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On ira tous aux paradis

Photo du rédacteur: Sagesses BouddhistesSagesses Bouddhistes

En terres pures, en terres impures, on ira

Interview mené par Philippe Judenne


« Sachez que le vœu du Bouddha Amida ne fait aucune distinction entre vieux et jeunes, bons et méchants ; la foi seule est nécessaire », expliquait Shinran, maître japonais au tournant des xiie  et xiiie siècles et fondateur de la Véritable École de la Terre pure. Selon les écoles de la Terre pure, qui constituent la grande majorité du bouddhisme mondial, la foi et l’aspiration sont essentielles à une renaissance très heureuse en Terre pure. Comme le dit la chanson joyeuse de 1972, qu’on soit bénis ou maudits, saints ou assassins, bonne sœur ou voleur, brebis, bandit, femme du monde ou putain, on ira tous au Paradis. Pour aller à la Terre pure de Grande Félicité (Sukhâvatî ou Dewachen) au moment de la mort, seules comptent la foi dans le vœu originel du Bouddha Amida[1] et la certitude joyeuse de pouvoir renaître dans sa Terre pure. Cette aspiration sincère et cette confiance dans le vœu d’Amida en tant que cause unique de la renaissance en Sukhâvatîfaisait dire à Shinran avec humour : « Même les bons iront en Terre pure, à plus forte raison les mauvais ! »

 

Comme toutes les spiritualités, le bouddhisme donne quelques incontournables points de description et de doctrine : ainsi est acceptée la notion d’existence marquée par la souffrance et l’insatisfaction que nous éprouvons au quotidien – un quotidien qui invite le pratiquant à constater le caractère éphémère de toutes choses et a fortiori de nos vies qui s’inscrivent dans le samsâra, ce cycle sans fin des renaissances dans d’innombrable mondes. Un pratiquant responsable questionnerait l’aspect très relatif des phénomènes extérieurs et celui, en premier lieu, de son propre esprit et de son cœur. Il comprendra que les portes de Sukhâvatî ne s’ouvriront pas devant lui comme celles d’un ascenseur, et que l’accès aux Terres pures des Bouddhas, ou plutôt l’accès à l’aspect pur libéré des obscurcissements passionnels et cognitifs des Terres des Bouddhas, ne se trouve pas ailleurs que dans son esprit et son cœur.

Même si elles représentent des villages-étapes essentiels vers le plein Éveil, les Terres pures (Sukhâvatî et bien d’autres) sont des champs d’expansion des bouddhas et ne constituent pas pour le bouddhisme un refuge dernier et ultime, se distinguant ainsi de l’acception largement répandue au sujet du Paradis chrétien. Encore faut-il que cette distinction soit faite. « C’est pour cela que le bouddhisme de la Terre pure n’a pas de succès en Occident », explique Philippe Cornu, « les gens préfèrent un bouddhisme plus compliqué car une pratique basée sur la foi seule leur rappelle trop un catholicisme dont ils ne veulent pas. » Ainsi les centres de pratique occidentaux de la Terre pure sont rares alors que le courant est largement majoritaire dans le monde (Chine, Japon, Vietnam, une partie en Corée et dans toutes les diasporas internationales de ces pays installées aux États-Unis, à Hawaï et en Europe).

Si aux yeux de certains, « avoir la foi » ou « s’abandonner » semble suspect car nécessairement aveugle et déraisonnable, ce mouvement de l’esprit est celui de « l’arrivée au point de rupture du lâcher prise auquel nous invitent toutes les écoles du bouddhisme » explique Jérôme Ducors[2] : « Le lâcher prise se traduit par foi ou abandon dans la pratique de la Terre pure, ou la visualisation du Bouddha Vairocana dans le bouddhisme tibétain  ou le « asseyez-vous, vous êtes Bouddha » dans la tradition zen. On retrouve les fondamentaux de la méthode bouddhique : rompre avec l’enchaînement de l’ego, la saisie automatique et égocentrée, le moi je qui est le moteur des renaissances ». La pratique de la Terre pure est simple au sens qu’il « suffit » de s’abandonner aux vœux du Bouddha Amida dans une dévotion et une intention sincères, principe qui a rendu cette tradition du bouddhisme très populaire. Que l’on ait la foi du savant ou du charbonnier, que l’on soit intello ou porteur d’eau, on ira tous…


… en Sukhâvatî. Loin de tout recours à la pensée magique ou autre bricolage personnel, la renaissance dans la Terre pure de Sukhâvatî (ou Dewachen) est avant tout une affaire de cause à effet où l’intention du pratiquant s’ajuste parfaitement avec le souhait original, l’intention du bouddha Amida. Les bouddhas et les bodhisattvas ont des champs de conversion, des champs d’action où ils peuvent éveiller les êtres qui souffrent de l’emprise de leur karma passé et de leur ignorance. C’est au fil de ses nombreuses existences qu’un bodhisattva élabore un champ de conversion pour tous les êtres avec lesquels il est en contact. Quand il réalise la bouddéité, son champ est alors aussi pur et parfait que son Éveil.

Amida est un bouddha du passé qui s’est éveillé il y a fort longtemps – bien avant le Bouddha Shakyamuni qui exposa ensuite dans le Sukhâvatîvyûhasûtra comment le moine Dharmâkara prononça son vœu initial de bodhicitta. Le vœu originel de Dharmâkara comportait quarante-huit points dont les plus saillants sont : la volonté de créer une Terre pure où les êtres pourront renaître avant de s’éveiller, le souhait que l’évocation de son nom soit le moyen de s’y rendre, et le souhait que de son corps émane une lumière illimitée. Grâce à son puissant vœu de compassion, Dharmâkara devint finalement le Bouddha Amitâbha après une longue carrière de bodhisattva et son champ pur fut appelé Sukhâvatî, « Terre de Félicité ».

Conformément à son vœu, Amida a mis tous ses mérites[3] dans son nom (Amida, Amitâbha ou Eupamé en tibétain). C’est donc en se reliant à lui en invoquant son nom, dans la dévotion la plus totale et en s’abandonnant complètement à son vœu, que les mérites sont transférés au pratiquant qui peut alors renaître en Sukhâvatî. C’est un coup de pouce fondamental et énorme pour un pratiquant « moyen » à la réalisation « limitée » que de pouvoir manifester son courant de conscience dans la Terre pure d’Amitâbha où la pratique vers le plein Éveil est assurée.

 


 

Comment se caractérise Sukhâvatî, la Terre pure du Bouddha de lumière infinie ?

Dans le cas de Sukhâvatî, la Terre pure du Bouddha Amitâbha, les émotions perturbatrices ne sont pas présentes, les trois poisons[4] non plus. Et la distinction entre les sensations agréables et les sensations désagréables est elle aussi parfaitement équilibrée. De ce fait, on peut pratiquer et parvenir à la bouddhéité bien plus certainement. Dans la Terre pure de Sukhâvatî, la distinction entre « soi » et « autres » n’est pas présente. D’une certaine manière, c’est ce qui nous permet d’avancer beaucoup plus rapidement vers la bouddhéité parce que quand on dit « je » et « autres » on est complètement dans la saisie, l’illusion d’un « soi » intrinsèque et cette croyance est si fortement engrainée dans l’esprit qu’elle nous empêche de progresser. Dans la Terre pure de Sukhâvatî, on a la connaissance qui fait que cette illusion est dissipée et nous pouvons progresser beaucoup plus vite.

Tout y est apaisé et aussi équilibré. Si le vent souffle, il sera parfumé, les cailloux ou les pierres ne peuvent pas blesser. Quels que soient les objets des sens que l’on rencontre, les sens feront une expérience agréable, la pluie ne peut être que porteuse de vie, l’eau que l’on boit est pure et désaltérante. Du fait de toutes ces conditions favorables, les causes, les graines positives que l’on plante murissent beaucoup plus facilement. De la même manière, il n’y a pas de distinction entre nuit et jour. Il faut considérer que la nature, les éléments naturels dans la Terre pure ne peuvent pas nuire et sont fait pour ne pas entraîner de souffrance. Et de la même manière les êtres qui habitent cette Terre pure, eux aussi, ne cherchent jamais à faire le mal, ils sont comme l’environnement, ils ne cherchent qu’à faire le bien.


En quoi consiste la pratique de powa ? Quels sont les signes d’une pratique bien intégrée pour un pratiquant ?

Le powa[5] est une pratique en rapport avec la mort. C’est une pratique que l’on prépare au fil de sa vie en apprenant progressivement à éjecter sa conscience par le biais du sommet de son crâne. L’intérêt de cette pratique est qu’au moment de la mort, plutôt que de prendre renaissance dans un corps « standard », on va pouvoir reprendre directement renaissance dans une Terre pure en éjectant sa conscience au moment de la mort. En méditation, il faut s’entraîner dans la visualisation à percevoir son corps, visualiser là où on va envoyer la conscience, et visualiser là où réside la conscience dans le corps. On s’entraîne ensuite à ce passage-là, de la conscience dans le corps à la conscience hors du corps, et on s’entraîne au fait de passer de l’un à l’autre. Lors de l’entraînement, on fait de nombreuses fois monter et descendre la conscience, jusqu’à ce que des signes d’accomplissement apparaissent. Ces signes sont des démangeaisons, un ramollissement au sommet de la tête, parfois une boursoufflure de la fontanelle. Ces signes indiquent qu’à la mort, il sera facile de transférer sa conscience dans une Terre pure de Bouddha telle que celle d’Amitâbha.

 

 

 

Elijah Ary a suivi pendant des années la formation traditionnelle et scolastique donnée au monastère de Séra.

 

« Tout est créé par l’esprit. Si tout est créé par l’esprit, les champs purs et les champs impurs sont tous une question d’expérience. Un disciple du Bouddha Shakyamuni demande au Bouddha : « Pourquoi est-ce que dans votre champ de Bouddha, il y a tant de souffrances ? » Le Bouddha toucha la terre avec son orteil et tout d’un coup, tout s’est transformé en champ pur. Et le Bouddha dit : « Je donne l’apparence que ce n’est pas un champ pur pour vous motiver à vous éveiller. »

J’aime bien voir, en fait, qu’entre les champs purs et les champs impurs, c’est l’expérience qu’on en fait qui fait la différence. Pour un être éveillé, il s’agit d’un champ pur. Pour nous il s’agit d’un champ impur parce que nous souffrons et que nous avons un travail à faire pour dépasser ça. Sans vouloir trop simplifier les choses et pour faire une analogie avec la méditation, les objets, les sons et tout ce que nous pouvons percevoir par essence, y compris les pensées qui viennent, comme ça, ne sont pas des distractions en tant que telles. La distraction est ce que l’on fait, la relation qu’on entretient à ces objets, l’expérience de ces sons, de ces perceptions et de ces pensées. La distraction est la saisie de toutes ces choses tout en continuant d’entretenir leur évaluation. Le fait de ne pas pouvoir demeurer tranquillement dans la nature de l’esprit vient de nous. C’est par habitude, par manque de vigilance que nous faisons l’expérience des choses désagréables d’un champ impur. Du coup, si nous changeons notre façon de percevoir le monde, nous changeons le monde que l’on perçoit. »

 

 

 


[1] Le bouddha Amida (japonais) se traduit par Bouddha Amitâbha (sanskrit), Amituofo (chinois), Eupamé (tibétain) et Amitâyus dans son aspect de longue vie.

[2] Émission Sagesses Bouddhistes Le Bouddhisme de la Terre pure avec Jérôme Ducors, bonze, responsable d’un temple de l’École véritable de la Terre pure à Genève (www.dailymotion.com/video/xc85ej)

[3] Mérites : résultat des actes méritoires au niveau du corps, de la parole et de l’esprit. Le bodhisattva accumule des mérites pour le bienfait de tous les êtres, dans l’intention de transmettre un jour ces mérites à autrui (voir glossaire p.73).

[4] Les trois poisons : ignorance, désir-attachement, aversion.

[5] Contrairement à d’autres techniques de ce type réservées aux pratiquants « confirmés », le powa est largement enseigné dans toutes les traditions du bouddhisme tibétain.


Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°9 (Hiver 2019)

 

Lama Nygiam Rinpoché dirige le centre de retraite de Parping au Népal. Il a accompli, sous la direction des plus grands maîtres Kagyupa une retraite de dix ans sur le Mahamoudra, voie de la méditation non-duelle sur la nature de l’esprit. Il enseigne aussi en Inde ainsi qu’en France, l’année dernière, où nous avons pu le rencontrer à l’Espace Bouddhiste Tibétain à Paris.

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