Par Anila Trinlé
Extrait du blog de l’auteure, L’Atelier des savoirs
Une relation est un long chemin à parcourir à deux. C’est une rencontre qui se nourrit, s’approfondit. C’est l’opportunité de se rencontrer soi-même et l’autre. C’est un chemin de réajustement, de clarification. C’est aussi un chemin de déception et de découvertes réjouissantes.
Sans que nous nous en rendions toujours compte, notre fonctionnement, qui ne nous permet d’avoir accès qu’à notre propre représentation de notre propre réalité et de celle de l’autre, nous amène à éprouver déception et contrariété. Je ne l’aurais pas cru capable de faire ceci, de dire cela, il ou elle me déçoit…
Mais qu’est-ce que la déception ? La déception envahit l’esprit, elle fait douter de soi, de l’autre, elle suscite la colère et le rejet. Mais à bien y regarder, la déception montre que ma vision de l’autre, de la situation et même de moi-même n’était pas juste.
Je n’ai accès qu’à ma vision de la réalité, et le meilleur moyen de sortir de mes représentations figées, c’est d’accueillir la déception comme opportunité de rencontrer le non-su, le non-vu, l’inconnu. C’est l’opportunité d’un réajustement, parce que ce que j’envisageais comme « une évidence » n’était que ma version de la réalité !
Accepter que ma vision ne soit pas juste puisque les circonstances me prouvent que les choses ne se passent pas toujours comme je le voudrais, que les êtres ne sont pas nécessairement tels que je me les représente. Et que s’ils sont différents de ce que je croyais, cela ne signifie pas qu’ils ne sont pas justes, ni bons ni mauvais, ni intelligents ni stupides. Ils sont autres, différents de ma représentation, c’est tout.
Intéressant d’aller voir du côté de l’étymologie, deceptio (du latin tardif) signifie « tromperie », « tromper ». Face à une déception nous avons tendance à croire que ce sont les autres qui se trompent, qui nous trompent, alors que c’est « moi » qui me suis trompée en envisageant l’autre comme je voudrais qu’il soit !
Si je suis déçue, je me trompe et à moi d’en assumer la responsabilité sans jeter la pierre à celui ou celle qui me déçoit. Plus facile à dire qu’à vivre bien souvent ! Lorsque nous sommes déçus, nous ressentons que c’est l’autre, les autres qui nous déçoivent et non pas que nous nous sommes trompés dans notre représentation.
Par exemple, je pense que mon amie me connaît suffisamment pour reconnaître mes compétences, ma valeur, mes forces, mais aussi mes manques, mes lacunes ou mes fragilités. Or, sur un point qui pour moi est très important, supposons la reconnaissance de ma place dans une entreprise, en une phrase, elle m’en dénie la légitimité : « ce qu’il faudrait ici, c’est une autre secrétaire », et ce, devant tous mes collègues ! Or, je suis secrétaire…
Imaginez ma déception ! J’entends mon amie dire qu’il faudrait une secrétaire « autre », plus compétente que moi ; mais peut-être que ce qu’elle voulait dire c’est : « il faudrait une secrétaire supplémentaire » ! Comment savoir si ce n’est en clarifiant avec elle, seulement la déception dresse une barrière entre elle et moi, ma colère invalide une quelconque discussion et je reste enfermée sur mes doutes !
Trungpa Rinpoché, un maître bouddhiste tibétain, dit à propos de la déception dans son ouvrage Pratique de la Voie tibétaine[1] : « La déception manifeste que nous sommes fondamentalement intelligents. On ne peut la comparer à rien d’autre ; elle est si nette, précise, évidente et directe. Si nous pouvons nous ouvrir, nous commençons soudain à voir que notre attente n’est pas pertinente, comparée à la réalité des situations que nous affrontons, et automatiquement surgit un sentiment de déception. »
La déception, une porte d’entrée vers plus de clarté, voilà à quoi nous incite cette réflexion. Rencontrer la déception, y voir nos attentes déçues, et réajuster notre regard sur nous-même et sur les autres. L’entraînement sur le chemin bouddhiste nous invite à regarder notre fonctionnement avec bienveillance et développer une plus grande clarté sur nos dysfonctionnements, afin d’aller vers plus de discernement et de générosité.
[1] Éditions Seuil, collection Points Sciences humaines
Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°16 (Hiver 2020)