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  • Photo du rédacteurSagesses Bouddhistes

Le désir habile

Traduit de l’anglais par Coralie Dordone-Woreczyk 

en collaboration avec Than Lionel 

 


Le Bouddha dit un jour : Tous les phénomènes sont enracinés dans le désir. Tout ce que nous pensons, disons ou faisons, chacune de nos expériences, découle d’un désir. Nous-mêmes, sommes le fruit du désir. Nous sommes nés dans cette vie à cause de notre désir d’exister. Consciemment ou non, nos désirs redéfinissent constamment notre perception de nous-mêmes. C’est notre désir qui nous détermine à prendre notre place dans la matrice causale de l’espace et du temps. La seule chose qui ne soit pas enracinée dans le désir est le nirvana, car il est la fin de tous les phénomènes et existe au-delà même du mot « tout » tel que le Bouddha l’utilise. Mais la voie qui mène au nirvana, elle, est ancrée dans les désirs – des désirs judicieux. La voie de la libération pousse donc les limites de nos désirs judicieux pour voir jusqu’où ils peuvent aller.  

 

Cette idée de désir judicieux peut sembler étrange, pourtant un esprit avisé cherche intuitivement à satisfaire les désirs qu’il perçoit comme habiles et abandonne ceux qui ne lui semblent pas l’être. Le désir essentiel que nous ayons tous en commun est d’être heureux et tous les autres désirs relèvent de stratégies pour atteindre ce bonheur. Vous avez envie d’un iPod, d’un partenaire sexuel, ou d’un sentiment de paix intérieure parce que vous pensez que cela vous rendra heureux. Puisque ces désirs secondaires sont des stratégies, ils suivent le même plan : ils naissent d’un sentiment confus de manque et de limitation ; ils utilisent vos pouvoirs de perception pour identifier la cause de cette limitation ; et ils utilisent votre pouvoir créatif et imaginatif pour concevoir une solution.  

 


Malgré leur mécanisme commun, les désirs ne sont pas monolithiques. Chacun offre une perception différente de ce qui nous manque dans la vie, et ensemble, ils offrent une vision de ce que la solution devrait être. Une envie de sandwich vient d’une sensation de faim et propose de la combler avec un jambon beurre. Une envie d’escalader une montagne s’intéresse à d’autres types de faims – d’accomplissement, d’exaltation, de maîtrise de soi – et recourt à une idée de satisfaction différente. Quel que soit le désir, si la solution mène vraiment au bonheur, ce désir est judicieux. Sinon, il ne l’est pas. Toutefois, ce qui semble être un désir judicieux peut ne mener qu’à un bonheur illusoire ou transitoire qui ne mérite pas les efforts occasionnés. Ainsi, la sagesse débute comme un méta-désir : apprendre à reconnaître les désirs judicieux et les désirs malavisés pour ce qu’ils sont vraiment.  


Les désirs malavisés peuvent créer de la souffrance de différentes manières. Parfois, ils visent l’impossible : de ne pas vieillir ou mourir. Parfois, ils se concentrent sur des buts atteignables uniquement par des moyens dégradants – mentir ou tricher pour progresser professionnellement. Ou alors une fois votre but atteint, il ne vous rend pas tellement heureux. Même le sommet de l’Everest peut être une déception. Et s’il ne l’est pas, vous ne pouvez pas y rester éternellement pour autant. Quand vous partez, il ne vous restera plus que des souvenirs qui, bien souvent, se déforment et s’effacent. Si vous avez fait des choses peu honorables ou préjudiciables pour parvenir au sommet, leur souvenir peut venir vous hanter et gâcher le plaisir de votre accomplissement. 

 

Les désirs nous poussent souvent dans des directions opposées. Votre désir sexuel, par exemple, peut aller à l’encontre de votre désir de paix. En fait, ces batailles intérieures entre désirs contraires nous montrent combien le désir peut être douloureux. Et elles entraînent aussi chaque désir à une façon de s’exprimer, une façon de nous persuader, de se défendre ou de nous harceler pour gagner du pouvoir sur nous. Un désir judicieux ne sait pas forcément mieux défendre ses intérêts qu’un désir malavisé ne saurait le faire, car ces derniers peuvent être les plus autoritaires, les plus impétueux, les plus sournois qui soient pour obtenir ce qu’ils veulent. La sagesse doit donc, elle aussi, trouver des stratégies pour donner de la force aux désirs judicieux afin que ceux qui le sont moins laissent un peu de place à ces désirs judicieux. De cette manière, les désirs peuvent s’habituer à travailler ensemble vers plus de bonheur. Un esprit mature et sain fonctionne ainsi : entretenir le dialogue, non pas entre la raison et ses désirs mais entre ses désirs responsables et irresponsables.  

 

Cependant, même dans un esprit mature le dialogue aboutit souvent à des compromis qui ne se rejoignent pas : des bribes de plaisir sensuel, des aperçus de paix spirituelle, mais rien de vraiment satisfaisant et entier. Certaines personnes impatientes qui ne supportent pas le compromis font la sourde oreille aux désirs mesurés et n’écoutent plus que leurs exigences de gratifications instantanées – le maximum de sexe, de pouvoir et d’argent à amasser. Mais lorsque le déluge des gratifications s’épuise, les dégâts peuvent prendre des vies à se réparer. D’autres personnes font de leur mieux pour accepter le compromis entre les désirs. Elles essayent de trouver un peu de paix en ne voulant pas atteindre ce qu’elles considèrent comme impossible. Mais cette paix est au prix d’une autre surdité intérieure, celle qui nie la vérité sous-jacente de tous les désirs : une vie de limites incessantes est intolérable. 

 

Ces deux types de personnes partagent une même croyance : le véritable bonheur, ce bonheur illimité est hors de portée. Leur imagination est tellement étouffée qu’ils ne peuvent même pas concevoir ce que serait, dans cette vie, un bonheur véritable et illimité.  

Ce qui a rendu le Bouddha si spécial, c’est qu’il n’a jamais revu ses attentes à la baisse. Il a imaginé le bonheur ultime – un bonheur si libre de toute limite et de tout manque qu’il ne laisserait aucune place à aucun désir – puis il a chéri ce désir de bonheur et en a fait sa priorité. Engageant tous ses autres désirs au dialogue avec ce désir premier, le Bouddha a imaginé des stratégies jusqu’à en trouver une qui permette d’atteindre cet objectif absolu. Cette stratégie est devenue son enseignement le plus fondamental : les Quatre Nobles Vérités. 

 

La plupart des gens ne se rendent pas compte en s’intéressant aux Quatre Nobles Vérités qu’elles concernent toutes le désir. On leur a dit que le Bouddha n’attribuait qu’une seule fonction au désir – celle de causer la souffrance. Puisqu’il recommande d’abandonner la cause de la souffrance, on dirait qu’il nie tout rôle positif au désir et à tous ses compagnons bénéfiques : la créativité, l’imagination, l’espoir. Cette perception passe à côté de deux points importants. Le premier est que les quatre vérités parlent de la dynamique intrinsèque du désir : perception d’un manque et d’une limitation, élaboration d’une solution et d’une stratégie pour réaliser cette solution. La première vérité nous montre les manques et limitations essentiels présents dans nos vies – cet agrippement qui constitue la souffrance – tandis que la seconde vérité indique les types de désirs qui suscitent cet agrippement : les désirs sensuels, les désirs d’endosser certaines identités, et d’en détruire d’autres. La troisième élargit pour nous le champ des possibles pour inclure la possibilité que cet agrippement soit totalement surmonté. La quatrième vérité, le chemin menant à la cessation de la souffrance, nous donne des stratégies pour mettre fin à l’agrippement en abandonnant sa cause.  


On oublie souvent un second point : que les nobles vérités reconnaissent deux fonctions aux désirs, selon qu’ils sont judicieux ou non. Les désirs malavisés sont la cause de la souffrance ; les désirs judicieux participent à la voie de la cessation de la souffrance. Les désirs judicieux coupent l’herbe sous le pied aux désirs malavisés, non pas en les réprimant mais en procurant un contentement et un bien-être de plus en plus satisfaisants, de telle sorte que les désirs impudents n’ont plus leur place. Cette stratégie du désir judicieux est clairement décrite dans le discours du Bouddha sur l’Effort juste.  


« Qu’est-ce que l’Effort juste ? C’est le cas où un moine [ici, n’importe quel méditant] génère le désir, fait un effort, intensifie sa persistance, maintient et exerce son intention pour éviter l’apparition d’états mentaux négatifs, malsains qui n’ont pas encore surgi (…) pour abandonner les états mentaux négatifs et malsains qui sont déjà présents (…) pour faire émerger des états mentaux positifs qui ne sont pas encore nés (…) pour le maintien, la non-confusion, l’accroissement, la plénitude et le développement jusqu’à leur culmination des états bénéfiques déjà apparus. Voilà ce qu’on appelle l’Effort juste. » (Digha Nikaya 22) 

 

Comme nous le montre cet enseignement, les éléments cruciaux pour remplacer des états mentaux inappropriés par des états mentaux habiles sont le désir, la persévérance et l’intention. Le désir donne l’impulsion initiale et la concentration nécessaire pour un effort juste, alors que la persévérance nous fournit la force de le maintenir. L’intention est le facteur le plus complexe des trois. Le mot pali citta veut aussi dire « esprit » et dans ce contexte, il signifie focaliser tout votre esprit sur la tâche à accomplir : toute la force de votre sensibilité, de votre intelligence, de votre discernement et de votre ingéniosité. Vous ne voulez pas que votre esprit soit divisé sur cette question ; vous voulez que toutes vos forces travaillent de concert dans le même sens. 


Ces trois qualités — désir, persévérance et intention — sous-tendent toutes les tentatives que vous mettez en œuvre pour maîtriser une compétence. Il est donc utile, en entrant sur la voie, de réfléchir à la façon dont vous avez utilisé ces qualités dans le passé pour maîtriser des savoir-faire. Le Bouddha a établi ce point dans les nombreuses comparaisons qu’il a faites entre un disciple sur la voie et un maître artisan — musicien, charpentier, chirurgien, acrobate, cuisinier. Comme pour toute compétence, il faut parcourir de nombreuses étapes, mais quatre se distinguent.  


1- La première consiste à utiliser votre ingéniosité pour combattre le chœur des voix intérieures qui tentent de vous dissuader de faire l’effort de devenir compétent en premier lieu. Ces voix sont comme des avocats sournois qui représentent des intérêts fortement ancrés : tous vos désirs irréfléchis sur la défensive. Vous devez être rapide et alerte pour contrer leurs arguments, car ils peuvent venir de tous les côtés, semblant honnêtes et sages même s’ils ne le sont pas. Voici quelques-uns des arguments que ces voix peuvent utiliser, ainsi que quelques réponses efficaces : 

Essayer de manipuler ses désirs de cette manière est contre nature.  En fait, vous manipulez déjà vos désirs tout le temps, quand vous choisissez un désir plutôt qu’un autre, alors autant apprendre à le faire judicieusement. Et plein de gens ne sont que trop heureux de manipuler vos désirs pour vous — pensez à toutes les publicités que vous avez vues, entendues ou lues — alors il vaut mieux mettre la manipulation entre des mains dignes de confiance : les vôtres. 

Essayer de changer ses désirs est une attaque contre soi-même. Cet argument ne fonctionne que si vous donnez à votre moi — qui n’est en fait qu’une accumulation de désirs — plus de solidité qu’il ne le mérite. Vous pouvez renverser cet argument en notant que puisque votre « moi » est un ensemble de stratégies pour le bonheur en perpétuel changement, vous pouvez tout aussi bien essayer de le faire évoluer dans une direction plus susceptible d’atteindre le véritable bonheur. 

 

Penser aux désirs « habiles » et « malhabiles » est dualiste et porteur de jugements. Vous ne souhaitez pas que des mécaniciens non dualistes interviennent sur votre voiture, ou que des chirurgiens non dualistes opèrent votre cerveau. Vous voulez des gens qui peuvent trancher entre ce qui est judicieux et ce qui ne l’est pas. Si vous tenez vraiment à votre bonheur, vous demanderez le même discernement à celui qui en est le plus responsable : vous-même. 


C’est trop axé sur les objectifs. Accepte simplement les choses telles qu’elles sont dans le présent. Chaque désir vous dit que les choses dans le présent sont limitées et déficientes. Soit vous acceptez le désir, soit vous acceptez le manque. Accepter les deux à la fois, c’est nier que l’un ou l’autre puisse avoir une réelle vérité. Essayer de vivre paisiblement dans la tension entre les deux — dans un « chemin sans désir » pour se débarrasser de l’un ou l’autre — c’est ce que le Bouddha a appelé l’équanimité limitée, et ce qu’un maître de la tradition de la forêt thaïlandais a appelé une équanimité de vache. 


Il est vain de tenter de résister à un pouvoir divin et mystérieux. Le désir ne semble écrasant et mystérieux que parce que nous ne connaissons pas notre propre esprit. Et où serions-nous si nous continuions à flanquer le terme « divin » ou « cosmique » sur tout ce que nous ne comprenons pas ? 


Se battre avec des désirs malavisés, c’est trop de travail ! Considérez l’alternative : errer sans fin d’un jeu de limites à un autre, chercher continuellement le bonheur et le voir pourtant vous échapper systématiquement, adopter de manière répétée un désir et passer à un autre l’instant suivant. Un effort juste vous permet au moins de vous positionner de manière stable. Il ne s’agit pas d’ajouter un désir plus exigeant au chaos, mais de proposer un moyen d’y mettre de l’ordre. Et la voie du Bouddha est porteuse de l’espoir de trouver un bonheur illimité, point culminant d’un bonheur qui s’intensifie tout au long de la voie. En bref, cette alternative est finalement la plus agréable et celle qui implique le moins de travail. 


2- Une fois que vous avez fait taire ces voix, l’étape suivante est d’assumer la responsabilité de vos actes et de leurs conséquences. Pour ce faire, vous devez être prêt à tirer les leçons de vos erreurs. Il y a plusieurs années, un sociologue a observé les étudiants d’un programme de neurochirurgie pour voir quelles qualités permettaient de distinguer ceux qui réussiraient de ceux qui échoueraient. Il a finalement constaté que deux questions posées lors de ses entretiens mettaient en évidence une différence cruciale. Il demandait aux étudiants : « Vous arrive-t-il de faire des erreurs ? Si oui, quelle est la pire erreur que vous ayez jamais commise ? » Ceux qui échouaient au programme répondaient inévitablement qu’ils faisaient rarement des erreurs ou bien ils attribuaient leurs erreurs à des facteurs extérieurs. Ceux qui réussissaient le programme admettaient non seulement avoir commis de nombreuses erreurs, mais ils disaient également et spontanément ce qu’ils feraient pour ne pas répéter ces erreurs à l’avenir. 


 Le Bouddha recommanda à son fils Rahula d’adopter cette même attitude mature dans les premières instructions qu’il lui donna. Il lui dit de bien penser à ses intentions avant d’agir, et à leurs résultats pendant et après qu’il eut agi. Si Rahula se rendait compte que ses intentions pouvaient nuire à lui-même ou aux autres, il ne devait pas les concrétiser. S’il se rendait compte que ses pensées, ses mots ou ses actions étaient préjudiciables, il devait se résoudre à ne jamais les répéter, sans pour autant tomber dans le remords. Si, en revanche, il ne voyait pas de conséquences néfastes à ses actes, il devait se réjouir de ses progrès sur le chemin, et utiliser cette joie pour nourrir une pratique continue. 

 

Bien que le Bouddha ait destiné ces instructions à un enfant de sept ans, le modèle qu’elles décrivent inspire tous les niveaux de la pratique. Toute la voie de l’éveil consiste à s’en tenir au désir le plus avisé ; nous progressons sur le chemin à mesure que notre intelligence de ce qui est « judicieux » s’affine. Si vous cédez à un désir malavisé, assumez la responsabilité des conséquences et utilisez-les pour éduquer votre désir et lui montrer où il a mal tourné. Bien que les désirs puissent être remarquablement têtus, ils partagent le même but — le bonheur — et cela peut constituer un terrain d’entente pour établir un dialogue constructif : si un désir ne contribue pas vraiment au bonheur, il est en contradiction avec sa raison d’être. 

La meilleure façon de reconnaître s’il y a cette contradiction est de suivre la progression du désir jusqu’aux actions qui en sont le fruit, jusqu’à leurs conséquences. Si ce désir fait souffrir les autres, remarquez comment leur même désir de bonheur les conduit à miner le vôtre. Si ce désir vise un bonheur qui dépend de choses qui peuvent vieillir, tomber malades, mourir ou vous quitter, remarquez comment ce fait même vous expose à une déception. Remarquez ensuite combien la détresse qui suit l’assouvissement de ce désir est universelle. Vous n’êtes pas le seul dans ce cas. Tous ceux qui ont succombé, succombent ou succomberont à ce désir malavisé ont souffert dans le passé, souffrent actuellement et souffriront à l’avenir. Il n’y a pas d’autre issue. 

 

Mais les désirs malavisés ne cèdent pas vraiment, jusqu’à ce que vous puissiez montrer que d’autres désirs, moins problématiques, peuvent vraiment conduire au bonheur. C’est pourquoi le Bouddha a insisté sur la nécessité d’apprendre à apprécier les fruits d’une vie vertueuse et généreuse : la joie de contribuer au bonheur d’autrui, la profonde dignité et l’estime pour soi-même à faire ce qui est dur mais juste. C’est aussi pourquoi sa voie est centrée sur des états de concentration bienfaisants et vivifiants. Accéder à cette fraîcheur pendant la méditation vous apporte la preuve immédiate et viscérale que le Bouddha n’était pas un rabat-joie. Les désirs qu’il recommande produisent vraiment un bonheur qui peut vous donner la force de continuer à choisir la voie la plus judicieuse. 

 

3 - C’est l’étape suivante : s’en tenir avec patience et persévérance au désir de faire ce qui est le plus habile en toutes circonstances. Ce n’est pas une simple question d’effort pur. Comme tout bon entraîneur sportif vous le dira, des heures d’entraînement ne garantissent pas nécessairement des résultats. Vous devez combiner votre persévérance avec l’intention : sensibilité, discernement, ingéniosité. Gardez à l’esprit d’essayer d’être toujours plus efficace. Cherchez à déceler vos tendances dans vos actions. En même temps, rendez votre pratique ludique et variée pour éviter que les hauts deviennent ennuyeux et les bas vous dépriment. 

 

Dans ses instructions de méditation, le Bouddha fait des observations similaires. Une fois que vous avez maîtrisé un état de concentration, voyez où subsistent des éléments de stress. Ensuite, cherchez les mécanismes de ce stress : que faites-vous pour le provoquer ? Trouvez des moyens de réjouir l’esprit quand il est abattu, de le libérer de ses enfermements, de le calmer quand il s’agite. De cette façon, tout en apprenant la joie de surmonter les défis de la méditation, vous vous familiarisez avec les mécanismes subtils de causes et d’effets dans l’esprit. 

 

4 - Une fois que vous maîtrisez ces mécanismes, la quatrième étape consiste à repousser leurs limites. Encore une fois, la question n’est pas simplement de faire plus d’effort ; il s’agit plutôt d’un regain de votre imagination pour explorer des chemins de causes et d’effets, secondaires et inattendus. Un célèbre violoncelliste a dit un jour que son concert le plus exaltant fut celui où l’une de ses cordes se cassa et où il décida malgré tout de poursuivre le morceau jusqu’à la fin, jouant sur les cordes qui restaient et adaptant son jeu au fur et à mesure. Les cordes les plus évidentes dont nous disposons en méditation sont les techniques qui favorisent l’immobilité et la lucidité ; mais les plus intéressantes sont les hypothèses qui sous-tendent la quête de cette compétence : le manque, la stratégie, le dialogue, l’idée que nous avons de nous-mêmes. Pouvez-vous apprendre à vous en passer ? Il arrive un point dans la méditation où le seul moyen d’être plus heureux est de remettre en question ces préjugés. Cela conduit à quelques paradoxes fascinants : si le désir découle d’un manque ou d’une limitation, que lui arrive-t-il quand il procure un bonheur exempt de tout manque et de toute limitation ? Qu’est-ce que cela fait de ne pas avoir besoin de désirer ? Qu’adviendrait-il de votre dialogue intérieur, de votre identité ? Et si le désir est votre manière de vous situer dans l’espace et le temps, qu’advient-il du temps et de l’espace quand le désir n’est plus là ? 

 

Le Bouddha a encouragé ces questionnements en décrivant l’être éveillé d’une façon si indéfinie et illimitée qu’il est impossible de le situer dans la vie présente ou de le décrire après cette vie comme existant, n’existant pas, ni existant ni n’existant pas et à la fois existant et n’existant pas1. Cela peut sembler être un but abstrait, inatteignable, mais le Bouddha a lui-même donné l’exemple, en tant qu’être humain. Ayant repoussé les limites de la causalité, il fut capable de vivre admirablement dans cette vie ; heureux, même dans les pires circonstances, enseignant avec compassion à des gens de tous les horizons. Et il fut le témoin que non seulement les moines et les nonnes mais aussi les laïcs et même les enfants peuvent développer leurs désirs avisés au point d’avoir un aperçu de l’éveil. 

Alors, imaginez cela, soyez à l’écoute des désirs qui vous porteraient dans cette direction. Car ils sont la voie vers le bonheur véritable.  


Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°13 (printemps 2020)

 





Thanissaro Bikkhu est un moine

bouddhiste theravada de l’ordre Dhammayut. Il est actuellement l’abbé du monastère de la forêt de Metta (Metta Forest Monastery) dans le comté de San Diego, aux États-Unis.  

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