« JE, NOUS, EUX »
Par Ajahn Jayasaro
Le 19 octobre 2021
En général, il n’est pas facile de trouver de la joie dans le bonheur ou les accomplissements des autres. C’est particulièrement difficile si c’est un bonheur ou une réussite que vous désirez pour vous-même mais qui vous fait défaut. C’est plus difficile encore lorsque la personne qui jouit maintenant de ces choses est quelqu’un que vous percevez comme un rival.
Mais il est parfois facile de trouver de la joie dans le bonheur ou la réussite des autres. La joie vient naturellement, par exemple, lorsqu’un représentant de notre pays réussit bien lors d’une compétition. Personne (à l’exception peut-être de certains autres athlètes) n’est jaloux lorsqu’un athlète de son pays remporte une médaille aux Jeux olympiques. La joie vient aussi très facilement en voyant le bonheur et les progrès de son propre enfant.
On peut examiner une qualité que l’on souhaite développer de cette manière : regarder les cas où elle est facile à cultiver et ceux où elle est difficile peut nous donner un indice sur la façon de progresser. Observez que lorsque la joie pour le bonheur de l’autre est difficile à cultiver, nous nous concentrons sur « moi ». Lorsque c’est facile, l’accent est mis sur le « nous ».
La façon de se libérer de l’insatisfaction et de la jalousie face au bonheur ou aux succès des autres n’est pas d’essayer de se battre avec soi-même. La méthode la plus habile consiste à recadrer votre perception de la situation de manière à remplacer le « je » par un « nous ». Quel genre de « nous » pouvez-vous créer dans votre esprit qui puisse inclure une personne que vous avez appris à considérer comme un rival ?
Le 20 juillet 2021
Les fans de football sont connus pour l’intensité de leur hostilité envers leurs rivaux. Il y a quelques années de ça, des scientifiques faisant une étude de l’empathie ont décidé que les fans du football feraient un bon sujet d’étude. Pour commencer, un certain nombre de supporters de Manchester United ont été invités à décrire par écrit leur amour pour leur club. Ensuite, ils ont croisé un acteur habillé en supporter de Manchester United qui se tordait de douleur ou un acteur « supporter de Liverpool » (leurs pires ennemis) affligé de la même manière.
Neuf personnes sur dix se sont arrêtées pour porter secours au faux fan de Manchester United, et seulement trois sur dix pour le fan de Liverpool. Affaire tristement prévisible jusqu’ici. Par contre, lors d’un suivi, quand on a demandé aux fans de décrire leur amour pour le football plutôt que leur amour pour leur club, cette différence avait presque entièrement disparu.
Nous sommes peut-être contraints par nos gènes à diviser le monde entre « nous » et « eux ». Cependant, la façon dont nous définissons les termes « nous » et « eux » n’est pas aussi déterminée, c’est un choix qui nous revient. Dans les enseignements bouddhistes, nous sommes constamment encouragés à nous rappeler que tous les êtres vivants sont nos compagnons dans la naissance, la vieillesse et la mort. On nous apprend à étendre des sentiments de bienveillance, de compassion, de joie altruiste et d’équanimité jusqu’à ce qu’ils deviennent illimités, sans mesure. Et lorsque nous faisons cela, comment pourrait-il y avoir un « eux » ?
Le 23 novembre 2021
Il faisait frais et humide ce matin, ici à l’Ermitage. Après mon repas quotidien, je suis retourné dans mon kuti, je me suis enveloppé dans mon châle et j’ai préparé une tasse de thé.
Assis sur ma chaise, regardant les arbres d’un vert éclatant autour du kuti et sirotant le thé, mon esprit s’est tourné vers le donneur du thé, et j’ai ressenti une vague de reconnaissance.
Puis mon esprit s’est tourné vers le sympathisant laïc qui a offert l’eau qui a servi à la préparation du thé,
puis vers la personne qui a offert la tasse dans laquelle je buvais,
puis la personne qui a offert la bouilloire,
puis la personne qui a payé pour l’installation de l’électricité dans le kuti,
puis la personne qui paie la facture d’électricité.
Plus mon esprit réfléchissait à toute la générosité qui rendait possible cette seule tasse de thé, plus je l’appréciais.
Être dans le moment présent n’est pas en soi le but de la pratique bouddhiste. Il y a différentes façons d’être dans le moment présent, certaines plus habiles que d’autres. En tant que bouddhistes, nous nous entraînons à demeurer dans le moment présent car cela coupe tout l’affairement superficiel de l’esprit.
Dans le moment présent nous pouvons être conscients de la dimension globale de nos vies, de la vue d’ensemble : des questions de sens, de la raison d’être et des valeurs. C’est dans le moment présent que nous pouvons ouvrir nos yeux aux vérités, si facilement ignorées, de la vie.
Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°20 (Hiver 2021-2022).
Les enseignements des feuilles jaunes sont de courts textes manuscrits, traduits par un groupe de volontaires et diffusés sur les réseaux sociaux : www.ajahnjayasaro.fr
Ajahn Jayasaro est ordonné bhikkhu en 1980, avec le vénérable Ajahn Chah comme précepteur. Il vit actuellement dans un ermitage au pied des montagnes de Khao Yai, non loin de Bangkok, en Thaïlande. Il est également une figure clé du mouvement visant à intégrer les principes bouddhistes de développement dans le système éducatif thaïlandais. Nombre de ses conférences sur le Dhamma sont diffusées à la radio, à la télévision et sur les médias numériques.