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Utiliser l'énergie de la pleine conscience pour embrasser la peur

Photo du rédacteur: Sagesses BouddhistesSagesses Bouddhistes

 


Extrait de La peur, conseils de sagesse pour traverser la tempête, paru aux Éditions du Courrier du Livre

 

 

Les cinq remémorations

Non seulement nous restons facilement prisonniers des événements qui se sont produits dans le passé, mais en plus nous nous perdons souvent dans la peur de ce qui va nous arriver à l’avenir. La peur de la mort est l’une des plus grandes peurs que l’on ait. Lorsque nous regardons directement dans les graines de cette peur, au lieu d’essayer de la recouvrir ou de la fuir, nous commençons à la transformer. L’une des méthodes les plus efficaces pour cela est de pratiquer les cinq remémorations.

Inspirez et expirez lentement, en pleine conscience, tout en répétant intérieurement ces phrases ; cela vous aidera à regarder profondément dans la nature et les racines de votre peur. Voici les cinq remémorations :

 

1. Il est dans ma nature de vieillir, je ne peux échapper à la vieillesse.

2. Il est dans ma nature de tomber malade, je ne peux échapper à la maladie.

3. Il est dans ma nature de mourir, je ne peux échapper à la mort.

4. Tout ce qui m’est cher et tous ceux que j’aime sont soumis par nature au changement. Je ne peux échapper à la séparation.

5. J’hérite des résultats de mes actions, de mes paroles et de mes pensées. Mes actes sont ma continuation.

 

Lorsque nous contemplons chacune de ces remémorations, en inspirant et en expirant pour accéder à leur sens en pleine conscience, nous traitons notre peur à la racine, ce qui est très efficace.

 

Il est dans ma nature de vieillir,

je ne peux échapper à la vieillesse.

 

C’est la première des remémorations : « J’inspire, je sais qu’il est dans ma nature de vieillir, j’expire, je sais que je ne peux échapper à la vieillesse. » Nous avons tous peur de vieillir. Nous ne voulons pas y penser. Nous voulons que cette peur reste calmement au fond de notre conscience, loin de nous. Cette contemplation vient du soutra Anguttara III, 70-71. Bien sûr, je sais que je vais vieillir : c’est une vérité universelle et inévitable. La plupart d’entre nous refusent d’en tenir compte, nous vivons plus ou moins dans le déni. Mais au plus profond de notre esprit, nous savons bien que c’est vrai. Lorsque nous refoulons nos pensées de peur, elles continuent de couver dans le noir. Nous sommes tentés de consommer (de la nourriture, de l’alcool, des films, etc.) pour essayer d’oublier et d’empêcher ces pensées de faire surface dans notre conscience. Au bout du compte, le fait de fuir nos peurs nous fait souffrir et fait souffrir les autres, et nos peurs ne font que grandir. Nous devons accepter cette réalité comme la vérité et non comme un fait logique. La récitation de cette phrase vise non seulement à nous faire constater une évidence, mais aussi à intégrer une vérité dont nous devons faire l’expérience directe.


Nous pouvons prendre quelques instants pour laisser cette vérité pénétrer notre chair et nos os. Il ne faut pas rester à un niveau de compréhension intellectuel (« Oui, bien sûr, je suis jeune aujourd’hui, mais je vais vieillir »). Si cela reste une notion abstraite, elle ne produit aucun bénéfice, surtout que notre esprit a l’habitude de la réprimer et de l’oublier dès que ces mots ont été prononcés.

Selon l’enseignement du Bouddha, si nous nous confrontons à cette vérité – nous ne pouvons échapper à la vieillesse et à la mort et si nous nous en imprégnons, notre peur - et toutes les folies que nous faisons pour essayer d’y échapper n’ont plus aucune raison d’être. Nous cessons d’agir sous l’impulsion des peurs inconscientes, nous sortons du cercle vicieux qui nourrit la peur enfouie en nous.

 

Apporter la pleine conscience aux graines de peur

La pratique des cinq remémorations nous aide à accepter plusieurs de nos peurs les plus profondes, telles que la vieillesse, la maladie et la mort, comme des réalités, des faits auxquels nous ne pouvons pas échapper.

En pratiquant pour accepter ces vérités, nous pouvons réaliser la paix, nous avons la capacité de vivre une vie consciente, saine, pleine de compassion, nous cessons de causer de la souffrance à nous-mêmes et aux autres. Invitez votre peur dans votre conscience et souriez-lui ; chaque fois que vous souriez à travers la peur, elle perd un peu de sa force. Si vous essayez de fuir votre souffrance, il n’y a aucune façon d’en sortir. La seule façon de trouver une issue est de regarder profondément dans la nature de votre peur.

En contemplant les cinq remémorations, nous apportons de la pleine conscience à la graine de peur en nous. La graine de la peur est présente en nous et si nous ne pratiquons pas de façon à l’embrasser avec notre pleine conscience, chaque fois que cette vérité se manifeste, nous nous sentons très mal à l’aise. Comme une autruche à la vue d’un lion, nous mettons la tête dans le sable. Nous cherchons à faire diversion à l’aide de la télévision, des jeux informatiques, de l’alcool, des drogues, etc. pour tenter d’ignorer les réalités de la vieillesse, de la maladie, de la mort et de l’impermanence de tout ce que nous aimons.

Si nous nous laissons submerger par nos peurs, nous souffrons, et la graine de la peur se renforce en nous. Mais lorsque nous pratiquons, nous utilisons l’énergie de la pleine conscience pour embrasser notre peur. Chaque fois que celle-ci est embrassée par la pleine conscience, son énergie diminue avant de retourner dans les profondeurs de notre conscience sous forme de graine.

 

 « Ma chère, je n’ai pas peur de toi. Je n’ai pas peur de ma peur. Il est dans ma nature de vieillir ; je ne peux échapper à la vieillesse. »

 

Notre conscience peut être représentée par un cercle, dont la partie inférieure est le tréfonds et la partie supérieure la conscience-connaissance. La peur de vieillir, la peur de la maladie, la peur de la mort, la peur de devoir lâcher prise et la peur des conséquences de notre karma sont toutes présentes dans notre conscience du tréfonds. Nous ne voulons pas faire face à notre peur et nous essayons de la recouvrir, de la laisser au fond, à la cave. Nous n’aimons pas que quelqu’un ou quelque chose vienne nous rappeler ces peurs et nous ne voulons pas qu’elles se manifestent au niveau de la conscience.

La pleine conscience est à l’opposé de cette tendance.

Nous devons inviter ces choses à se manifester dans notre conscience-connaissance chaque jour et leur dire : « Ma chère, je n’ai pas peur de toi. Je n’ai pas peur de ma peur. Il est dans ma nature de vieillir ; je ne peux échapper à la vieillesse. » Lorsque la peur se manifeste, nous voulons que la graine de pleine conscience se manifeste également pour l’embrasser. Ainsi nous avons deux énergies en présence : la première est l’énergie de la peur et la seconde celle de la pleine conscience. La peur prend un bain de pleine conscience et devient un peu plus faible avant de retourner dans les profondeurs de notre conscience sous forme de graine.

Lorsque la peur s’efface pour un moment, cela ne veut pas dire que nous l’avons complètement vaincue. Si nous avons un moment de paix, un moment de méditation, nous pouvons la rappeler. « Ma chère peur, reviens pour que je puisse t’embrasser un petit moment. Il est dans ma nature de mourir, je ne peux pas échapper à la mort. »

Nous pouvons rester avec notre peur durant cinq, dix, vingt ou trente minutes, selon nos besoins, et utiliser l’énergie de la pleine conscience pour embrasser notre peur. Si celle-ci est accueillie et embrassée comme cela chaque jour, elle perdra de sa force.

 


 

Quand j’ai perdu ma mère, j’ai beaucoup souffert. Le jour de sa mort, j’ai écrit dans mon journal : « Le plus grand malheur de ma vie est arrivé. » J’ai pleuré son départ pendant plus dun an. Puis, une nuit où je dormais dans mon ermitage, une cabane située derrière un temple sur une colline couverte de théiers, dans les montagnes du Vietnam, j’ai rêvé de ma mère. Je me suis vu assis auprès delle, et nous avions un entretien merveilleux. Elle était jeune et belle, avec ses longs cheveux sur les épaules. C’était tellement agréable d’être là et de parler avec elle, comme si elle n’était jamais morte. À mon réveil, j’avais un sentiment puissant de n’avoir jamais perdu ma mère. La sensation de sa présence en moi était très forte. J’ai compris alors que l’idée d’avoir perdu ma mère n’était rien qu’une idée. Il était évident, à ce moment-là, que ma mère était toujours en vie, en moi, et qu’elle le resterait toujours.

J’ouvris la porte pour sortir, la lueur de la lune inondait la colline. Marchant doucement entre les rangs de théiers dans cette douce lumière, j’étais en lien avec ma mère, réellement présente en moi. Ma mère était le clair de lune, me caressant très tendrement, très doucement, comme elle l’avait fait si souvent. Chaque fois que mes pieds touchaient la terre, je sentais que ma mère était là, avec moi. Je savais que ce corps n’était pas seulement à moi, mais une continuation vivante de ma mère et de mon père, de mes grands-parents et arrière-grands-parents, et de tous mes ancêtres. Ces pieds que je considérais comme « mes » pieds étaient en réalité « nos » pieds. Ensemble, ma mère et moi, nous laissions nos empreintes dans le sol humide. À partir de cette expérience, l’idée que j’avais perdu ma mère n’exista plus. Il me suffisait de regarder dans la paume de ma main, de sentir la brise sur mon visage ou la terre sous mes pieds pour me rappeler que ma mère était toujours là, avec moi, disponible à tout moment.


 

 

 

L’histoire d’Anathapindika

Un jour, le Bouddha apprit que son disciple bien-aimé, Anathapindika, était très malade. Il alla lui rendre visite et invita Anathapindika à pratiquer la respiration consciente dans son lit. Puis le Bouddha demanda à Shariputra, un ami proche d’Anathapindika, de prendre soin de lui durant sa maladie.

Shariputra et son jeune frère moine Ananda se rendirent chez Anathapindika. À leur arrivée, Anathapindika était tellement faible qu’il ne parvint pas à s’asseoir sur son lit pour les saluer. Shariputra lui dit : « Non, mon ami, n’essayez pas. Restez allongé. Nous allons apporter des chaises pour nous asseoir auprès de vous. »

La première question que Shariputra lui posa fut :

« Cher ami Anathapindika, comment vous sentez-vous ? Est-ce que la douleur dans votre corps empire ou a-t-elle commencé de diminuer ? » Anathapindika répondit :

« Non, mes amis, la douleur en moi ne diminue pas. Elle s’aggrave tout le temps. »

À ces mots, Shariputra décida d’offrir à Anathapindika quelques exercices de méditation guidée. Shariputra était l’un des disciples les plus intelligents du Bouddha et il savait parfaitement qu’en aidant Anathapindika à concentrer son esprit sur le Bouddha qu’il aimait servir, il lui donnerait beaucoup de plaisir. Shariputra voulait arroser les graines de bonheur en Anathapindika et il savait qu’en parlant des choses qui avaient rendu Anathapindika heureux durant sa vie, il arroserait ces bonnes graines en lui et diminuerait la douleur en ce moment critique.


Shariputra invita Anathapindika à inspirer et expirer en pleine conscience et à porter son attention sur ses souvenirs les plus heureux : son travail pour les pauvres, ses nombreux actes de générosité, l’amour et la compassion qu’il partageait avec sa famille et ses amis disciples du Bouddha.

En cinq ou six minutes, la douleur qu’Anathapindika ressentait dans tout son corps avait diminué tandis que les graines de bonheur en lui étaient arrosées, et il souriait. Arroser les graines de bonheur est une pratique très importante pour les malades et les mourants. Nous avons tous des graines de bonheur en nous et, dans les moments difficiles, lorsque nous sommes face à la maladie et à la mort, il faudrait toujours avoir un ami qui s’asseye à nos côtés pour nous aider à toucher ces graines. Sinon les graines de peur, de regret ou de désespoir peuvent aisément germer et donner de puissantes formations mentales qui nous envahissent.

Voyant Anathapindika avec le sourire, Shariputra sut que la méditation avait réussi. Il put alors l’inviter à poursuivre la méditation guidée : « Cher ami Anathapindika, voici le moment de pratiquer la méditation sur les six sens. Inspirez, expirez et pratiquez avec moi. »

 

Ce corps n’est pas moi, je ne suis pas prisonnier de ce corps. Je suis la vie sans limites.

Ces yeux ne sont pas moi, je ne suis pas prisonnier de ces yeux.

Cette langue n’est pas moi, je ne suis pas prisonnier de cette langue.

Ce corps n’est pas moi, je ne suis pas prisonnier de ce corps.

Cet esprit n’est pas moi, je ne suis pas prisonnier de cet esprit.

 

Les deux moines offrirent à Anathapindika une méditation guidée sur les objets des six sens. La personne mourante peut être attachée aux formes, aux sons, au corps, à l’esprit, etc., considérant que ces choses sont elle-même ; parce qu’elle est en train de les perdre, elle pense qu’elle est en train de se perdre. Ces méditations apportent beaucoup de réconfort aux personnes malades et aux mourants.

 

Ces choses que je vois ne sont pas moi, je ne suis pas prisonnier de ce que je vois.

Ces sons ne sont pas moi, je ne suis pas prisonnier de ces sons.

Ces odeurs ne sont pas moi, je ne suis pas prisonnier de ces odeurs.

Ces goûts ne sont pas moi, je ne suis pas prisonnier de ces goûts.

Ces contacts avec le corps ne sont pas moi, je ne suis pas prisonnier de ces contacts avec le corps.

Ces pensées ne sont pas moi, je ne suis pas prisonnier de ces pensées.

 

Anathapindika connaissait très bien ces deux moines. Tous deux étaient des disciples bien-aimés du Bouddha et ils étaient présents pour le soutenir, pour lui permettre de faire la méditation facilement, malgré sa grave maladie. Ensuite, Shariputra guida Anathapindika dans une méditation sur le temps :

 

Le passé n’est pas moi, je ne suis pas limité par le passé.

Le présent n’est pas moi, je ne suis pas limité par le présent.

Le futur n’est pas moi, je ne suis pas limité par le futur.

 

En fait, la nature de toute chose est la non-naissance et la non-mort.

 

Finalement, ils arrivèrent à la méditation sur l’être et le non-être, la venue et le départ. Ce sont des enseignements très profonds. Shariputra dit : « Cher ami Anathapindika, tout ce qui est se produit sur la base de causes et de conditions. Tout ce qui est possède la nature de non-naissance et de non-mort, de non­venue et de non-départ. Lorsque ce corps se manifeste, il se manifeste. Il ne vient de nulle part. Lorsque les conditions sont suffisantes, le corps se manifeste, et vous le percevez comme existant. Lorsque les conditions ne sont plus suffisantes, vous ne percevez plus le corps, et vous pouvez penser qu’il n’existe pas. En fait, la nature de toute chose est la non-naissance et la non-mort. »


Anathapindika était un pratiquant très doué. En pratiquant à ce stade, il fut touché et obtint immédiatement la vision profonde. Il était maintenant capable de toucher la dimension de non-naissance et de non-mort. Il était libéré de l’idée qu’il n’était que ce corps. Il avait lâché les notions de naissance et de mort, d’être et de non-être et il était ainsi capable de recevoir et de réaliser le cadeau de la non-peur.

Tout ce qui se produit est le résultat d’un ensemble de causes. Lorsque les causes et les conditions sont réunies, le corps est présent. Lorsque les causes et les conditions ne sont pas toutes réunies, le corps est absent. La même chose est vraie pour les yeux, les oreilles, le nez, la langue, l’esprit ; la forme, le son, l’odeur, le goût, le toucher, etc. Cela paraît abstrait, mais il est possible pour chacun de nous d’en avoir une compréhension profonde. Vous devez connaître la vraie nature de la mort pour connaître la vraie nature de la vie. Si vous ne comprenez pas la mort, vous ne comprenez pas la vie.


Cet enseignement du Bouddha nous libère de la souffrance. La base de la souffrance, c’est l’ignorance de la vraie nature du soi et du monde autour de soi. Quand vous ne comprenez pas, vous avez peur et votre peur vous cause beaucoup de souffrance. C’est pourquoi le cadeau de la non-peur est le cadeau le plus précieux que vous puissiez faire à vous-même et à autrui.

Cette pratique importante, la pratique de la non-peur, implique de regarder profondément pour soulager la peur profonde qui est toujours là. Si vous éprouvez la non-peur, votre vie sera plus heureuse et plus belle et vous serez capable d’aider beaucoup de monde, tout comme Shariputra a aidé Anathapindika. Cette énergie de la non­ peur est la clé et la meilleure base de l’action sociale, des actions de compassion pour protéger les gens, protéger la terre et satisfaire votre besoin d’aimer et de servir.


Il est parfaitement possible de vivre heureux et de mourir en paix. Pour cela, il suffit de voir que nous continuons notre manifestation sous d’autres formes. Il est également possible d’aider les autres à mourir en paix, si nous avons les éléments de solidité et de non-peur en nous. Beaucoup parmi nous ont peur du non-être et, à cause de cette peur, souffrent beaucoup. C’est pourquoi la réalité que nous sommes une manifestation et une continuation de nombreuses manifestations devrait être révélée à la personne mourante. Alors nous ne sommes plus affectés par la peur de la naissance et de la mort parce que nous comprenons que la naissance et la mort ne sont que des concepts. Cette vision profonde peut nous libérer de la peur.

Si nous savons comment pratiquer et pénétrer la réalité de la non-naissance et de la non-mort, si nous réalisons que venir et partir ne sont que des idées et si notre présence est solide et paisible, nous aidons le mourant à surmonter sa peur et à moins souffrir. Nous pouvons aider la personne à mourir en paix. Nous pouvons nous aider nous-mêmes à vivre sans peur et à mourir en paix dès lors que nous comprenons qu’il n’y a pas de mort, juste une continuation.

Et là, dans les derniers moments de sa vie, Anathapindika reçut le plus beau de tous les cadeaux, la non-peur, et il mourut d’une belle mort, paisible, sans souffrance ni peur.



Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°9 (Hiver 2019)

 


Né en 1926 au Vietnam central, Thich Nhât Hanh devient moine à l’âge de 16 ans. Maître bouddhiste zen vietnamien, poète, jardinier, inlassable défenseur de la paix, il figure parmi les personnalités les plus engagées du bouddhisme dans le monde occidental. Thich Nhât Hanh a fondé en 1982 la communauté du Village des Pruniers, situé dans le sud-ouest de la France.

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