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Photo du rédacteurSagesses Bouddhistes

Les 40 ans de Montchardon

Dernière mise à jour : 15 sept. 2023

Par Frédérique Cattin et Philippe Judenne




C’est en 1975 que Jean-Pierre Schnetzler, psychiatre grenoblois et acteur majeur de la diffusion du bouddhisme en France, donne au 16e Karmapa, Rangjung Rigpé Dordjé, le plus haut hiérarque d’une des 4 principales lignées du bouddhisme tibétain, une vieille ferme vétuste abandonnée depuis vingt ans, où l’électricité, l’eau et le chauffage sont quasi inexistants.

Comment, dans ce coin peu hospitalier de l’Isère, situé à 800 mètres d’altitude sur les contreforts du massif du Vercors, va se bâtir au fil des années un des plus grands centres du bouddhisme tibétain en France ?

Lama Teunsang, à qui le 16e Karmapa, Rigpé Dordjé, demande de fonder le centre de pratique se révélera être un bâtisseur formidable. Mais en 1975, il vit en Inde, à Sonada. Les sirènes de l’Occident et de sa modernité ne le tentent vraiment pas. Mais, puisque le Karmapa le lui demande… Il arrive en 1976 dans le Vercors. Il a 41 ans.

Vues de la vieille ferme en 1975, offerte par Jean-Pierre Schnetzler



« Dans cette région le sol est calcaire, cette terre sans argile ne contient pas de nappe phréatique et les problèmes de sécheresse sont récurrents. Sur la ferme, il n’y avait pas d’eau à l’exception d’une petite source qui tarissait l’été, il n’y avait pas de route mais un chemin de terre cahoteux pour seule voie d’accès, et peu ou quasi pas d’électricité. On était vraiment au bout du monde », commente Frédéric Cattin, qui vit auprès de lama Teunsang depuis trente-sept ans. « Et l’hivers était… très rude. »



Au commencement

Le 17ième Karmapa Trinley Thayé Dorgé et Lama Teunsang en 2012

En 1977, lama Teunsang fait part au Karmapa de ses doutes quant à l’idée de faire venir des gens ou d’organiser quoi que ce soit dans un endroit pareil. Il lui demande la permission d’acheter un autre endroit plus pratique. Le Karmapa resta silencieux, comme en méditation, et lui dit finalement : « Si tu es patient et persévérant, ce centre deviendra un lieu important. » À partir de ce moment-là, lama Teunsang se consacre à mettre le centre en route, reconstruire des murs, et extraire des taillis et des ronces une bâtisse abandonnée depuis vingt ans à une nature qui avait repris ses droits.


Les bâtiments au fil du temps

Au fur et à mesure que les années passent, un grand stupa, des bâtiments d’accueil, le grand temple des 1 000 Bouddhas, une salle de yoga sortent du sol. Les travaux d’excavation et de terrassement sont énormes. Les bétonnières tournent à plein régime. De nombreux bénévoles participent aux travaux. Lama Teunsang est sur tous les fronts.

À l’occasion de la construction de la première citerne d’eau dans les fondations du temple, lama Teunsang fait visiter le chantier à de hauts hiérarques tibétains et leur montre tous les moyens techniques dont on dispose en Occident : démonstration de la grue, de la bétonnière et du marteau-piqueur, qu’il utilise lui-même, sous l’œil amusé des lamas de haut rang, conquis par l’énergie et l’enthousiasme communicatifs de lama Teunsang.


Le temple et ses 8 stupas ©Tokpa Korlo

Il y a des années charnières où tout change et qui constituent de petites révolutions à Montchardon, comme celle de l’installation du chauffage central dans les bâtiments (1988), jusqu’alors pas ou peu chauffés. À 800 mètres d’altitude, les conditions véritablement spartiates se transforment et on peut désormais organiser des stages l’hiver. Ce chauffage, à l’origine au propane, sera remplacé vingt ans après par une chaufferie au bois déchiqueté, plus écologique et permettant de substantielles économies.

« Du fait de la situation en altitude, de l’éloignement du centre du plus proche village et des hivers glaçant, il a fallu développer une structure hôtelière qui puisse loger et nourrir les gens sur place », explique Frédéric Cattin, président actuel de Montchardon. « L’activité hôtelière génère une petite économie qui permet au centre de se développer, aidé en cela par la générosité d’un grand nombre de personnes qui voient en toute confiance le centre grandir et s’améliorer. Le bénévolat reste une valeur fondamentale à Montchardon. Ainsi, chacun a la responsabilité de participer à la bonne marche du Centre, ce qui maintient des prix de pension modiques, permettant à chacun de venir. Le réfectoire a maintenant une capacité d’accueil de 120 à 150 personnes. »


La construction, dans un même bâtiment, de deux centres de retraite de longue durée pour les hommes et les femmes est une étape importante. Elle est réalisée par les bénévoles et les résidents dont certains intègrent le groupe des premiers retraitants qui se retirent en 2010 pour trois années de pratiques intenses. Cette même année, la réalisation d’une seconde citerne de 600 m3 multiplie par trois les réserves d’eau potable.



Lama Teunsang

La première préoccupation de lama Teunsang est d’établir à Montchardon le support du corps, de la parole et de l’esprit du Bouddha.

Le support du corps du Bouddha arrive avec les premières statues qui sont mises en place dans l’ancienne étable puis la grange à foin, reconverties en temples. Le grand temple achevé en 1992 dans un bâtiment neuf comptera, à lui seul, 1 000 petites statues rangées dans des alcôves.

C’est dans l’ancienne grange à foin qu’ont été rangés pour la première fois en 1980 les textes du Kangyour et du Tengyour (les textes canoniques tibétains) matérialisant le support de la parole du Bouddha, avant qu’ils ne trouvent leur place définitive dans le grand temple.

La construction du grand stupa de 12 mètres en 1985 puis celle des 8 stupas en 1999 constituent les étapes importantes de la manifestation du support de l’esprit du Bouddha, assurant ainsi la présence de la nature éveillée des bouddhas sous ses 3 aspects : corps, parole, esprit.

Travailleur, pratiquant et enseignant inlassable, lama Teunsang a une énergie vraiment incroyable. Il s’est toujours décrit comme étant un coolie, un travailleur au service du Dharma et a insufflé cet esprit à Montchardon.

« Lama Teunsang m’a toujours expliqué que si on se met au service du Dharma et que l’on se dévoue au bien des êtres, on n’a pas besoin de poursuivre la recherche de son propre intérêt, celui-ci s’accomplit automatiquement », raconte Frédéric Cattin. « Laisse tomber la recherche de ton propre intérêt. Mets-toi au service des êtres, du Dharma et tout ira bien », me disait-il. « C’est ce qu’il incarne à 100 %, sans aucune faille. J’ai vécu auprès de lui pendant 37 ans. Il a toujours mangé avec nous au réfectoire, nous sommes en contact permanent avec lui, nous travaillons avec lui. Je ne l’ai jamais pris en défaut dans sa motivation, sa volonté et si je me posais des questions sur sa manière de faire il m’a toujours répondu clairement. »


Lama Teunsang maîtrise la connaissance des enseignements et des pratiques les plus complexes, et n’est absolument pas en reste quand il s’agit de manier la truelle, de manipuler les bétonneuses ou de diriger, avec une connivence parfois étonnante, le pilote d’une pelleteuse en lui indiquant les manœuvres à effectuer.

« Pendant des années, il enseignait et était présent sur les chantiers, entraînant avec lui le traducteur du moment. On finissait le petit déjeuner à 8 h 30, on allait vite se changer pour aller sur le chantier. À 9 h 55, on se changeait en trois minutes. Lama Teunsang arrivait souvent à l'enseignement avec quelques taches de ciment sur son chamtab (la robe du moine). Il enseignait et nous traduisions jusqu’à midi. Le repas terminé, on reprenait le chantier à 12 h 30 ou 12 h 45 jusqu’à 15 h. On se changeait vite à 14 h 55 et à 17 h 05 on était de nouveau sur le chantier jusqu’au repas du soir… voire jusqu’au coucher du soleil ! Lama Teunsang était increvable et souvent dur à suivre. Il a toujours rayonné d’un enthousiasme incroyable et communicatif. Il était sérieux mais il faisait rire et blaguait tout le temps en répandant une ambiance agréable et chaleureuse autour de lui. Dès qu’il était sur le chantier les personnes venaient aider en grand nombre pour porter des pierres, etc. C’est quelqu’un qui attire vraiment les gens.»

©Tokpa Korlo

En quarante années de présence, de très nombreux maîtres tibétains ont enseigné à Montchardon. Le 16 e Karmapa Rigpé Dordjé, le très vénérable Kalou Rinpoché, Shamar Rinpoché, le Gyalwang Drukpa, Sitou Rinpoché, le Dalaï-Lama et le 17e Karmapa Trinley Thayé Dordjé.


Le très vénérable lama Teunsang est maintenant octogénaire. Et alors ? Il projette avec sa sangha l’aménagement d’un second temple de 150 m² dédié à la pratique spécifique des Nyoung Né (pratique liée à l'aspect d’Avalokiteshvara à onze visages). Rendez-vous très prochainement pour ce futur chantier.



 

Lorsque les résidents de Montchardon demandent à lama Teunsang s’il y a lieu de marquer cette année anniversaire par un évènement exceptionnel, ce dernier répond : « Pourquoi faire, à quoi cela servirait-il ? » La grandiloquence n’étant pas du tout le genre de lama Teunsang, ses proches lui proposent alors d’organiser un événement de six jours de pratiques et d’enseignements en plaçant au milieu du stage, le 15 août, de petits événements fêtant sa venue il y a quarante ans. Comme le gros de l’événement reposait sur des enseignements, le projet prenait du sens et lama Teunsang donna son accord. En organisant l’accueil des 600 personnes prévues dans le chapiteau habituel, la seule remarque de lama Teunsang à ce moment fut : « Et moi, je me cache où ? » Il reçut le 15 août à 10 h un appel téléphonique : le 17e Karmapa Trinley Thayé Dordjé conversa depuis l’Inde avec lama Teunsang, puis adressa un enseignement de vingt minutes à une assemblée très émue.

 


1. 1980, les premiers travaux commencent

2. 1994, les artistes tibétains décorent le nouveau temple

4. Démonstration de Lama Teunsang du marteau-piqueur devant Jamgon Kongtrul

5. Jean Pierre Schnetzler, le fondateur du centre et président jusqu’en 2009

6. 1976, Jean Pierre Schnetzler accueille Kalou Rinpoché

7. 2016, Lama Sangpo, maître de retraite à Montchardon, aide sur les chantiers cright Salva Magaz

8. 1985 La vieille ferme est complètement rénovée

9. 1986, construction du grand stupa



Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°1 (Hiver 2016)



 


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