Prérequis
La méditation est un entraînement de l’esprit dont le but est de rester concentré sans être distrait par les pensées. L’esprit est constamment traversé par des mouvements émotionnels et conceptuels. À peine sommes-nous assis que des pensées liées au passé ou au futur nous assaillent. L’esprit vagabonde ainsi au gré de ce flot incessant. La méditation ne consiste pas à stopper les pensées (ce n’est pas envisageable) mais à ne pas être perturbé par ces mouvements afin de demeurer en l’état naturel de l’esprit. Cet entraînement permet d’acquérir une nouvelle habitude : demeurer, sans distraction, en l’esprit lui-même.
Pour que la pratique méditative, telle qu’elle est envisagée dans le contexte bouddhique, porte ses fruits, plusieurs conditions nécessitent d’être réunies afin d’obtenir un résultat plus profond qu’une simple détente du corps et de l’esprit. La première consiste à connaître le fonctionnement de notre esprit.
Grâce à une claire compréhension de notre fonctionnement, les mécanismes de notre mal-être s’éclairent aussi en lien avec la notion de karma. Nous nous apercevons que nous n’avons pas l’exclusivité de ce mal-être, il est le lot de tout le monde. Les aspects de bienveillance et de compassion entrent alors en jeu. Ces différents points ne doivent pas être envisagés comme des thèmes distincts, au contraire, c’est en les associant qu’une compréhension plus globale peut émerger. Ces éléments semblent couler de source et les appréhender de façon superficielle reste facile. Cependant, pousser l’analyse plus avant fait surgir des questions et remet en cause nos opinions bien arrêtées sur les choses. Nous commençons alors à douter de notre compréhension initiale.
Des questions s’élèvent et les choses se compliquent, en quelque sorte. Il faut garder à l’esprit qu’il s’agit du processus naturel d’évolution vers une compréhension plus profonde. Un effort est donc requis pour dissiper nos hésitations en nous référant aux enseignements plus complets sur le caractère transitoire des phénomènes, le karma, le fonctionnement de l’esprit ordinaire, etc. En combinant cette analyse à la pratique méditative, nous parvenons à clarifier les incertitudes et appréhendons les choses selon une nouvelle perspective, une expérience différente. En effet, grâce à la méditation, l’esprit gagne en clarté ; en d’autres termes, il est capable de demeurer dans un état lucide dépourvu de distractions. Si nous nous familiarisons avec cette lucidité, notre perception devient vraie, car elle est débarrassée de ses parasites émotionnels et de ses jugements.
Si la méditation intervient sur la base d’une compréhension, même grossière, de notre fonctionnement, elle agit comme le liquide révélateur d’un bain photographique. Méditer signifie se familiariser avec notre clarté d’esprit innée. Des conditions adventices nous distraient de cet état naturel et nous glissons dans l’illusion et l’ignorance sans même nous en rendre compte.
L’illusion et l’ignorance ne sont que notre propre perception colorée par l’attachement et les autres mouvements émotionnels. Leur force emporte l’esprit et le fait dévier de sa nature claire. Demeurer dans cette dimension de clarté conduit à ne plus dépendre de cette influence, tout en étant conscient de la présence de l’attachement. Nous ne sommes pas débarrassés des obscurcissements, mais nous parvenons à voir le mouvement émotionnel et le processus qu’il déclenche. L’attachement en tant que tel n’a rien de néfaste, l’important réside dans la façon de penser qui en découle et dans les actes accomplis qui mettent alors en mouvements les mécanismes interdépendants autour de cette influence première. Une réelle compréhension de cela éradique toute confusion et signifie demeurer en la clarté. Nous nous libérons de l’emprise de ce mouvement émotionnel, tout en prenant conscience que l’un ou l’autre état n’est rien d’autre que notre propre esprit.
L’esprit, en son état naturel, est à la fois clarté et vacuité.
Notre état naturel
La première chose, lorsque l’on médite, est de savoir qui médite. Je médite donc, mais à quoi ressemble ce « je», ce « soi » ? Est-ce uniquement notre corps qui prend une posture précise ? La position du corps n’est qu’un facteur et ne constitue pas l’essence de la méditation. C’est donc l’esprit qui médite. Alors que le corps est la réunion d’éléments physiques tangibles, l’esprit, lui, n’a pas de forme perceptible : il est, par nature, l’union de la clarté et de la vacuité.
Il est facile de constater que les mouvements émotionnels et conceptuels qui s’élèvent en nous se forment et se transforment en fonction des circonstances et des conditions en présence. Ces mouvements sont donc conditionnés par un ensemble de facteurs en perpétuel changement. Ils ne peuvent donc prétendre être l’état naturel, véritable et stable de l’esprit. Si l’esprit n’offre aucune forme ni matière perceptible, il n’est pas non plus un néant : quelque chose est bien présent. En effet, nous éprouvons tous ce sentiment que nous sommes « nous-mêmes » à l’intérieur d’une enveloppe éphémère composée que nous nommons corps. Nous avons la capacité de percevoir, de ressentir, de connaître, sans pour autant pouvoir représenter ce qui perçoit, ressent ou connaît.
L’esprit, en son état naturel, est à la fois clarté et vacuité. Le terme clarté signifie « sans confusion et de façon exacte ». Le mot « vacuité » ne désigne pas un vide, mais renvoie à une présence sans représentation : une qualité innée de compassion, aussi appelée nature de Bouddha.
Si nous parvenons à dissiper la confusion qui cerne l’esprit, nous pouvons alors demeurer en sa nature essentielle. La clarté permet de prendre conscience des causes de notre confusion : nous comprenons précisément que l’esprit fait fausse route au lieu de demeurer en sa nature. À la place, il saisit certains mouvements déclenchés par des facteurs internes ou externes à lui-même. Ces mouvements empreints d’attachement, de rejet, de jugement, d’ignorance ... causent des perturbations et nous coupent de nous-mêmes. L’esprit engendre en fait sa propre confusion. Le comprendre permet de dissiper beaucoup de difficultés et ouvre un nouvel espace. Nous ne subissons plus autant nos émotions et parvenons à garder une distance avec nos idées et nos ressentis. En nous familiarisant avec cette qualité de clarté, nous nous apercevons que l’esprit est plus « frais », moins encombré de mouvements inutiles, nous devenons, au fur et à mesure, capables de retourner à son état originel.
C’est tout le propos de la méditation et contrairement à ce que l’on pourrait penser, il ne s’agit pas de ralentir mais de clarifier.
Extrait de Manuel des héros ordinaires, paru aux Éditions Rabsel
Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°6 (Printemps 2018)
Depuis trente ans, lama Jigmé Rinpoché rencontre des personnes issues de disciplines, de cultures et d’horizons différents, ce qui lui a permis d’acquérir une profonde connaissance des Occidentaux. Son expérience spirituelle ancrée dans la tradition fait de lui un maître authentique. Il est le directeur spirituel de Dhagpo Kagyu Ling (Dordogne) et poursuit aujourd’hui son activité à travers toute l’Europe.