Par Jack Kornfield
Sans pardon, nous sommes enchaînés au passé. Individuellement, nous restons pris dans la douleur et la souffrance de notre histoire. Collectivement, l’humanité doit apprendre à pardonner, à mettre fin aux cycles de vengeance et de violence, et à repartir de zéro, que ce soit entre catholiques et protestants irlandais, les Hutus et les Tutsis, les Palestiniens et les Israéliens, et dans bien d’autres régions.
La psychologie bouddhiste propose des enseignements et des pratiques spécifiques visant le développement du pardon. Tout comme la pratique de la compassion, le pardon n’ignore pas la vérité de notre souffrance. Le pardon n’est pas une faiblesse. Il requiert du courage et de l’intégrité. Pourtant, seuls le pardon et l’amour peuvent apporter la paix à laquelle nous aspirons.
Lorsque nous pratiquons le pardon individuellement, nous commençons par reconnaître que nous avons tous trahi et blessé les autres, tout comme ils nous ont fait du mal, consciemment ou non. C’est inévitable dans ce monde humain. Nos trahisons sont parfois minimes, parfois terribles. Il est essentiel de pardonner et de recevoir le pardon pour se libérer de notre passé. Pardonner ne signifie pas que nous tolérons les mauvaises actions d’autrui. Nous pouvons nous employer à faire en sorte qu’elles ne se reproduisent plus jamais. Mais sans pardon, le monde ne pourra jamais se libérer des blessures du passé. Quelqu’un a eu ce trait d’esprit : « Le pardon signifie abandonner tout espoir d’un passé meilleur. » Le pardon est un moyen d’aller de l’avant.
Dans la psychologie bouddhiste, le pardon est considéré comme un moyen de mettre fin à la souffrance, d’apporter dignité et harmonie dans notre vie. Le pardon est essentiel pour notre propre bien, pour notre propre santé mentale. C’est une façon de se défaire de la souffrance que nous portons. C’est ce qu’illustre l’histoire de deux anciens prisonniers de guerre qui se rencontrent après de nombreuses années. Lorsque le premier demande : « As-tu pardonné à tes geôliers ? », le second répond : « Non, jamais. » « Eh bien, » répond le premier homme, « ils te détiennent toujours en prison. »
Il se peut que nous souffrions encore terriblement du passé alors que ceux qui nous ont trahis sont en vacances. Il est douloureux de haïr. Sans pardon, nous continuons à entretenir l’illusion que la haine peut soulager notre douleur et celle des autres. Dans le pardon, nous nous détachons et trouvons un soulagement dans notre cœur.
Le pardon voit avec sagesse. Il reconnaît volontiers ce qui est injuste, nuisible et mauvais. Il identifie courageusement les souffrances du passé et comprend les conditions qui les ont engendrées. Il y a de la puissance dans le pardon. Lorsque nous pardonnons, nous pouvons aussi dire : « Plus jamais je ne permettrai que ces choses se produisent. » Nous pouvons prendre la résolution de ne plus jamais permettre que de tels préjudices se reproduisent pour nous-mêmes ou pour autrui. Et, dans le même temps, nous pouvons aussi décider de libérer le passé et de ne pas porter l’amertume et la haine dans notre cœur.
Trouver un moyen d’étendre notre pardon à nous-mêmes est l’une de nos missions les plus essentielles. De même que d’autres ont été prisonniers de la souffrance, nous l’avons aussi été. Si nous regardons notre vie avec sincérité, nous pouvons voir les peines et la douleur qui ont conduit à nos propres mauvaises actions. En cela, nous pouvons enfin étendre notre pardon à nous-mêmes ; nous pouvons considérer la souffrance que nous avons provoquée avec compassion. Sans cette compassion, nous vivrons notre propre vie en exil.
Pour la plupart des gens, le travail de pardon est un exercice délicat. En pratiquant le pardon, nous pouvons passer par des étapes de deuil, de rage, de tristesse, de peur et de confusion. Lorsque nous nous autorisons à ressentir la douleur qui nous habite encore, le pardon est un soulagement, une libération pour notre cœur finalement. Le pardon reconnaît que, peu importe combien nous avons souffert, nous ne chasserons pas un autre être humain de notre cœur.
Extrait de https://jackkornfield.com
Méditation du pardon
Le pardon des autres, le pardon de soi
Pour pratiquer la méditation du pardon, asseyez-vous confortablement, en laissant vos yeux se fermer et votre respiration être naturelle et agréable. Laissez votre corps et votre esprit se détendre. En respirant doucement dans la région de votre cœur, permettez-vous de ressentir toutes les barrières que vous avez érigées et les émotions que vous avez portées parce que vous n’avez pas pardonné — ni à vous-même, ni aux autres. Autorisez-vous à ressentir la douleur de garder votre cœur fermé. Puis, en respirant doucement, commencez à demander et à étendre votre pardon, en récitant les mots ci-après, en laissant les images et les sentiments qui surgissent s’approfondir à mesure que vous les répétez.
LE PARDON DES AUTRES
Il y a de nombreuses façons dont j’ai blessé et fait du mal aux autres, je les ai trahis ou abandonnés, je les ai fait souffrir, consciemment ou non, à cause de ma douleur, ma peur, ma colère et ma confusion. Laissez-vous vous rappeler et visualiser les façons dont vous avez blessé les autres. Voyez et ressentez la douleur que vous avez causée par votre propre peur et confusion. Ressentez votre propre chagrin et vos propres regrets. Sentez que vous pouvez enfin vous libérer de ce fardeau et demander pardon. Imaginez chaque souvenir qui pèse encore sur votre cœur. Puis, à chaque personne qui apparaît dans votre esprit, répétez : je vous demande pardon, je vous demande pardon.
LE PARDON POUR VOUS-MÊME
Je me suis blessé et je me suis fait du mal de bien des façons. Je me suis souvent trahi ou abandonné par la pensée, la parole ou l’action, consciemment ou non. Sentez votre propre corps et votre vie si précieux. Laissez-vous voir les façons dont vous vous êtes blessé ou fait du mal. Imaginez-les, rappelez-les-vous. Ressentez la douleur que vous avez portée et sentez que vous pouvez vous libérer de ces fardeaux. Étendez votre pardon à chacun d’eux, un par un. Répétez-vous : Pour les façons dont je me suis blessé par l’action ou l’inaction, par peur, par douleur et par confusion, je m’accorde maintenant un pardon complet et sincère. Je me pardonne, je me pardonne à moi-même.
PARDON POUR CEUX QUI VOUS ONT FAIT DU MAL OU VOUS ONT BLESSÉ
Il y a de nombreuses façons dont j’ai été blessé par d’autres, maltraité ou abandonné, consciemment ou non, en pensée, en parole ou en action. Représentez-vous et rappelez-vous ces nombreuses façons. Ressentez la douleur que vous avez portée depuis ce passé et sentez que vous pouvez vous libérer de ce fardeau de douleur en étendant votre pardon lorsque votre cœur est prêt. Maintenant, dites-vous : Je me souviens à présent des nombreuses façons dont les autres m’ont heurté ou fait du mal, m’ont blessé, par peur, par douleur, par confusion et par colère. J’ai porté cette douleur dans mon cœur trop longtemps. À présent que je suis prêt, je leur offre mon pardon. À ceux qui m’ont fait du mal, j’offre mon pardon, je vous pardonne.
Laissez-vous répéter doucement ces trois indications pour le pardon jusqu’à ce que vous ressentiez une libération dans votre cœur. Pour certaines grandes douleurs, vous ne ressentirez peut-être pas une libération, mais seulement le fardeau et l’angoisse ou la colère que vous avez portés. Touchez-les doucement. Pardonnez-vous de ne pas être prêt à lâcher prise et à aller de l’avant. Le pardon ne peut pas être forcé, il ne peut pas être artificiel. Continuez simplement la pratique et laissez les mots et les images agir progressivement à leur manière. Avec le temps, vous pourrez faire de la méditation du pardon un moment ordinaire de votre vie, en lâchant prise sur le passé et en ouvrant votre cœur à chaque nouvel instant avec une bonté sage et aimante.
Extrait de https://jackkornfield.com/
Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°16 (Hiver 2020)
Né en 1945, titulaire d’un doctorat de psychologie clinique de l’université de Dartmouth, fondateur de l’Insight Meditation Society et du centre bouddhique de Spirit Rock en Californie où il enseigne et vit, Jack Kornfield est considéré comme l’un des plus grands enseignants bouddhistes occidentaux.