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Méditations bouddhistes et approches « laïques »

Entretien avec Olivier Reigen Wang-Genh



Lorsque des sujets sur l’esprit, la psychologie, la compréhension de l’esprit humain sont abordés, nous entendons de plus en plus un discours à l’adresse du grand public qui privilégie la terminologie scientifique plutôt que celle du bon sens ou des traditions contemplatives. Ainsi, on ne parle plus d’esprit mais de cerveau. On ne parle plus de nos habitudes, parfois profondément ancrées et toujours susceptibles d’être transformées, mais plutôt de réseau de neurones et de plasticité synaptique. Dire que la méditation aide une personne à vivre plus sainement est acceptable sous condition. Mais on préfère dire que la méditation génère des bénéfices scientifiquement prouvés pour les défenses immunitaires, les maladies inflammatoires et cardio-vasculaires, et la diminution du ressassement mental survenant dans les épisodes dépressifs.

Lorsque Christophe André préface un livre du Dalaï-Lama, paru aux éditions Odile Jacob, L’Enseignement du Bouddha, on comprend le pari de l’éditeur sur la notoriété de l’auteur de la préface. Mais nous pouvons aussi nous demander si les référents en matière de méditation cessent d’être des enseignants bouddhistes et sont maintenant des individus œuvrant plus dans les sphères clinique, universitaire et la nébuleuse du mieux-être.

En 2016, nous avions rencontré Olivier Reigen Wang-Genh, maître Zen et alors président de l’Union Bouddhiste de France, pour discuter du sujet avec lui.


Sagesses Bouddhistes : La méditation bouddhiste est-elle victime d’un fond culturel laïc préjugeant que le bouddhisme demande aux adeptes de croire avant de comprendre alors qu’une méditation laïque argumentée par la science est plus recevable et abordable ?

Olivier Reigen Wang-Genh : Il me semble qu’aujourd’hui la méditation bouddhiste est plus « victime de son succès » et de tout l’intérêt qu’elle suscite en Occident ! Depuis plusieurs décennies que le bouddhisme s’implante sur des terres nouvelles comme l’Europe et les États-Unis, le grand public n’a toujours pas compris le fait que le bouddhisme n’est pas une religion théiste et encore moins monothéiste. Beaucoup de points opposent le bouddhisme aux religions du livre : pas de Dieu, pas de livre sacré et pas de dogmes... Cela fait beaucoup ! Et on rentre avant tout dans le bouddhisme par l’expérience de la méditation plus que par des croyances ou une foi préalable. Alors en effet, une approche scientifique du bouddhisme est tout à fait adaptée à ce dernier puisqu’il est basé sur l’expérimentation et la vérification des enseignements du Bouddha dans le cœur de son quotidien. Une telle approche peut aider à accepter plus facilement les incompréhensions de départ.


Les pratiques de méditation bouddhiste peuvent sembler, pour certaines, assez étranges à un esprit occidental habitué à penser en termes de sujet/objet et d’action/résultat. Ces pratiques sont pour la plupart entourées de rites d’un premier abord exotique qui peuvent perturber une approche plus rationnelle. Ici en Occident nous aimons avoir d’abord des preuves et des démonstrations logiques et qui semblent fiables, avant de nous lancer dans une aventure comme la méditation. Or le point clé de ces méditations bouddhistes est que justement elles emmènent directement à dépasser les contradictions et les dualités dans lesquelles nous nous enfermons et qu’elles nous font faire l’expérience de la non-séparation et de l’unité immanente de toutes choses en ce monde. C’est au travers de cette expérience vécue, au-delà des mots, que le pratiquant bouddhiste établira sa foi inébranlable dans l’enseignement du Bouddha. Alors, si cette approche scientifique argumentée peut aider certaines personnes à aller vers cette expérience méditative, pourquoi ne pas considérer cela comme un nouveau « moyen habile » moderne ?


Alors, si cette approche scientifique argumentée peut aider certaines personnes à aller vers cette expérience méditative, pourquoi ne pas considérer cela comme un nouveau « moyen habile » moderne ?


Le maître Thich Nhât Hanh a dit : « Quand l’incendie brûle, on ne recherche pas le coupable, on va chercher de l’eau. » La voie bouddhiste montrée par le Bouddha, le grand médecin, vise à déraciner les racines de la souffrance et de l’insatisfaction pour un bonheur et une joie sans conditions. Les MBSR et autres outils de pleine conscience font un peu figure de médecins urgentistes qui font avec les moyens du bord en fonction de la situation présente. Qu’en pensez-vous ?

Il s’agit là aussi sans doute d’un autre palier dû à l’évolution de nos sociétés : tout s’accélère et nous considérons que les remèdes doivent être aussi efficaces et rapides que ces nouvelles maladies comme le stress négatif, la dépression, le burnout, la perte de sens et de repères sont brutales. Nous cherchons des médicaments miracles sans vouloir chercher les causes premières de ces souffrances. Nous oublions que ces maladies nouvelles ne surviennent pas sans raisons et que nous mettons des années à les mettre en place de façon insidieuse et discrète. C’est là sans aucun doute l’immense différence qu’il peut y avoir entre l’étude et la pratique d’une voie spirituelle comme le bouddhisme, avec l’aide d’un maître notamment, et une thérapie circonstanciée qui utilisera certaines « techniques » puisées dans les traditions bouddhistes. Là aussi, en tant que bouddhistes, nous devrions être très prudents et bienveillants car mêmes ces thérapies ou ces méthodes mises en place de façon très scientifique peuvent servir de porte d’entrée à des personnes qui pousseront leurs recherches plus loin.

Quelle est selon vous la différence de portée entre méditation bouddhiste et laïque ?

Eh bien, le fait de croire par exemple que, parce que certains symptômes s’apaisent ou disparaissent momentanément, on peut arrêter ces pratiques et recommencer comme avant ! Les méditations bouddhistes s’inscrivent toutes dans un ensemble constitué par la méditation, l’éthique et la sagesse. On ne peut séparer les trois ou choisir seulement un aspect : le comportement éthique, les préceptes bouddhistes, ne peuvent pas être séparés de la méditation et de la sagesse puisqu’ils sont l’expression même de ce que nous expérimentons en méditant !

Le principal danger serait de croire que ces méditations pourraient être utilisées seulement dans le cadre d’un développement personnel ou d’une amélioration de ses capacités pour son propre intérêt. Toutes les pratiques bouddhistes quelles qu’elles soient sont toujours dédiées au bien de tous les êtres, on ne les garde pas pour soi : on les offre !


Jon Kabat Zinn, Docteur en médecine, fondateur des MBSR et de la Mindfulness

Geneviève Hamelet, instructrice MBSR et présidente la très sérieuse association ADM (Agence pour le Développement de la Mindfulness) qui œuvre pour maintenir les critères de formation des instructeurs

Jean-Gérard Bloch, Docteur en médecine et directeur du Diplôme Universitaire de Strasbourg « Médecine, Méditation et Neurosciences », rhumatologue et instructeur MBSR

 

À chaque cession hebdomadaire d’un stage de pleine conscience laïque, un participant témoignait que les personnes arrivaient une par une, venaient s’assoir sur les coussins et se mettaient à attendre en silence ou discutaient à voix basse lorsqu’elles se connaissaient. Le retour au calme était systématique, comme s’il s’agissait d’un rituel naturel. Le rituel est-il important dans une cession de méditation ? Est-il a priori naturel ?

Établir des rituels dans sa vie est certainement la chose la plus naturelle du monde ! Chacun les établit de façon inconsciente : le matin en vous levant vous êtes plutôt café ou douche ? Notre vie est remplie de rituels et heureusement ! Pour les Occidentaux qui découvrent la méditation dans un centre bouddhiste, les rituels qui précédent et qui suivent l’assise sur le coussin peuvent être très perturbants. C’est très dommage car il n’y a aucune séparation entre ces rituels et la méditation : les rituels sont déjà la méditation. Par exemple dans le zen, nous saluons notre coussin de méditation avant de nous assoir car nous considérons que c’est le siège de Bouddha. Nous le respectons, puis nous nous tournons et saluons avec tout autant de respect les autres participants présents. Nous sommes déjà dans la réalité de cette méditation, nous l’exprimons avec le corps ! Tous ces petits rituels se suivent et font qu’à la fin nous ne pouvons pas dire quand commence la méditation et quand elle finit. Pour avoir participé à une journée de pleine conscience, sans aucun rituel et où chacun fait à peu près ce qu’il veut quand il le souhaite, je me suis dit que cela ne pourrait pas continuer longtemps et que tôt ou tard des « rituels laïcisés » allaient naturellement se mettre en place. Peut-être est-il dommage de tirer un trait d’emblée sur des rituels mis en place au fil des millénaires par des maîtres et des enseignants éclairés… qui prennent tout leur sens lorsqu’on les pratique !

Vous êtes maître zen et vous avez eu cette curiosité de faire l’expérience d’un D.U. universitaire sur la méditation ? Pourquoi ?

Il s’agit du premier D.U. « Médecine, méditation et neurosciences » mis en place à Strasbourg il y a quatre ans maintenant. Normalement, ce D.U est strictement réservé au monde médical et j’ai beaucoup apprécié qu’on m’y accepte ! En fait, de plus en plus de personnes viennent pratiquer au Centre zen de Strasbourg et au monastère Ryumonji après être passées par un stage MBSR ou une journée de pleine conscience, et souhaitent ensuite aborder la pratique du zen. Beaucoup de ces personnes ont eu de gros problèmes de santé, dépression, burnout, et j’ai ressenti le besoin de mieux comprendre leur parcours afin de pouvoir les accompagner au mieux. Ce D.U. se déroule sur deux semaines complètes très denses où sont abordés tous les aspects médicaux, psychologiques, neurologiques et scientifiques, et où beaucoup de pratiques de différentes formes de méditation sont enseignées par un instructeur MBSR. Outre le contenu même de ce D.U et la qualité des différents intervenants, j’ai beaucoup apprécié tous ces moments d’échanges et de partage avec les participants du monde médical, et j’ai pu mesurer toutes les difficultés auxquelles ils étaient confrontés au quotidien. Leur intérêt pour la méditation est réel et peut-être surtout à titre personnel.

Le guide, l’instructeur ou l’enseignant de méditation ont-ils un rôle important ?

Il est sans aucun doute essentiel ! Dans la pratique d’une voie spirituelle, la relation maître-disciple est au cœur de la pratique. Au cours de ces dernières décennies cette relation n’a pas toujours été évidente pour les Occidentaux qui se sont tournés vers le bouddhisme ; on a souvent assisté soit à des peurs excessives vis-à-vis du maître, soit au contraire à des formes de fascination malsaines, ce qui se révèle dans les deux cas très problématique. À un degré moindre sans doute, ces phénomènes de projection, de rejet ou d’attachement vont se reproduire avec les instructeurs en méditation laïque et il n’est pas sûr qu’ils aient alors le bagage et la maturité spirituelle pour surmonter ces écueils. Les phénomènes de « gourouisation » d’un enseignant sont aujourd’hui bien identifiés mais restent toujours des pièges redoutables tant pour les étudiants que pour les enseignants eux-mêmes. Là encore c’est la dimension religieuse qui est centrale, c’est-à-dire l’esprit religieux qui anime un enseignant, ses motivations profondes.



Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°1 (Hiver 2016)



 


Olivier Reigen Wang-Genh pratique le zen Sôtô depuis 1973. Il a reçu l’ordination de moine de maître Taisen Deshimaru et la transmission du Dharma de maître Dosho Saikawa. Fondateur d’une vingtaine de dojos et de groupes de pratique en Alsace et en Allemagne, il est l’abbé du temple de Kosan Ryumon-Ji à Weiterswiller.


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