Par Thich Nhât Hanh
Sagesses Bouddhistes Le Mag vous propose ici un enseignement du maître Thich Nhât Hanh donné en 2012 au Village des Pruniers.
Après la marche lente, il y a donc la pratique de la marche en pleine conscience.
Durant la marche consciente, nous arrêtons aussi notre pensée. Si nous pensons en marchant, nous ne marchons pas véritablement.
Durant notre marche, nous concentrons notre attention sur nos pas et nous coordonnons notre respiration et nos pas. Bien sûr, en concentrant notre attention sur la respiration et nos pas, nous sommes des personnes libres. Nous marchons comme des personnes libres sur cette planète Terre et nous savourons chaque pas.
En inspirant, nous pouvons faire deux ou trois pas et nous dire :
« Je suis arrivé, je suis arrivé, je suis arrivé dans l’ici et maintenant, là où la vie est disponible. »
« Je suis arrivé », ça signifie : « Je ne cours plus, j’ai couru toute ma vie et, maintenant, je décide de mener ma vie consciemment. Chaque pas me ramène chez moi, dans l’ici et maintenant afin de pouvoir toucher la vie en profondeur. » « Je suis arrivé », c’est donc : « Je ne veux pas courir. »
Et la destination, c’est l’ici et maintenant, là où la vraie vie est disponible. Mon corps est là, le Cosmos est là, le Printemps est là. Tout le Vivant est là, je suis arrivé, je suis arrivé.
Puis, en expirant, nous pouvons faire trois pas, voire quatre. Habituellement, l’inspiration est légèrement plus courte que l’expiration. En inspirant, si nous faisons deux pas, notre expiration durera peut-être trois ou quatre pas.
Le nombre de pas durant l’expiration est généralement plus grand.
Personnellement, si j’inspire trois secondes, j’expire cinq secondes. Je fais trois pas sur l’inspiration et cinq pas sur l’expiration.
Si j’inspire quatre secondes, alors j’expire six secondes ; j’inspire sur quatre pas, j’expire sur six pas.
Ou cela peut aussi être 5 et 8 ou 6 et 9.
Il arrive aussi que l’inspiration dure 10 secondes et l’expiration 15 secondes. Parfois aussi 12 et 18.
En respirant ainsi une minute, cela ne laisse place qu’à deux cycles d’inspiration et expiration.
En position assise, nous pouvons parfois arriver en inspirant 10 secondes et expirant en 18 secondes. Et nous pouvons nous aider d’une horloge et respirer avec l’horloge, avec le « tic tac ».
C’est donc pareil avec la marche. En inspirant, nous pouvons commencer par 2 secondes/pas (Je suis arrivé, arrivé) et 3 sur l’expiration (Je suis chez moi, chez moi, chez moi).
L’essentiel est de se sentir vraiment chez soi ; ce n’est pas une déclaration, ce n’est pas une affirmation verbale. C’est une réalisation concrète. Quand j’inspire et fais un pas, je suis chez moi, je ne dois plus courir nulle part. Ma demeure est dans l’Ici et Maintenant.
Dans la tradition bouddhiste, nous apprenons que le passé n’est plus là, que le futur n’est pas encore là ; que seul le moment présent est disponible pour vivre. Et c’est pour cette raison que chaque respiration et chaque pas nous ramènent chez nous, dans le moment présent.
La Demeure, dans ce cas, c’est « Ici et Maintenant », là où sont disponibles toutes les merveilles de la Vie, là où mon corps est accessible. « Je suis arrivé, je suis chez moi. »
Si vous débutez la Pratique, il est bon de pratiquer la marche lente seul. J’inspire, je pose un pas et je dis : « Je suis arrivé. » Et pour vraiment arriver, il faut engager tout le corps et tout l’esprit dans le pas. À 100 %. Il est impossible d’arriver à 100 % dans l’Ici et Maintenant si nous n’engageons pas tout notre corps et notre esprit. Et si nous ne sommes pas arrivés à 100 %, nous restons là, nous ne faisons pas d’autre pas. Nous restons là et respirons, jusqu’au moment où nous sommes certains d’être arrivés à 100 %. Alors, nous sourions, un sourire de Victoire, et nous faisons un autre pas…
Mais nous ne pratiquons cela que si nous sommes seuls ; si nous le faisons avec d’autres personnes nous allons créer un embouteillage !
Vous n’avez pas besoin que quelqu’un vous dise si vous êtes arrivé à 100 % ou non ; vous le savez vous-même. Si vous êtes arrivé, vous vous sentez très confortable dans l’Ici et Maintenant, vous êtes pleinement satisfait de l’Ici et Maintenant. Vous ne ressentez plus le besoin de courir. Vous avez pu accomplir l’Arrêt, Samatha. Vous le savez et cela vous procure paix et bonheur directement, avec un seul pas.
Il faut donc marcher de façon à pouvoir arriver avec chaque pas. Vous n’êtes pas à la recherche de quelque chose d’autre dans le futur, vous touchez le Royaume de Dieu, la Terre du Bouddha, Ici et Maintenant. Votre corps est déjà une merveille et tout est merveille autour de vous. Vous êtes pleinement satisfait avec l’Ici et Maintenant, chez vous. Et vous êtes arrivé.
La marche méditative, c’est donc savourer le retour chez nous dans l’Ici et Maintenant. Toucher les merveilles de la Vie. Et quand nous pratiquons ainsi avec un groupe de personnes qui font pareil, nous sommes soutenus par l’énergie collective de la Sangha et la marche est beaucoup plus facile. Chaque pas est agréable. En marchant ainsi, nous transformons le lieu en Royaume de Dieu, la Terre pure du Bouddha, Ici et Maintenant.
Si nous débutons la Pratique, nous pouvons nous appuyer sur l’énergie collective de la Sangha afin d’apprendre comment marcher ou nous asseoir. Nous pouvons concentrer notre attention sur la plante du pied. Nous prenons conscience du contact entre la plante du pied et le sol, la Terre Mère. Nous marchons comme si nous embrassions la Terre Mère avec notre pied, avec Amour. Nous sommes conscients de l’existence de la Terre Mère qui nous a donné la Vie et qui nous accueillera à nouveau avant de nous rendre la Vie.
En marchant ainsi, comme si nous embrassions la Terre, et en savourant le moment présent, chacun de nos pas sera guérissant. La guérison est à chaque pas. Chaque pas est nourrissant, chaque pas est un miracle.
Le maître zen Lin-Tsi, sous la dynastie Tang, a dit que le Miracle n’est pas de marcher sur l’eau ou sur le feu ou dans l’air mais que le miracle est de marcher sur la Terre.
Être en vie et marcher sur cette planète Terre peut être source de grand bonheur, cela peut être un véritable miracle. Et chacun de nous peut accomplir ce miracle de la marche en pleine conscience. Il suffit de savourer chacun de nos pas. Il y a des personnes qui passent six mois en orbite dans l’espace et, lors de leur retour sur la Terre, elles touchent vraiment le bonheur de marcher sur la Terre. Le simple fait de marcher peut donc apporter beaucoup de plaisir. Cela peut même guérir certaines personnes. Chaque pas est un miracle. Chaque pas nous guérit et nous nourrit.
« Je suis arrivé, je suis chez moi ; je suis arrivé dans l’Ici et Maintenant. Je suis solide, je suis libre. »
* la cloche retentit *
« Je suis arrivé », cela veut dire « Je suis arrivé dans l’Ici et Maintenant. »
« Je suis chez moi », cela veut dire : « Je suis ici maintenant. » Ici et Maintenant sont donc la même chose. Je suis solide, je suis libre. En inspirant et en faisant un pas, je m’établis avec solidité dans l’Ici et Maintenant. Je ne suis pas aspiré par le passé ou par le futur, je suis solide. Et puisque je m’établis avec solidité dans l’Ici et Maintenant, je suis une personne libre. Je suis libre des tracas et incertitudes concernant le futur, je suis libre des regrets du passé, je suis libre de tout projet. Je marche comme une personne libre. Je suis solide et je savoure pleinement l’Ici et Maintenant. Si nous marchons ainsi, nous pouvons vraiment apprécier les beautés de la planète Terre, la Terre pure du Bouddha ou le Royaume de Dieu. Nous pouvons même aller au-delà et toucher la Dimension ultime. « Dans la Terre pure, je m’établis. » Dans quelques jours, nous verrons comment toucher la Dimension ultime dans l’Ici et Maintenant. Nous savons déjà que la respiration en pleine conscience et la marche en pleine conscience nous permettent de toucher les merveilles de la Vie disponibles dans l’Ici et Maintenant. Le corps est une merveille de la Vie. Les arbres sont des merveilles de la Vie, le Soleil notre étoile, la planète Terre, tout est une merveille de la Vie. Et nous pouvons entrer en contact avec ces merveilles par la marche et la respiration. Et cela ne peut s’accomplir que dans l’Ici et Maintenant, c’est une évidence. Et pour y parvenir, nous devons faire bon usage de l’énergie collective de la Sangha[1]. Toujours revenir à l’Ici et Maintenant et toucher les merveilles de la Vie. Et l’énergie qui nous permet d’y parvenir, c’est la Pleine Conscience et la Concentration. Quand nous faisons un pas qui nous ramène chez nous, Ici et Maintenant, nous relâchons tout, nous sommes en contact avec les Merveilles de la Vie, avec la planète Terre et nous devenons une personne libre. À quel degré de liberté parvenons-nous quand nous faisons un pas ? Y a-t-il moyen de mesurer notre degré de plaisir durant la respiration ou la marche ? Peut-être… mais il y a une chose que nous pouvons savoir, c’est que plus nous sommes en pleine conscience et concentrés, plus nous sommes libres et plus nous savourons le moment présent. Les pratiques de l’assise, la marche et la respiration en pleine conscience suffisent à elles seules à générer l’énergie de la Joie, du Bonheur et de la Paix.
[1] Sangha : il s’agit en fait d’une quadruple sangha, l’ensemble, la communauté des pratiquants hommes et femmes, laïques ou monastiques.
Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°20 (Hiver 2021/22)
Thich Nhât Hanh est le nom sous lequel est connu le maître zen vietnamien dans le monde entier, comme écrivain, enseignant, poète et militant pour la paix.