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Photo du rédacteurSagesses Bouddhistes

Le désir et la société de consommation

 

Arrivant aux États-Unis depuis l’Europe, tu seras frappée par les dimensions, les excès en tous genres, le contact quise fait si facilement, les serveuses qui t’appellent « chérie », les sandwichs bien rembourrés. Selon la région, il y aura peut-être aussi des panneaux annonçant l’apocalypse plantés devant des maisons, des animaux sauvages dans les rues, des maisons et voitures démesurées, des villages pauvres aux chemins de terre battue…



Il y a vraiment de tout ici, où l’extrême fait la règle plutôt que l’exception. Toutefois, où que tu ailles, il y aura un dénominateur commun et constant : la consommation. On veut que tu t’accroches, que tu désires, que tu achètes, et que tu continues à acheter jusqu’à ce que mort s’ensuive, car ici consommation se confond avec bien-être : c’est la base même de la société. Les emprunts et l’endettement sans retenue te permettront de te pourvoir d’une maison encore plus énorme, d’une grosse bagnole dernier cri, des smartphones et autres gadgets devenus indispensables en quelques années, voire quelques mois. La clé du bonheur se trouve au bout de ta carte de crédit. Tu penses aux pères fondateurs de la nation, à la Constitution, aux droits imprescriptibles à la vie, la liberté et la recherche du bonheur et tu te dis :  mais vingt dieux ! Comment en est-on arrivé là !?! Tu penses au Dharma et te demandes s’il se monnaie comme le reste, et ce que le Bouddha en aurait pensé. Car Outre-Atlantique, le Dharma peut coûter bonbon. Si tu paies très cher, c’est preuve de ton engagement et de la qualité exceptionnelle de ce que tu reçois…n’est-ce pas ? D’où nous vient cette convergence du désir, de la consommation, et du bonheur ? Selon l’enseignement du Bouddha, c’est justement leur synthèse qui fait tourner le monde humain, qui nous domine, et qui nous amènetout droit vers l’antithèse de nos espoirs. Si les États-Unis n’inventent rien en tirant profit de cette illusion, ils sont passés maîtres dans l’art de son exploitation.


Le désir, quelle que soit son expression, vient de l’envie de s’approprier. Le Dharma nous montre que le désir de s’approprier s’élève d’une impression erronée d’exister dans une polarité soi/autre. Notre instinct nous dit que la satisfaction et le bien-être doivent se trouver en relation avec cet autre, qui n’est pas soi, et qu’une fois trouvés, cette satisfaction et ce bien-être resteront acquis. La chimère a tant d’allure et de génie que nous sommes tous appâtés parses promesses bien ciblées ; dur, dur d’y résister.

Séduits, nous nous en lisons dans l’ignorance, la dualité, les émotions qui en découlent, les actions déclenchées par ces émotions (et tout le monde sait que l’Amérique, armée jusqu’aux dents, a la gâchette facile), et le karma résultant qui se cristallise. Nous nous trouvons préoccupés par les huit dharmas mondains, et ne nous posons même pas la question de leur validité, ni de leur capacité à nous assurer la satisfaction et le bien-être tant recherchés.Dans le Lokavipatti sutta, le Bouddha nous explicite ce qui distingue un être éveillé d’un être ordinaire mû par les huit dharmas mondains :


Le gain et la perte, la bonne réputation et la mauvaise,

L’éloge et la critique, le plaisir et la douleur

Sont inconstants dans une vie humaine,

Impermanents et empreints du changement.

 

Sachant cela, le sage, attentif,

Contemple leur caractère transitoire.

Les choses agréables ne l’appâtent pas ;

Les choses désagréables ne le contrarient pas.

 

Attirances et répugnances ont été balayées par lui,

Éliminées et anéanties.

Connaissant l’état immaculé, sans affliction,

Il discerne avec justesse, étant lui-même allé

Jusqu’à l’autre rive, au-delà du devenir.

 

Les huit dharmas mondains n’ont aucun intérêt pour le sage, car celui-ci est plus conscient que nous autres de la nature éphémère du gain et de la perte, de la bonne réputation et de la mauvaise, de l’éloge et de la critique, du plaisir et de la douleur. Et ce qui est éphémère est incapable d’apporter le bonheur dans la durée – n’est-ce pas ?

Aux États-Unis, c’est précisément ce que l’on ne veut pas reconnaître.

Selon Leslie Blackhall, une amie médecin chef de service des soins palliatifs d’un grand hôpital universitaire en Virginie,le refus d’accepter l’inévitabilité de la mort serait la véritable racine des problèmes ici, ainsi que le moteur de la société de consommation. On maquille la vérité comme on maquillerait un moribond. Et qui ne veut pas voir la réalité telle qu’elle est doit composer avec l’inquiétude que cela déclenche ; se voiler la face demande un effort sans relâche. Pour soutenir l’effort, on donne libre cours au désir, sans voir où cela nous amènera, on plébiscite le gain et la notoriété comme étant des vraies valeurs républicaines, même si on doit, fatalement, en souffrir.


Pratiquons donc la politique de l’autruche pour oublier le caractère universel de l’impermanence ! Car l’accepter pourrait freiner nos désirs de consommation au profit, disons, de la simplicité, du renoncement et de la vie spirituelle. Et si notre pratique devait nous amener jusqu’à l’autre rive en compagnie d’autres sages, ce serait le bonheur, certes, inaltérableet vrai. Mais serait-ce bien patriotique ?


Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°13 ( printemps 2020 )

 

Après six années de retraite bouddhiste sous l’égide du grand maître tibétain Guendune Rinpoché, Pamela Gayle White enseigne la méditation et la philosophie bouddhiques aux Amériques et en Europe, notamment dans le réseau Bodhi Path. Par ailleurs, elle est écrivain et traductrice. Enfin, elle a fait une formation dans l’aumônerie interreligieuse et travaille comme accompagnante auprès des mourants et de leurs proches.

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