Entretien par Philippe Judenne
« Le camp d’été 2020 aura lieu ! » C’est après ce message enthousiaste que les inscriptions aux sessions du camp d’été du temple zen de la Gendronnière se sont ouvertes. L’été étant une période naturellement propice pour faire une retraite spirituelle, les participants ont pu se retirer des habitudes de leur vie quotidienne et se permettre d’ouvrir un autre regard sur le monde, en approfondissant une pratique, en creusant une question.
Cet été 2020, l’organisation du temple zen a décidé de diviser par deux la capacité d’accueil pour que les participants au camp d’été puissent aller librement en respectant les règles de distanciation sanitaire. Ainsi, deux personnes tout au plus pouvaient être accueillies dans une chambre prévue pour 4 ou 5 personnes et le nombre habituel de tentes disponibles était réduit de moitié, limitant à 100 le nombre total de participants à une session. On vient au camp d’été pour une durée variable : une session de 7 ou 9 jours, deux sessions ou trois semaines complètes.
Les participants ont été invités à adopter une attitude responsable : consommer en conscience l’eau filtrée disponible, réduire la quantité de futurs déchets plastiques apportés avec les bagages, amener leurs propres draps et des produits naturels biodégradables pour éviter la pollution de l’eau du lagunage et… porter le masque en toute situation où il est nécessaire.
Un parc aux pelouses verdoyantes plantées d’arbres majestueux, des moutons qui paissent tranquilles et grégaires, des chemins en sous-bois qui mènent aux étangs semés de plantes aquatiques : le domaine de la Gendronnière délivre cet après-midi-là une puissante invitation à flâner et à découvrir une nature radieuse. C’est pourtant au petit matin à six heures que la contemplation a commencé pour les pratiquants du camp d’été : sur le coussin de méditation et face au mur du dojo. C’est le zazen, la méditation telle que le maître Taisen Deshimaru l’enseigna à ses disciples, qui eux-mêmes l’enseignèrent ensuite. Ces temps de pratique et ceux de l’enseignement donné par les liturgies et les maîtres zen constituent l’ensemble de « la pratique » du zen – si nous n’oublions pas de mentionner le samou, autre pilier de la pratique.
Le samou
Dans le bouddhisme zen, une grande importance est donnée au travail pour la communauté, dans un esprit de don et de dévouement. Cette activité bénévole est appelée samou. Pendant les sesshin (retraites de méditation), plusieurs heures quotidiennes lui sont ainsi consacrées en matinée et en après-midi. Le moine ou la nonne responsable du samourépartit les tâches à effectuer entre les personnes présentes. Que ce soit pour aider au secrétariat, couper des légumes à la cuisine, nettoyer les toilettes, organiser l’intendance, faire la comptabilité, empiler le bois de chauffage, désherber et planter au potager, fabriquer une étagère pour le rangement des chaussures : sans choisir, on se consacre avec un esprit paisible à ce qu’il faut faire, geste après geste. Car pendant le samou, l’esprit de concentration, de présence produit à partir de zazen se maintient dans toutes les activités de la journée.L’énergie collective de nombreux pratiquants a ainsi permis la création de dojos ou de monastères ces dernières décennies, et c’est en grande partie grâce au samou que ces lieux peuvent fonctionner au quotidien.
Le potager : « Un jour sans travail, un jour sans manger » ?
On attribue au maître Hyakujô Ekai (720-814) la rédaction des premières règles monastiques, dont le zen s’inspire encore aujourd’hui. Le point essentiel fut l’importance qui était accordée au samou et à l’autosubsistance de la communauté. Au ixe siècle en Chine, les communautés d’autres traditions furent persécutées et leurs temples bouddhistes pillés. Les temples chan (jap. : zen) survécurent parce qu’ils étaient isolés, ne possédaient pas de richesses, pratiquaient l’agriculture et subvenaient eux-mêmes, grâce au samou, à la plus grande partie de leurs besoins.
Dans les premiers temps du bouddhisme en Inde, les moines et les nonnes subvenaient à leurs besoins en pratiquant la mendicité. Plus tard, la tradition indienne de la mendicité fut conservée comme méthode de formation, mais les biens de la communauté étaient produits par les moines.
« Un jour sans travail, un jour sans manger » était la maxime de Hyakujô que l’on retrouve aujourd’hui encore inscrite dans les temples chinois. Il est dit que même à un âge avancé, Hyakujô a toujours continué de travailler. Comme il était très âgé, ses disciples avaient caché ses outils en espérant qu’il se repose. Le maître avait alors arrêté de s’alimenter en disant cette phrase : « Un jour sans travail, un jour sans manger. »
Les cultures maraîchères du potager de la Gendronnière et la quantité des productions annuelles de légumes expriment bien cette continuité de la tradition. Raimund Olbrich, maraîcher depuis une trentaine d’années et pratiquant du zen, a investi le potager en friche il y a quatre ans. « Il a fallu environ une année de remise en route, de travail du sol pour préparer les cultures et puis trois années pour atteindre la production actuelle », explique le maraîcher. « On travaille manuellement, nous n’utilisons que des intrants fabriqués au domaine : les lentilles d’eau des étangs, le broyat des branches, le foin que l’on fauche, les épluchures de légumes vont faire le compost. En permaculture, on cherche toujours à avoir deux ressources pour une seule fonction : ainsi l’eau nécessaire à l’arrosage est fournie par un grand étang situé au-dessus du niveau du potager et aussi par un puits situé à côté du château– qui se double d’un projet de récupération des eaux de pluie. Nous avons une grande surface de potager. Sa capacité véritable s’établit en fonction des méthodes de maraîchage et du nombre de gens qui peuvent y travailler (les résidents de la Gendronnière et les autres de passage). Le potager réalise en ce moment une production de 3 à 4 tonnes de légumes tous les ans. »
Raimund continue : « C’est un potager essentiellement d’été puisque les sessions du camp d’été concentrent l’activité en juillet et en août. C’est le moment où le potager produit le plus. On plante dès le printemps en visant cette période-là. On a aussi des légumes d’hiver et d’automne que l’on stocke : pommes de terre, panais, carottes, courges, etc. » Des essais de conservation des légumes par lacto-fermentation sont également en cours. Ce procédé simple, autorisant des conservations de plusieurs mois à un an, permettrait d’égayer de nombreux plats. « La volonté d’autonomie a été en partie réalisée », estime Raimund, « le groupe de personnes qui habitent au temple vivent au rythme de la nature et participent à cultiver leur propre nourriture. Dans le zen, on parle de s’harmoniser avec l’ordre cosmique. J’établis là un parallèle avec l’ordre évident des choses que l’on peut observer dans la nature. Quand on cultive de la nourriture, on peut observer comment un écosystème fonctionne complètement en interdépendance : entre le sol, l’atmosphère, la terre, la vie de surface et la vie des plantes, des arbres, etc. Tenir compte de cette interdépendance, comprendre les lois de la nature est notre ressource pour cultiver : ce sont des miracles que nous observons d’elle et que nous essayons d’imiter. »
Les conditions sanitaires générales, la chaude après-midi de la journée, l’espace ouvert des pelouses extérieures du dojo et bien d’autres causes et conditions ont permis un petit miracle, une innovation très sympathique pour la session de zazen du début de soirée. Les pratiquants ont retiré leurs masques avec bonheur une fois assis sur leur coussin, et dans une posture et une respiration très attentives, ils ont pratiqué zazen face au « mur » de la forêt.
Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°15 (Automne 2020)