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  • Photo du rédacteurSagesses Bouddhistes

L’octuple sentier, la voie vers l’Éveil

Dernière mise à jour : 18 mars

Présentatrice de l’émission : Sandrine Colombo, Invitée : Jeanne Schut


Jeanne Schut pratique le bouddhisme dans la tradition de la forêt depuis une trentaine d’années, et a traduit de nombreux livres des grands maîtres de cette tradition dont elle est également l’interprète.



Pour parvenir à l’Éveil, à la cessation de la souffrance, le Bouddha a proposé un chemin à la fois précis et extrêmement concis qu’il a appelé l’octuple sentier. C’est l’aboutissement de son propre Éveil, le fondement même de la pratique de toutes les écoles bouddhiques. Sous cette expression qui semble ancienne et réservée aux initiés, l’octuple sentier est en fait une voie de pratique à développer qui recouvre tous les aspects de la vie, qu’ils soient relationnels ou individuels. Ces pratiques sont au nombre de 8, et c’est de ce chemin aux huit étapes que nous avons eu l’occasion de parler avec Jeanne Schut lors de l’une des émissions télévisées de Sagesses Bouddhistes.



Sandrine Colombo : Pourquoi ce chemin ? Qu’est-ce qui l’a motivé ?

Jeanne Schut : Au départ le Bouddha cherchait une réponse aux problèmes de la souffrance. À l’âge de 29 ans, il a découvert ce qu’était la souffrance : fils d’un roi, on l’avait énormément protégé et un jour, il découvre que les gens tombent malades, qu’ils meurent, qu’ils vieillissent. Comment laisser ces catastrophes arriver aux gens qu’on aime ? Il fallait trouver une réponse. Il est donc allé voir les grands maîtres de son époque qui lui ont enseigné la méditation. Mais c’était une méditation de concentration, et il est arrivé très vite à des sommets de concentration très élevés — il faisait l’admiration de ses maîtres, mais constatait qu’une fois sorti de cet état de concentration, la souffrance était toujours là. 

Il a donc cherché une autre voie. Parmi ce qui existait à son époque en Inde, c’était la voie de l’ascétisme. Il a suivi cette voie avec des compagnons ascètes pendant six ans, et à nouveau, il n’est arrivé à rien. Mais un jour, il s’est trouvé au bord d’une rivière, où passait une barque avec deux hommes qui discutaient de la façon dont on doit tendre les cordes d’un luth. Ils disaient : « Si les cordes sont trop tendues elles cassent. Si elles sont trop molles, le son n’est pas joli. » Ces paroles ont tout de suite eu un écho dans l’esprit du Bouddha : « C’est cela que j’ai fait, quand j’étais jeune, dans ce palais princier, les cordes étaient trop lâches. Et maintenant, avec l’ascétisme, c’est trop tendu. Il faut que je trouve la Voie du milieu. »

Il s’est donc autorisé à manger, il s’est lavé, il s’est posé auprès d’un arbre et n’a plus bougé jusqu’à trouver réponse aux problèmes de la souffrance. Et il a effectivement trouvé l’Éveil.


L’Éveil du Bouddha était donc une réponse à la question de la souffrance ?

Exactement. Il a trouvé une réponse qu’il a formulée de façon extraordinairement simple : il y a quatre vérités. Et il est allé voir ses anciens amis, les ascètes, et leur a donné ce premier enseignement qui s’appelle la mise en mouvement de la roue du Dhamma : il y a quatre nobles vérités. La première c’est qu’il y a la souffrance, et il faut la comprendre. Deuxième vérité, la souffrance a une cause et il faut la voir clairement. Troisièmement, si on déracine la cause, il n’y a plus de souffrance. Et quatrièmement, le plus important : comment faire pour déraciner cette cause ?

Et c’est là qu’il a annoncé huit points qu’il a appelé l’octuple sentier, huit domaines d’entraînement de l’esprit qui vont nous permettre d’arrive à déraciner la cause de la souffrance. Une formule quasiment magique, en très peu de mots !


L’octuple sentier, c’est à la fois précis et structuré : quelle est la particularité de cette structure ?

C’est un chemin d’entraînement de l’esprit qui a pour particularité de nous faire travailler sur le domaine du quotidien, notre comportement, mais aussi dans le domaine de la méditation, jusqu’à la conséquence naturelle qui sera le domaine de la sagesse. Ces huit parties ont souvent été divisées en trois parties :

L’octuple sentier
L’octuple sentier

Pouvez-vous nous expliquer ce qu’on entend par « juste » ?

Précisément, à l’origine, le mot pali était sammâ, ce qui veut dire « parfait », « total », « complet ». Mais si on utilise une voie d’entraînement avec des mots qui au départ disent « parfait » — la parole parfaite, la concentration parfaite — ça peut être un peu décourageant. Je trouve donc cette traduction… juste ! Parce qu’elle donne la notion d’équilibre que le Bouddha cherchait quand il a cherché la Voie du milieu. Par exemple, lorsqu’on parle de l’effort juste : un effort trop tendu sera égotique, tandis qu’un effort trop relâché sera peut-être de la paresse. J’aime ajouter aussi cette notion de non-souffrance car, rappelons-nous : le Bouddha cherchait la réponse à la souffrance.


Nous allons évoquer point par point les grands domaines de l’octuple sentier : le premier d’entre eux est relatif au comportement dans la vie et est primordial.

Tout à fait, c’est un code d’éthique qui permet de développer l’honnêteté, la vérité avec soi-même et avec les autres.


La parole

Le Bouddha parle clairement de mettre la parole au service de la paix. Quand il y a la parole futile, il peut y avoir les médisances, la méchanceté et la parole qui divise. On voit cela par exemple à un niveau public : certains grands orateurs ont la capacité d’ameuter des foules et même de démarrer des guerres avec la parole non juste. D’autres vont apporter la sagesse avec leur parole, comme le Bouddha ou Jésus. Avec la parole on peut tout faire, c’est une arme immense : si on souhaite s’engager sur une voie de vérité, d’honnêteté, de sagesse, il faut vraiment savoir l’utiliser.


Quand on dit la « parole », c’est bien sûr la parole orale mais c’est aussi l’écrit ?

Oui, il y a l’écrit, surtout à notre époque, où il y a tellement de sms, de réseaux sociaux, où tout s’écrit… Il y a certainement énormément de paroles inutiles dans ces échanges. C’est la même chose ici : mesurer un peu cette énergie que l’on disperse ! Cette énergie, une fois dispersée, on ne l’a pas au service de la sagesse, de l’attention, de la compréhension de ce que nous faisons.


Alors comment pratiquer la parole juste quand on ressent à un moment donné de la colère, de la haine pour quelqu’un ou pour quelque chose ?

Dans les moments où l’on pourrait être dans la réaction, la première chose à faire c’est de ne pas accuser l’autre : c’est-à-dire commencer par prendre un peu de recul, ne pas se lancer dans la parole tout de suite, essayer de voir pourquoi nous sommes dans un tel état. Alors bien sûr, ça ne peut pas se faire en un claquement de doigts, mais ça s’apprend. On apprend à laisser un petit espace, une petite pause — moi j’appelle ça un « sas » — entre l’arrivée de quelque chose de peut-être émotionnellement fort, et puis notre réaction. On peut aussi agir plutôt que réagir. Ce petit espace, ça va nous permettre de ne pas répondre dans la violence et plus tard, en position de méditation, de prendre le temps de se demander : « Pourquoi ai-je été aussi blessée ? Avais-je des attentes, avais-je une confiance que j’ai estimée brisée ?... Après tout c’est moi qui ai donné ma confiance à cette personne. »

Remettre les choses en place, les regarder d’un autre point de vue et peut-être simplement s’apaiser, en tout cas éviter de parler sur le même ton — autrement, une fois en méditation, la première chose qui va se passer, c’est qu’on va revivre cela, et on va s’apercevoir que d’avoir mal parlé ne nous apporte aucune paix, au contraire : on aura peut-être envenimé la situation et on ne sera pas fier de soi au final.


L’action juste

Le deuxième point, c’est l’action juste : le Bouddha l’a subdivisée en trois points. Plus tard elle sera encore plus subdivisée, ce seront les préceptes (cinq pour les laïques, et davantage pour les moines et les nonnes).

Le premier point c’est le respect de la vie, c’est-à-dire observer les êtres vivants, que ce soit des humains, des animaux ou même des plantes, et voir le cycle de la vie ; découvrir la vie en observant, au point d’avoir une véritable révérence pour la vie, au point de ne plus pouvoir apporter la mort. Ne plus tuer. Pas seulement les êtres humains mais tous les êtres vivants.

Le deuxième point, c’est le respect de la propriété d’autrui : ne pas faire aux autres ce qu’on ne voudrait pas qu’on nous fasse à nous-mêmes. C’est-à-dire que si on va voler quelque chose, on n’apprécierait pas l’inverse. Il ne s’agit pas que du vol, on peut même le décliner plus finement, s’emparer de choses qui ne sont pas vraiment à nous, au niveau de la propriété littéraire par exemple. Tout cela, ce sont des choses auxquelles nous devons apporter notre attention. Mais il faut savoir qu’au moment où l’on développe la méditation, toutes ces attitudes pas tout à fait justes nous reviennent à l’esprit et, dans ce sens-là, tout notre comportement va s’améliorer.

Ce chemin est aussi un chemin qui monte en spirale — c’est-à-dire qu’au départ nous allons faire un petit effort, voire pas ; nous nous asseyons en méditation et nous voyons que notre comportement n’est pas sain. Et pour améliorer notre méditation, ou même simplement spontanément, on va améliorer notre comportement : en conséquence, la méditation sera plus fluide. C’est donc vraiment un chemin qui tourne et qui s’améliore tout en s’approfondissant en même temps.

Le troisième point, c’est le respect de la vie de couple. Dans le bouddhisme on ne parle pas spécialement d’un couple marié ou non marié, mais du respect de l’engagement que l’on a pris vis-à-vis d’une personne. On sait, par expérience, que si cet engagement n’est pas tenu, les personnes souffrent énormément. Et quand bien même : lorsqu’on triche, on est amené à mentir, à faire des cachotteries, et à ne pas respecter l’honnêteté. À nouveau, impossible de méditer correctement quand on se comporte ainsi.

Le Bouddha nous donne tout cela non pas comme un diktat (« c’est comme ça qu’il faut faire ») mais pour nous aider, faciliter notre pratique méditative au départ. Mais après, par nous-mêmes, nous allons avoir envie d’améliorer ce comportement de plus en plus.


Les moyens justes de gagner sa vie : qu’est-ce que cela veut dire précisément ? Cela veut-il dire qu’on ne peut pas exercer n’importe quel métier pour gagner sa vie ?

Cela concerne les métiers effectivement, ou son activité dans la vie si on ne travaille pas particulièrement à l’extérieur. On demande que l’activité que l’on exerce soit saine par rapport à nous-mêmes, c’est-à-dire ne pas faire du mal à soi-même, ni aux autres. Et se faire du mal à soi-même c’est aussi ne pas respecter les préceptes auxquels on croit. Nous allons donc essayer d’avoir une activité dans laquelle nous ne serons pas amenés à aller à l’encontre des préceptes auxquels nous croyons.

Il y a encore une nuance que j’aimerais ajouter, dans le travail : le Bouddha nous explique qu’il n’y a pas seulement le fait de « gagner » sa vie quand on travaille, mais il y a également la notion de service. Il ne s’agit pas seulement de récupérer de l’argent ou des moyens d’existence, mais d’apporter quelque chose, par son attitude. Et je pense que, dans le monde du travail aujourd’hui, si chacun pouvait faire rayonner quelque chose de positif, nous aurions des milieux de travail qui pourraient être beaucoup plus agréables.


Poursuivons notre chemin dans l’octuple sentier. À présent, quelles sont les trois étapes relatives à la méditation ?

L'effort juste

Nous allons tout d’abord parler de l’effort juste. L’effort juste ça correspond à — comme nous le disions tout à l’heure avec la corde du luth — ne pas trop tendre, et ne pas non plus être trop laxiste. Le Bouddha a donné un exemple très précis, du moins une indication de ce qu’est l’effort juste : si vous avez une difficulté, un obstacle dans votre vie spirituelle ou même dans votre vie quotidienne et que vous commencez à trouver un moyen de dépasser cet obstacle, alors poursuivez cet effort. Si vous avez déjà développé une vertu, poursuivez cet effort. Mais si vous ne l’avez pas encore développée, faites l’effort de la développer et ensuite de poursuivre votre effort. C’est dans ce sens-là que nous allons accumuler une certaine dose d’énergie qui va nous permettre d’avancer, avec le sentiment d’aller vers quelque chose de plus juste.


L'attention juste

L’attention va nous permettre de mettre une lumière très forte sur tout ce qui nous arrive au moment où ça nous arrive. L’attention juste, c’est le pivot de la pratique méditative. L’attention juste ça veut dire être attentif à tout ce qui se passe, à tout moment qui nous arrive, même dans le quotidien mais surtout dans la méditation, bien entendu, pour le voir avec précision. Lorsque nous développons ce type d’attention, nous nous apercevons que tout ce qui nous arrive, tout ce à quoi nous pouvons être attentifs dans la vie nous vient de nos sens, tout simplement. Nos cinq sens physiques, et notre mental que l’on considère comme le sixième sens. Par exemple, j’entends un son d’oiseau et tout de suite je suis attentive : tiens, c’est un oiseau, c’est joli, comme s’appelle-t-il, ça doit être un merle, etc. et je suis partie dans les pensées.

Deuxième étape, dans l’attention : j’entends le même son, je vois que ce sont des vibrations au niveau de mes oreilles, et je me dis que c’est joli, mais que ma pensée m’entraîne, alors je reviens, je reste ici, je reste avec ce son.

Et plus nous approfondirons la méditation et le développement de l’attention, plus nous arriverons à un moment où nous entendons les vibrations qui touchent nos tympans, et ça s’arrête là. Et ça correspond à un enseignement magnifique que le Bouddha a donné à un ascète qui est venu le trouver : « Vénérable, vous allez peut-être mourir bientôt, moi je vais peut-être mourir bientôt, je veux que vous me disiez maintenant le secret de la sagesse. » Le Bouddha était alors en train de se diriger vers la ville, il n’avait pas le temps, il le lui dit, mais il insiste tellement qu’il accepte de lui donner cette réponse très concise parce que les circonstances l’y poussaient : « Quand tu perçois un son, qu’il n’y ait que le fait d’entendre. Quand tu perçois une odeur, qu’il n’y ait que le fait de sentir. Quand tu as une pensée, qu’il n’y ait que la prise de conscience de cette pensée. Et à ce moment-là, il n’y a pas de moi. Et quand il n’y a pas de moi, il n’y a personne pour souffrir. Telle est la voie de la fin de la souffrance. »

C’est un enseignement ultime qui correspond simplement à la finalité de l’observation, de l’attention profonde.


Comment maintenir l’attention à la réalité de l’instant ?

Il est vrai que c’est difficile de garder cette attention à tout moment, dans la méditation mais aussi dans la vie : on est censés continuer dans le quotidien. Pour ça, le Bouddha est un très bon enseignant ! Il ne dit pas simplement : « Développez l’attention », il nous dit : « Voilà des exercices pour le faire. » Il a donc développé cet enseignement qui s’appelle les quatre fondements de l’attention, où nous trouvons de nombreux exercices pour nous entraîner à observer le fonctionnement du corps, de nos ressentis, de l’esprit, de nos états d’esprit, nos pensées, nos émotions et nous permettent également d’observer avec l’attention profonde tous les enseignements que lui-même a donnés.


La concentration juste

La concentration juste, quant à elle, va nous permettre de créer un silence à l’intérieur de ce mental tellement agité en général — comme on le voit dès que l’on s’assoit en méditation — et c’est dans ce silence que la lumière de l’attention va pouvoir faire son travail.


Avec l’attention et la concentration justes finalement, vers quelles réalités chemine-t-on ?

On chemine vers la compréhension juste. La compréhension des grandes caractéristiques de l’existence dont le Bouddha parle.


Parlez-nous de la compréhension juste qui est une des étapes de l’octuple sentier.

Oui, c’est la sagesse, et il est intéressant que le Bouddha l’ait mise tout au début : on dit qu’il faut développer la moralité, l’honnêteté, etc., pour pouvoir avancer vers la méditation et finir sur la sagesse. Mais le Bouddha plaçait la sagesse en premier. Il estimait donc qu’il fallait avoir déjà pas mal de sagesse pour pouvoir ensuite améliorer son comportement quotidien et se lancer dans une pratique méditative. Puis enchaîner sur un affinement de notre comportement, et affiner la méditation également. Donc, la compréhension juste vient au début.

Il ne faut pas oublier aussi que la première noble vérité c’était qu’il y a la souffrance et qu’il faut la comprendre : on est vraiment ici dans l’enseignement-clef.

Dans la sagesse il y a également la pensée juste. Le Bouddha la définie très clairement : c’est une pensée qui est libre des trois poisons mentaux que sont le désir, l’aversion et l’ignorance. Une pensée libre de désir va être une pensée de générosité vis-à-vis de l’autre. Une pensée libre d’aversion sera une pensée de bienveillance, et globalement une pensée de compassion pour soi et pour les autres, parce que nous sommes dans l’ignorance, c’est-à-dire que nous aurons un peu de compassion pour notre propre ignorance et celle des autres.



En conclusion, juste quelques mots sur cet octuple sentier que vous teniez à évoquer et qui est très important pour vous.

Oui c’est important, parce que c’est tellement simple : le Bouddha a réussi à exposer de façon tellement concise seulement huit éléments sur toute la complexité de la vie, huit choses à développer, et je me dis que chacun d’entre nous, avant de se lancer dans des pratiques compliquées, devrait se poser la question : est-ce que ma parole est juste au quotidien ? Est-ce que mon comportement est juste ? Est-ce que dans ma pratique méditative je donne vraiment assez de place à l’effort juste et à la concentration juste ?

Se poser ces questions, et peut-être rétablir notre façon de faire : voilà qui me paraît utile.


Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°6 (Printemps 2018)


 


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