
Quand pratiquer zazen ?
Pour moi, c’est le matin qui marche le mieux. Quand j’étais à la fac, je me levais avant mes camarades de chambre pour faire mon zazen pendant ce moment tranquille avant que tout le monde s’active dans tous les sens. Je sais, vous voulez dormir. Mais une fois qu’on en prend l’habitude, on s’aperçoit que zazen est une façon très relaxante de commencer sa journée, et que ce petit rab de sommeil ne manque pas[2].
Dôgen dit de s’asseoir sur un coussin rond appelé zafu. Cela dit, vous n’avez pas idée, jeunes blancs-becs, d’à quel point les choses sont faciles pour vous aujourd’hui. Quand j’ai commencé à faire ce truc de zazen au début des années 80, on ne pouvait pas simplement commander un zafu par Internet. Bordel, en 1982, il n’y avait même pas d’Internet ! À cette époque, il fallait se débrouiller avec tout ce qu’on avait sous la main. Et cela vaut toujours, au cas où vous ne voudriez pas investir dans un zafu réglementaire. Je me suis servi d’oreillers, de traversins, de coussins de canapé, de serviettes pliées et roulées, de sacs à dos bourrés de chiffons[3] et toutes sortes d’autres trucs. Tout ce dont vous avez réellement besoin, c’est d’un truc assez ferme pour soulever votre cul de quelques centimètres au-dessus du sol.
Le plus dur pour moi quand j’ai commencé zazen, ce ne fut pas la douleur. C’était la gêne. J’avais la trouille que quelqu’un s’aperçoive que j’étais assis là, jambes croisées, en train de méditer prétentieusement. J’avais des sueurs froides chaque fois que j’entendais quelqu’un bouger. Surtout si j’étais rentré avec une fille et qu’elle me chopait en train de faire ça le lendemain matin.
Quand je me faisais prendre, les commentaires pouvaient être vicieux. Il y avait les sarcasmes : « Tu médites, donc ! As-tu atteint un plan supérieur ? » Ou bien on me prenait pour un fou. Certains étaient vraiment tracassés. Je me souviens d’une fille dont la mère prétendait que de se vider l’esprit de pensées, comme elle avait entendu dire que le faisaient les méditants, permettait aux démons de venir s’emparer de leur corps — comme si la seule chose qui retenait Satan était un flot ininterrompu de bavardage mental insignifiant. Elle devait s’être imaginé qu’un jour je referais le plan de l’Exorciste avec sa fille. Il était très rare que je rencontre quelqu’un qui pensât que la pratique présentait un intérêt ou une utilité quelconque. Mais cela n’avait guère d’importance pour moi. Je trouvais cela utile et je n’avais pas l’intention d’arrêter.
Dôgen considère que la meilleure façon de plier les jambes est de s’asseoir dans la posture du lotus ou celle du demilotus. « Pour s’asseoir dans la posture du lotus », dit-il, « il faut poser le pied droit sur la cuisse gauche et le pied gauche sur la cuisse droite. Les orteils de chaque pied doivent être alignés sur les cuisses, de façon symétrique, et pas hors de proportion. Pour vous asseoir en demi-lotus, posez le pied droit sur la cuisse gauche ». En demi-lotus, on peut aussi poser le pied gauche sur la cuisse droite ou même inverser le lotus complet.
Même si je vous recommande chaleureusement ces postures comme étant la meilleure façon de pratiquer zazen, ne soyez pas bêtes. Vous entendrez parler de types qui se sont bouzillé les genoux avec ces postures. La plupart de ces histoires sont le fait de gens qui sont passés par-dessus bord en poursuivant la posture dans des conditions de douleur intense ou pendant de nombreuses heures non-stop. Calmez-vous. Si la posture vous fait un peu mal aux genoux, ça va. Les muscles de nos jambes sont plutôt raides, en général, et un peu d’étirements leur fait beaucoup de bien — même si parfois ça fait sacrément mal. Mais connaissez vos limites. Et faites attention aux douleurs dans les genoux. Elles peuvent annoncer des problèmes. Les genoux ne sont pas faits pour être pliés latéralement et il ne faut pas les y forcer. La flexion nécessaire doit provenir d’une rotation de la hanche, pas des genoux.
L’essentiel est de maintenir la colonne vertébrale droite. Évidemment pas droite de façon non naturelle : la colonne vertébrale humaine comporte une courbe naturelle qu’on ne doit pas essayer de défaire. Mais Dôgen dit : « Ne penchez pas à gauche, ne vous inclinez pas sur la droite, ne vous affaissez pas en avant et ne vous arquez pas en arrière. Il est essentiel que les oreilles soient alignées avec les épaules et que le nez le soit avec le nombril. » Ne mettez rien pour vous maintenir le dos non plus, comme un mur ou le dossier d’une chaise. Zazen est essentiellement une posture d’équilibre, et rester en équilibre si on s’appuie sur un dossier n’est pas réellement de l’équilibre.
Tenez les yeux ouverts — « ni grands ouverts, ni mi-clos », dit notre bonhomme, juste quelque part entre les deux. Essayez de les focaliser, aussi.
Maintenant, gardez cette posture. S’il vous faut absolument vous gratter ou réarranger vos jambes, faites-le en faisant le moins de bruit possible et revenez à la pratique. La posture physique correcte est la partie la plus importante de toutes dans la pratique de zazen. Restez concentrés là-dessus et tout le reste s’ensuivra.
Zero Defects[4] avait un morceau intitulé Proper Attire Required, c’est-à-dire « Tenue correcte exigée ». Nous ne l’avons pas joué en décembre. Moi j’aurais voulu, mais les autres ont voté contre. Quoi qu’il en soit, c’est une récrimination contre les clubs qui ne te laissent pas entrer sans cravate. Le morceau se voulait un rejet de la mentalité culserré du conformisme volontaire. Mais quand il s’agit de zazen, je suis très conservateur. J’ai vu des endroits où on laisse les gens méditer dans toutes sortes de postures, y compris dans de confortables « chaises de méditation » dans lesquelles flâner. Je ne crois pas dans cette merde. Faites votre zazen comme il faut ou ce ne sera pas du tout zazen. Je suis donc passé, en quelque sorte, de la récrimination contre le conformisme à l’insistance sur la conformité quand il s’agit de zazen. Comment se fait-il ?
Il y a des enseignants de méditation qui vous diront que la posture dans laquelle vous êtes assis n’a pas d’importance, que c’est ce que vous faites dans votre tête qui compte. Je ne suis pas d’accord. Une posture correcte est un prérequis absolu de la pratique de zazen. Voici pourquoi : il ne s’agit pas d’une posture arbitraire. On n’y est pas arrivé par accident, et ce n’est pas simplement une invention culturelle. Je ne suis pas médecin[5]. Mais après des années de pratique, j’ai pu observer la façon dont mon corps et mon esprit réagissent à la posture correcte. C’est comme si les nerfs qui courent du cerveau dans notre moelle épinière travaillaient mieux lorsqu’ils sont alignés exactement comme Mère Nature a voulu qu’ils soient. On parle souvent d’équilibre en zazen, mais rappelez-vous que le bouddhisme ne fait pas de distinction entre le corps et l’esprit. L’équilibre physique et l’équilibre mental sont la même chose.
C’est pourquoi je n’accepte pas l’idée qu’aussi longtemps qu’on a l’esprit supposément « pur », peu importe la forme du corps. Peu importe la pureté de l’esprit, il est impossible de jouer au baseball avec des melons musqués à la place de balles, de jouer « Highway to Hell » sur l’élastique du soutien-gorge de maman en guise de corde de guitare, ou de pratiquer zazen dans une mauvaise posture. Oh, je suppose qu’on pourrait toujours faire ces trucs, si on le voulait vraiment. Mais ce ne serait ni du baseball, ni « Highway to Hell », ni zazen.
J’ai croisé plein de gens qui voudraient que le zen soit une sorte de pratique où « n’importe quoi » est valable. À dire vrai, c’est ce que je pensais quand j’ai commencé. Il est assez courant de confondre l’insistance du zen sur le fait qu’où qu’on soit et quoi qu’on soit à cet instant est la Réalité elle-même, avec l’idée que n’importe quoi est valable.
Mais non, n’importe quoi, ça ne va pas. Le bouddhisme cherche à découvrir ces choses qui « vont », qui fonctionnent réellement et qui font que notre vie et celle des autres sont meilleures et plus heureuses, et ces choses qui ne « vont » pas et qui nous pourrissent la vie à nous et aux autres. Que le bouddhisme zen ne possède pas un ensemble de règles établies une fois pour toutes, censées régir tous les instants de la vie de chacun en tous lieux, ne veut pas dire que n’importe quoi fasse l’affaire. Le bien et le mal continuent à exister.
L’auteur de science-fiction du nom de John Horgan dit que « les effets de la méditation dont les bouddhistes nous rebattent les oreilles si souvent ne sont pas mesurables » et que, selon des études, zazen n’a pas davantage d’effets bénéfiques sur notre santé mentale et physique que de se fourrer le cul dans un fauteuil bien moelleux.
Je n’en crois rien. Il y a une différence astronomique entre faire zazen et paresser dans un fauteuil à bascule. J’ai suffisamment pratiqué les deux pour le savoir. Si vous voulez connaître la différence, faites un peu zazen et vous verrez.
Zazen n’est pas une pratique « spirituelle ». C’est l’effort de l’esprit et du corps, tout autant que de jouer de la guitare ou de faire de la gymnastique. Tout comme pour toute pratique physique, il y a de bonnes façons et des façons erronées de le faire. Garder la colonne vertébrale droite en se servant de notre capacité à équilibrer les vertèbres les unes sur les autres, voilà la clef d’un bon zazen. Comme je l’ai déjà dit, c’est essentiellement une posture d’équilibre de yoga. Une des postures d’équilibre les plus connues du yoga est celle de l’arbre, dans laquelle on se tient sur une jambe avec un pied posé contre la cuisse de la jambe sur laquelle on se tient. Dans cette posture, il est facile de savoir si on a perdu l’équilibre parce qu’on s’écroule en tas sur le sol. Avec zazen, les indices sont bien plus subtils. Mais une fois qu’on a appris à les identifier, on ne peut plus guère les rater. Zazen est un équilibre entre tension et relaxation. C’est en partie cela, la Voie du Milieu dont notre vieux Bouddha nous a tant rebattu les oreilles. Il s’agit d’arriver à un équilibre physique aussi bien que mental, parce qu’ils sont tous deux une seule et même chose. Tenez-vous droits, et votre esprit se posera de lui-même.
La posture est affaire de l’esprit tout autant que du corps. Si vous êtes trop gros, essayez de perdre du poids. Si vos jambes sont trop raides, essayez ce que j’ai fait et apprenez des exercices de yoga pour vous assouplir les muscles. Rien de valable ne se fait sans effort. Mais faites cet effort et vous en verrez les énormes bénéfices.
[1] Maître Dôgen (1200-1253) est le fondateur de l’école du zen Sôtô japonais.
[2] Je présume ici que vous ne passez pas toutes les nuits à faire la bamboula, et que vous vous accordez une nuit de dodo décente. Se mettre au lit un peu plus tôt a également son utilité.
[3] Ça va. Celui-là, je l’ai inventé.
[4] Groupe de musique punk hardcore américain
[5] Et je n’en joue même pas le rôle à la télé.
Extrait de Assieds-toi et tais-toi ! paru aux Éditions Almora
Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°18 ( Eté 2021 )
Brad Warner est un enseignant zen. Après avoir été bassiste dans un groupe de punk rock de l’Ohio, il émigre au Japon dans un studio d’animation produisant une série télé fantastique très populaire, Ultraman, puis il rencontre le maître Gudô Nishijima Rôshi à Tôkyô, dont il suit les enseignements et reçoit la transmission avant d’enseigner lui-même. Iconoclaste, pétri de culture punk, ce cinéaste et blogueur est aussi le professeur fondateur de l’Angel City Zen Center à Los Angeles.