top of page
loading-gif.gif

La mère de Dipa

  • Photo du rédacteur: Sagesses Bouddhistes
    Sagesses Bouddhistes
  • 30 oct. 2024
  • 17 min de lecture

La capacité extraordinaire d’un cœur éveillé


Par Jeanne Schut

Présentation Aurélie Godefroy

Adaptation Sagesses Bouddhistes - Le Mag 



Dans cette émission de Sagesses Bouddhistes, Aurélie Godefroy permet d’évoquer avec son invitée Jeanne Schut le portrait d’une femme extraordinaire, Dipa Ma, qui réalisa dans la deuxième moitié de sa vie la plupart des degrés de l’éveil. Cette femme simple, mère de famille et maîtresse de maison à Calcutta, inspira également des générations de pratiquants occidentaux comme en témoigne Jack Kornfield, un des grands enseignants américains du theravada.




Aurélie Godefroy : Dipa Ma était une femme extraordinaire que son destin ne prédisposait pas, à première vue, à devenir un maître du theravada. Jeanne Schut, bonjour, comment s’est déroulée l’enfance de Dipa Ma ? De quelle manière a-t-elle débuté la méditation ? Comment sa renommée, notamment auprès des femmes, a-t-elle commencé à croître ?

 

Jeanne Schut : Alors jusqu’à douze ans, c’était une petite fille adorable que tout le monde aimait. C’était l’aînée d’une famille de six enfants. Elle était charmante avec ses frères et sœurs, douce avec ses amis. Elle était très particulière dans le sens qu’elle s’intéressait beaucoup à la connaissance. Elle voulait toujours apprendre, apprendre plus. Elle allait à l’école alors que ce n’était pas obligatoire pour les petites filles. Elle prenait des devoirs. Elle posait beaucoup de questions à son père le soir sur ce qu’elle apprenait. Et puis, du côté de sa mère, elle s’intéressait au bouddhisme. La maman lui apprenait. C’était une famille bouddhiste du Bengale. Il y a maintenant très peu de bouddhistes en Inde mais, dans le nord-est de l’Inde, à la frontière avec la Birmanie, il y a encore des personnes dont on dit qu’elles descendent directement des familles bouddhistes de l’époque du Bouddha. Donc les rituels bouddhistes continuaient, les textes étaient étudiés, mais sans pratique de la méditation. Pourtant, elle avait tout de suite montré un intérêt pour la méditation. Et quand des moines passaient, ses parents l’autorisaient à donner de la nourriture alors que normalement, on ne laissait pas les enfants le faire. On l’autorisait même à s’asseoir près des moines quand ils mangeaient. Et elle avait cette fascination pour la religion qu’ils représentaient.

 

Son enfance s’arrête, à douze ans : on la marie. C’est la tradition. Elle ne se rebelle pas. En tout cas, on n’en entend pas parler de cette rébellion éventuelle. Et puis, elle est donc mariée à un jeune ingénieur qui travaille en Birmanie. À l’âge de douze ans, il y a donc cette cérémonie de mariage et son mari repart aussitôt en Birmanie. Elle reste pendant deux ans dans sa belle-famille dans une atmosphère complètement différente. On la traite un peu comme une servante, ce qui est aussi la tradition. L’atmosphère chaleureuse, affectueuse qu’elle avait connue dans son enfance est perdue.

À quatorze ans, on l’envoie en Birmanie, un pays où elle ne connaît personne, dont elle ne connaît pas la langue et vers un homme qu’elle ne connaît pas et dont elle a peur pendant toute la première année de mariage. Heureusement, de ce côté-là, les choses s’arrangent puisque c’est un homme très doux, très bon. Et en fait, ils vont être profondément amoureux. C’est elle qui le dit plus tard. Mais, grand chagrin, ils n’arrivent pas à avoir d’enfant et, dans cette culture, c’est presque une tare pour une femme. Elle en souffre énormément. Quand même, au bout de vingt ans arrive une petite fille et cette petite fille décède au bout de trois mois. L’effondrement est complet pour Dipa Ma.



Alors je crois que c’est à ce moment-là qu’elle demande à entreprendre la méditation, mais son mari refuse.

Exactement. En Inde, les gens disent que c’est à la fin de sa vie que l’on va méditer et son mari, quand même prisonnier de la culture indienne, lui disait toujours : « Tu es trop jeune. » Les choses s’arrangent puisque quelques années après, elle a un autre enfant, une petite Dipa. Donc c’est à partir de là qu’on l’appelle Dipa Ma, c’est-à-dire la mère de Dipa. Et puis quelques années après, encore une grossesse et c’est un petit garçon, et malheureusement il meurt à la naissance. Et là c’est à nouveau un choc terrible pour Dipa Ma.

Après la mort de ce petit garçon mort-né, elle veut partir méditer et son mari le lui refuse encore. Et elle tombe malade et son mari prend à ce moment en charge la famille, la petite fille, le travail, la maison, la femme malade. Un soir, il rentre du travail très fatigué et, quelques heures plus tard, il meurt d’une crise cardiaque. Dipa Ma touche le fond de la détresse. Et c’est à ce moment-là qu’elle voit le Bouddha lui parler d’un verset du Dhammapada dans un rêve : « De ce qui nous est cher naît la peur, de ce qui nous est cher naît le chagrin. Celui qui s’est libéré de l’attachement aux êtres chers est également libéré de la peur et libéré du chagrin. » Elle prend ce rêve comme un message.

 

Après une première expérience au monastère qui a tourné court, Dipa Ma a reçu toutefois suffisamment d’instructions pour commencer une pratique personnelle. Et à la maison, elle va méditer pendant sept ans. Dipa, la fille de Dipa Ma, avec qui j’ai eu la chance d’être en contact, m’a dit que pendant cette période, sa mère méditait à peu près trois heures par jour. Mais surtout, qu’elle développait l’attention continue dans ses gestes, dans sa façon d’agir.

 

Au bout de sept années, la sœur de Dipa Ma débarque en Birmanie avec ses six enfants, de sorte que la petite Dipa se retrouve entourée de cousines, de cousins. Et Dipa Ma rencontre Munindra, un ami de la famille qui apprend la méditation sous l’égide de Mahasi Sayadaw, le plus grand maître de méditation birman du xxᵉ siècle, un homme éminent et érudit, qui avait dirigé le sixième concile du bouddhisme theravada. Munindra emmène Dipa Ma au monastère et traduit pour elle les enseignements de Mahasi Sayadaw.

 

Alors sa vie change radicalement. Au cours des trois années suivantes, elle déménage en Inde et sa réputation l’accompagne très rapidement, au point qu’on la surnomme la sainte patronne des ménagères. Pour quelle raison ?

Quand elle arrive en Inde, elle rayonne, les gens entendent parler d’elle, ils la rencontrent. Cette femme si calme, si posée et en même temps si rayonnante les intriguent. Elle vivait dans un quartier très pauvre de Calcutta et voyait des ménagères, des femmes qui avaient beaucoup d’enfants et qui souffraient de la pauvreté. Elle leur parlait des expériences qu’elle avait traversées et des bienfaits de la méditation. Elle les enjoignait à apprendre elles aussi à pratiquer. Et c’est comme ça que les Américains qui l’ont connue plus tard l’ont appelée affectueusement la sainte patronne des ménagères.


Peut-on aborder les trois points essentiels qui étaient donc de suivre les cinq préceptes éthiques, de méditer plusieurs heures par jour et de maintenir une attention soutenue dans toutes les activités de la journée. Pouvez-vous nous en dire un mot ?

Elle disait, comme le Bouddha, qu’une base de moralité est indispensable si vous voulez méditer correctement. Pour que la méditation porte des fruits, il faut être en paix avec soi-même, donc n’avoir rien à se reprocher. C’est la moralité, la vertu de base. Et puis il faut méditer régulièrement. Comme elle savait que cela lui avait été bénéfique et que ça pouvait porter des fruits, elle encourageait tout le monde à le faire. Et puis il faut continuer au quotidien dans toutes les activités, à être tellement présent que c’en est une méditation. Méditer, c’est quoi ? C’est être dans l’instant présent. Donc on peut le faire dans toutes les situations, entre les méditations formelles.

 

Alors sa renommée s’étend au début des années 1980, un petit peu partout dans le monde, et notamment aux États-Unis où elle est invitée. Dans quelles circonstances et comment cela se passe-t-il pour elle ?  

Munindra est retourné en Inde après avoir vécu si longtemps auprès de Mahasi Sayadaw. Il a également enseigné la méditation et, parmi les personnes qui venaient vers lui, il y a eu quelques jeunes Américains qui voulaient apprendre à méditer. Munindra parlait souvent de Dipa Ma comme d’une élève exceptionnelle et ces jeunes Américains ont eu envie de la connaître. Ils ont passé une bonne dizaine d’années en Inde, sont allés la voir à Calcutta et il s’est créé une relation quasi filiale pour certains d’entre eux, comme Joseph Goldstein ou Jack Kornfield, qui ont plus tard créé un institut sur la côte Est des États-Unis, qui a été le premier grand institut de méditation Vipassana…Et c’est là qu’elle a été invitée par la suite à participer à des retraites aux États-Unis et à faire partie de l’équipe des enseignants. Cela a été pour des centaines et des centaines de personnes l’occasion de la connaître.

 

Revenons à son enseignement spirituel. Comment est-ce que celui-ci s’est développé ?

En fait, elle n’a jamais eu de centre de méditation dont elle aurait été le maître. Ça s’est plutôt développé par le bouche-à-oreille et par son rayonnement. Il y avait des personnes qui la voyaient, qui étaient intéressées par : « Comment en es-tu arrivée là, toi qui étais une femme désespérée, malade ? » Et puis d’autres qui venaient chercher son enseignement. Elle habitait dans un vieil immeuble en forme de U, donc dans une cour carrée et au quatrième étage. Un voisin du dessous a envoyé sa femme chez Dipa Ma. C’était une femme légèrement arriérée, simple mentalement. Le mari a dit : « Va voir un peu cette tante dont on dit tellement de bien, Dipa Ma. Peut-être qu’elle t’apprendra quelque chose d’intéressant. » Et cette femme est montée jusqu’à Dipa Ma et lui a demandé comment apprendre la méditation, et Dipa Ma lui a dit : « C’est très simple, quand tu vois ton abdomen monter, tu dis "monte". Quand tu le sens descendre à la respiration, tu dis "tombe" ou "descend", "monte" ou "descend". D’accord ? » - « D’accord ». Elle commence à descendre les escaliers. Arrivée à mi-chemin, elle a oublié les instructions. Elle remonte et Dipa Ma, patiemment, lui redonne les instructions. La femme redescend. Et cela s’est répété plusieurs fois tout au long d’une année et, patiemment, Dipa Ma a continué à lui donner les mêmes instructions. Mais, dit-on – c’est cette femme qui le raconte elle-même – une fois qu’elle a eu les instructions, elle s’y est attelée et, très vite, elle a eu elle aussi un éveil. C’était une femme qui au départ était pliée par les rhumatismes à 90 degrés. Elle a retrouvé toute sa forme. Et quand le jeune Américain qui faisait une thèse sur tous les élèves de Dipa Ma lui a posé des questions, elle a dit : « Je suis tellement heureuse de pouvoir parler de ce moment qui a été le plus beau de ma vie et dont je n’avais jamais eu l’occasion de parler. »

 

 

Revenons maintenant sur ces différentes leçons, et notamment trois particulièrement. La première disait : « Quoi que vous fassiez, soyez-en conscient. » Alors, qu’est-ce qu’elle entendait par là ?

C’était son leitmotiv. Elle disait – car certaines personnes se plaignaient de ne pas avoir le temps de méditer – l’important, c’est d’être conscient dans toutes nos actions. Mais elle insistait quand même sur la méditation formelle et le fait qu’entre chaque méditation, il fallait continuer à être présent. Parce que la présence, c’est la méditation. Mais elle ne le disait pas seulement, elle l’exemplifiait. Il y a des Américains qui l’ont accueillie et hébergée quand elle enseignait aux États-Unis. Et un homme raconte que lorsqu’elle était chez lui, il ne la quittait pas des yeux et qu’il n’avait jamais vu cette femme regarder à deux endroits en même temps ni faire deux choses en même temps. Quand elle était là, elle était là. C’était un roc. D’autres personnes ont dit qu’elles se recentraient dans le silence rien qu’à la regarder. Elle évoquait la stabilité, la présence.  

 

Elle nous disait aussi : « L’esprit ne fait que raconter des histoires, n’y croyez pas. »

Elle s’est beaucoup adressée à ces Américains dont elle trouvait qu’ils avaient un mental très… parlant. Une dame raconte qu’elle est allée voir Dipa Ma avec beaucoup de problèmes, des problèmes personnels, de divorce, de difficultés matérielles, et qu’elle voulait des conseils. Dipa Ma l’écoute et lui dit : « Pratique metta. » Metta, c’est l’amour inconditionnel, l’ouverture du cœur : au moment de la méditation, il s’agit d’ouvrir le cœur et d’offrir son amour sans jugement. Cette femme s’est dit que c’était un peu juste comme pratique et qu’elle voulait de l’aide concrète. Elle insiste un petit peu et Dipa Ma lui fait comprendre que l’entretien est terminé. Cette femme, n’ayant que cet outil, s’est décidée à pratiquer metta. Elle l’a fait un mois, deux mois et au bout de trois mois, elle a senti vraiment que sa propre attitude changeait. Et ensuite, exactement comme le prévoyait Dipa Ma, les situations se sont dénouées.

 

Alors, ce qu’il est très intéressant de préciser également, c’est que cet enseignement et ces séances de méditation étaient suivis aussi par des moines ou par des hommes, alors qu’elle même était femme et laïque. Surprenant, non ?

Effectivement, un moine raconte avec beaucoup d’humilité qu’il était à Bodh-Gayâ et avait voulu suivre une retraite de méditation avec Dipa Ma. Mais ses collègues moines, en apprenant cela, lui avaient dit : « Tu es un homme, tu es un moine et tu vas chercher une femme laïque pour apprendre la méditation ?! » Et il avait répondu avec beaucoup de simplicité : « Cette femme a vu ce que je n’ai pas encore vu. Elle a trouvé ce que je n’ai pas trouvé. Alors oui, je vais la voir. Pour moi, ce n’est pas une femme, c’est un maître. » Après la retraite suivie avec Dipa Ma, il a eu ce déclic d’éveil et elle lui a dit : « Maintenant tu peux aller enseigner la méditation. » Et il est encore aujourd’hui le président de la plus grande association Vipassana internationale à Bodh-Gayâ.

 

Dipa Ma décède en 1989. Dans quelles circonstances ?

C’est quelque chose de très doux et très paisible en fait, à l’image de la personne qu’elle était. Un soir, sa fille rentrait du travail et elle l’a trouvée très fatiguée. Elle lui dit : « Est-ce que tu veux que j’appelle le médecin ? » Dipa Ma hésite et puis elle dit : « Si tu veux. » Donc sa fille demande aux voisins d’aller chercher un médecin. Le voisin revient un peu plus tard en disant qu’il n’a pas trouvé de médecin. Il s’assoit auprès du lit, il lui tient la main et lui caresse comme ça, gentiment, la main et le bras. Et à un moment donné, Dipa Ma lui demande de mettre la main sur sa tête. C’est ce qu’il fait. Et là, il a l’intuition de lui chanter les mantras qu’elle lui avait appris. Et à ce moment-là, elle s’est tournée vers une petite statue du Bouddha qui était tout près de son lit. Elle s’est inclinée en hommage au Bouddha et elle a laissé son dernier souffle partir en hommage au Bouddha.




Jack Kornfield, à l’occasion de la date anniversaire de Dipa Ma, le 25 mars 2024, lui a rendu un vibrant hommage.

 

Nous avons en nous une extraordinaire capacité d’amour, de joie et une inébranlable capacité de liberté. L’une de mes enseignantes bouddhistes, Dipa Ma Barua, me l’a démontré. Lorsque j’ai étudié avec elle, Dipa Ma était grand-mère, mère de famille et maîtresse de maison, mais aussi l’une des méditantes les plus accomplies de la lignée theravada. À un tournant de sa vie, elle s’est jetée à corps perdu dans la pratique et, grâce à sa nature ardente et à ses capacités innées, elle en est ressortie avec une profonde réalisation.

Dipa Ma fut alors formée et devint maître de dizaines de types de méditation et même de nombreux pouvoirs spéciaux. Grâce à son engagement intense et à son caractère rayonnant, elle est devenue un enseignant vénéré par de nombreuses personnes en Inde et aux États-Unis. Interrogée sur le mythe selon lequel, pour atteindre les niveaux spirituels les plus élevés, il faut le faire dans le corps d’un homme, Dipa Ma avait déclaré, le visage impassible : « Tout ce qu’un homme peut faire, je peux le faire ». Et on sentait que c’était vrai.

À la fin des années 1970, je me suis rendu à Calcutta pour revoir Dipa Ma. J’avais médité pendant un mois à Bodh-Gayâ, en Inde. En raison d’un problème de billet d’avion, je n’ai eu qu’une journée à passer avec elle. C’était une journée chaude, plus de 37 degrés. L’air de Calcutta était chargé de smog et de saleté. Après lui avoir rendu hommage, nous avons passé quelques heures à discuter longuement. Bien que j’aie enseigné avec succès pendant plusieurs années, j’avais des difficultés cette année-là. Je souffrais de graves douleurs dorsales, j’étais bouleversé par l’échec d’une relation et, avant de venir en Inde, j’avais travaillé sans relâche pendant des mois. Compte tenu du stress accumulé, je lui ai dit que j’avais commencé à douter de mes propres capacités et de mon aptitude à incarner les enseignements. Bien qu’elle ait pu voir à quel point j’étais chancelant, elle m’a regardé dans les yeux et m’a encouragé à rester stable malgré tout. Je sentais sa force si constante que c’était comme si elle entrait en moi aussi. Lorsque le moment est venu pour moi de partir, Dipa Ma m’a serré dans ses bras, comme on le fait habituellement au Bengale. Puis elle m’a dit que parce que j’enseignais le Dharma, elle avait une bénédiction spéciale pour moi. Comme elle était toute petite, lorsque je me suis agenouillé pour la bénédiction, j’étais de la même taille qu’elle.

 

Dipa Ma a passé lentement ses mains sur ma tête et sur tout mon corps. Elle a soufflé sur moi et a récité des chants d’amour bienveillant en même temps. Au début, cela m’a semblé être une très longue prière, mais au fur et à mesure qu’elle continuait à me bénir, je me sentais de mieux en mieux. Au bout de dix longues minutes, tout mon corps était ouvert et picotait.

Je souriais d’une oreille à l’autre. « Va enseigner de belles retraites à tous ces gens », dit-elle enfin, « Va avec les bénédictions d’une mère ». J’avais l’impression qu’une grand-mère aimante et bienveillante m’avait prodigué ses bons soins amplifiés par sa puissance de yogini.

 "

« Bénissez ceux qui vous entourent. Si vous bénissez ceux qui vous entourent, cela vous incitera à être attentif à chaque instant. » Dipa Ma

Je suis sorti dans la rue étouffante de Calcutta et j’ai pris un taxi pour l’aéroport Dum Dum (son vrai nom). Il m’a fallu deux heures pour y arriver, le chauffeur appuyant sur son klaxon tout au long du trajet, se faufilant entre les rickshaws et la circulation, les vaches, les fumées et les ordures. À l’aéroport, je suis passé par la fastidieuse douane indienne, resté debout pendant des heures alors que des fonctionnaires examinaient mes affaires, m’interrogeaient et tamponnaient mes documents. Finalement, j’ai pris l’avion pour un vol de trois heures à destination de Bangkok. Là-bas aussi, il faisait chaud et il y avait beaucoup de monde, de longues files d’attente à l’aéroport et encore plus de douanes. J’ai ensuite passé une heure et demie à rouler jusqu’à mon hôtel dans le trafic lent et encombré de Bangkok.

Pendant tout ce temps, je n’arrêtais pas de sourire. J’étais rempli d’une joie et d’un amour inébranlables. Tout au long des files d’attente à la douane, pendant les trajets en avion, les trajets en taxi dans les embouteillages, je suis resté assis avec cet immense sourire sur le visage. Il ne s’effaçait pas. Je me suis endormi en souriant et je me suis réveillé en souriant. J’ai souri continuellement pendant des jours et je me suis senti optimiste pendant des mois après la bénédiction de Dipa Ma. Et c’est là qu’elle a été invitée par la suite à participer à des retraites aux États-Unis et à faire partie de l’équipe des enseignants. Cela a été pour des centaines et des centaines de personnes l’occasion de la connaître.




Revenons à son enseignement spirituel. Comment est-ce que celui-ci s’est développé ?

En fait, elle n’a jamais eu de centre de méditation dont elle aurait été le maître. Ça s’est plutôt développé par le bouche-à-oreille et par son rayonnement. Il y avait des personnes qui la voyaient, qui étaient intéressées par : « Comment en es-tu arrivée là, toi qui étais une femme désespérée, malade ? » Et puis d’autres qui venaient chercher son enseignement.



Elle habitait dans un vieil immeuble en forme de U, donc dans une cour carrée et au quatrième étage. Un voisin du dessous a envoyé sa femme chez Dipa Ma. C’était une femme légèrement arriérée, simple mentalement. Le mari a dit : « Va voir un peu cette tante dont on dit tellement de bien, Dipa Ma. Peut-être qu’elle t’apprendra quelque chose d’intéressant. » Et cette femme est montée jusqu’à Dipa Ma et lui a demandé comment apprendre la méditation, et Dipa Ma lui a dit : « C’est très simple, quand tu vois ton abdomen monter, tu dis "monte". Quand tu le sens descendre à la respiration, tu dis "tombe" ou "descend", "monte" ou "descend". D’accord ? » - « D’accord ». Elle commence à descendre les escaliers. Arrivée à mi-chemin, elle a oublié les instructions. Elle remonte et Dipa Ma, patiemment, lui redonne les instructions. La femme redescend. Et cela s’est répété plusieurs fois tout au long d’une année et, patiemment, Dipa Ma a continué à lui donner les mêmes instructions. Mais, dit-on – c’est cette femme qui le raconte elle-même – une fois qu’elle a eu les instructions, elle s’y est attelée et, très vite, elle a eu elle aussi un éveil. C’était une femme qui au départ était pliée par les rhumatismes à 90 degrés. Elle a retrouvé toute sa forme. Et quand le jeune Américain qui faisait une thèse sur tous les élèves de Dipa Ma lui a posé des questions, elle a dit : « Je suis tellement heureuse de pouvoir parler »


Revenons maintenant sur ces différentes leçons, et notamment trois particulièrement. La première disait : « Quoi que vous fassiez, soyez- en conscient. » Alors, qu’est-ce qu’elle entendait par là ?

C’était son leitmotiv. Elle disait – car certaines personnes se plaignaient de ne pas avoir le temps de méditer – l’important, c’est d’être conscient dans toutes nos actions. Mais elle insistait quand même sur la méditation formelle et le fait qu’entre chaque méditation, il fallait continuer à être présent. Parce que la présence, c’est la méditation. Mais elle ne le disait pas seulement, elle l’exemplifiait. Il y a des Américains qui l’ont accueillie et hébergée quand elle enseignait aux États-Unis. Et un homme raconte que lorsqu’elle était chez lui, il ne la quittait pas des yeux et qu’il n’avait jamais vu cette femme regarder à deux endroits en même temps ni faire deux choses en même temps. Quand elle était là, elle était là. C’était un roc. D’autres personnes ont dit qu’elles se recentraient dans le silence rien qu’à la regarder. Elle évoquait la stabilité, la présence.


Elle nous disait aussi : « L’esprit ne fait que raconter des histoires, n’y croyez pas. »

Elle s’est beaucoup adressée à ces Américains dont elle trouvait qu’ils avaient un mental très... parlant. Une dame raconte qu’elle est allée voir Dipa Ma avec beaucoup de problèmes, des problèmes personnels, de divorce, de difficultés matérielles, et qu’elle voulait des conseils. Dipa Ma l’écoute et lui dit : « Pratique metta. » Metta, c’est l’amour inconditionnel, l’ouverture du cœur : au moment de la méditation, il s’agit d’ouvrir le cœur et d’offrir son amour sans jugement. Cette femme s’est dit que c’était un peu juste comme pratique et qu’elle voulait de l’aide concrète. Elle insiste un petit peu et Dipa Ma lui fait comprendre que l’entretien est terminé. Cette femme, n’ayant que cet outil, s’est décidée à pratiquer metta. Elle l’a fait un mois, deux mois et au bout de trois mois, elle a senti vraiment que sa propre attitude changeait. Et ensuite, exactement comme le prévoyait Dipa Ma, les situations se sont dénouées.


Alors, ce qu’il est très intéressant de préciser également, c’est que cet enseignement et ces séances de méditation étaient suivis aussi par des moines ou par des hommes, alors qu’elle même était femme et laïque. Surprenant, non ?

Effectivement, un moine raconte avec beaucoup d’humilité qu’il était à Bodh-Gayâ et avait voulu suivre une retraite de méditation avec Dipa Ma. Mais ses collègues moines, en apprenant cela, lui avaient dit : « Tu es un homme, tu es un moine et tu vas chercher une femme laïque pour apprendre la méditation ?! » Et il avait répondu avec beaucoup de simplicité : « Cette femme a vu ce que je n’ai pas encore vu. Elle a trouvé ce que je n’ai pas trouvé. Alors oui, je vais la voir. Pour moi, ce n’est pas une femme, c’est un maître. » Après la retraite suivie avec Dipa Ma, il a eu ce déclic d’éveil et elle lui a dit : « Maintenant tu peux aller enseigner la méditation. » Et il est encore aujourd’hui le président de la plus grande association Vipassana internationale à Bodh-Gayâ.


Dipa Ma décède en 1989. Dans quelles circonstances ?

C’est quelque chose de très doux et très paisible en fait, à l’image de la personne qu’elle était. Un soir, sa fille rentrait du travail

et elle l’a trouvée très fatiguée. Elle lui dit : « Est-ce que tu veux que j’appelle le médecin ? » Dipa Ma hésite et puis elle dit : « Si tu veux. » Donc sa fille demande aux voisins d’aller chercher un médecin. Le voisin revient un peu plus tard en disant qu’il n’a pas trouvé de médecin. Il s’assoit auprès du lit, il lui tient la main et lui caresse comme ça, gentiment, la main et le bras. Et à un moment donné, Dipa Ma lui demande de mettre la main sur sa tête. C’est ce qu’il fait. Et là, il a l’intuition de lui chanter les mantras qu’elle lui avait appris. Et à ce moment-là, elle s’est tournée vers une petite statue du Bouddha qui était tout près de son lit. Elle s’est inclinée en hommage au Bouddha et elle a laissé son dernier souffle partir en hommage au Bouddha. 

bottom of page