Un enseignement de Thich Nhât Hanh pendant la retraite francophone de 2011
Thay est le nom sous lequel est connu le maître zen vietnamien dans le monde entier, comme écrivain, enseignant, poète et militant pour la paix. Sagesses Bouddhistes Le Mag vous propose ici un enseignement du maître donné en 2011 lors de la retraite francophone, au Village des Pruniers. Thich Nhât Hanh parle très calmement et doucement pendant toute la durée de son enseignement, un sourire permanent sur le visage, en s’adressant à l’assistance, très attentive à ses paroles. Des rires très doux alternent avec le silence.
Chers amis,
Nous sommes aujourd’hui le 5 mars 2011.
Le 5e mantra, c’est : « Ce moment est un moment de bonheur. » Avec la pleine conscience, on peut toujours faire du moment présent un moment de bonheur. C’est faisable, c’est possible. Avec la pleine conscience, on peut reconnaître les conditions du bonheur qui sont disponibles dans l’ici et maintenant, et cette reconnaissance fait surgir le bonheur. Donc, l’énergie de la pleine conscience est une énergie en or, qui nous permet d’être heureux dans le moment présent. C’est pourquoi on dit toujours que la pleine conscience est la source du bonheur. Et nous savons comment générer cette énergie de pleine conscience.
Où êtes-vous ? Là où vous êtes. N’importe où, vous pouvez générer cette énergie de pleine conscience pour reconnaître les conditions de bonheur qui existent, et dès lors on voit que le moment est digne d’être vécu. Moment après moment, le bonheur est possible.
Autour de la table, dans une cérémonie de thé, dans la voiture, assis sur l’herbe, on peut toujours réciter le 5e mantra : « Cher ami, c’est un moment de bonheur. Le ciel est bleu, la vie est belle. Je suis encore vivant, vous êtes encore vivants. » Il y a tant de choses qui sont positives ! Nous devons pratiquer le 5e mantra, souvent, plusieurs fois dans la journée. En tenant une tasse de thé, quand vous démarrez votre voiture, vous pouvez faire une inspiration et vous pratiquez le mantra avec la pleine conscience — le bonheur, c’est possible, aujourd’hui même, à l’instant même.
« La qualité de votre présence dépend aussi de la qualité de votre respiration et de la détente de votre corps. »
Nous avons déjà appris le 1er mantra : c’est « Je suis là pour toi. » Avec une inspiration dans la pleine conscience, vous amenez votre esprit vers votre corps, vous devenez présent ; et cette présence est un cadeau pour votre personne. « Chéri, je suis là pour toi » : c’est facile... C’est vite fait ! (rires) C’est le cadeau formidable grâce à la pleine conscience : votre propre présence à votre bien-aimé. Il faut le pratiquer souvent, même avec un téléphone ! (sourires) « Chéri, je suis là pour toi » : c’est pour générer votre présence, une présence concentrée, une belle présence. La qualité de votre présence dépend aussi de la qualité de votre respiration et de la détente de votre corps : et ça, ce sont des choses faisables.
2e mantra : « Chéri, je sais que tu es là, et j’en suis très heureux. » Vous êtes présent, et vous confirmez la présence de l’autre. Et vous pouvez utiliser votre portable ! « Chéri, je sais que tu es là », et c’est mon bonheur. C’est si facile à pratiquer. Vous reconnaissez la présence de votre bien-aimé. Qui a dit que la méditation est difficile ? (rires de l’assemblée) Ce n’est pas une corvée, c’est un plaisir que de s’asseoir, de marcher, de pratiquer les mantras. Votre attention, votre pleine conscience sont comme les bras qui embrassent. Embrassés par la pleine conscience, par l’attention, notre bien-aimé éclot comme une fleur. Une personne est assise à côté de vous pendant que vous conduisez la voiture : vous pouvez pratiquer — chéri que je sais que tu es là... à ma droite. (rires) Je suis très heureux !
Le 3e mantra, utilisez-le quand vous remarquez que quelque chose ne va pas bien avec votre bien-aimé. Elle souffre, il souffre. Alors vous pratiquez la respiration conscience pour être vraiment là, et vous venez à lui, ou à elle, et vous pratiquez le 3e mantra : « Chéri, je sais que tu souffres ; c’est pourquoi je suis là pour toi. Je t’offre ma présence » : c’est la chose la plus importante à faire quand votre bien-aimé souffre. Et nous pouvons aussi utiliser notre portable pour le mantra ! (rires) Et vous n’avez pas à réciter le mantra en sanskrit, vous pouvez le dire en français ! (rires qui redoublent) Avant que vous ne puissiez faire quelque chose pour elle ou pour lui, il y a déjà un soulagement, parce que vous êtes là.
Le 4e mantra, c’est le mantra le plus difficile à pratiquer ; mais avec la pleine conscience, avec l’amour dans votre cœur, vous pouvez le pratiquer aisément. C’est dans le cas où vous souffrez et vous pensez que la souffrance a été créée par votre bien-aimé. C’est pourquoi vous souffrez profondément. Alors vous voulez aller dans votre chambre, et pleurer seul... (il marque une longue pause) Et il y a une tendance à punir l’autre personne qui a osé vous faire souffrir, à lui montrer que vous pouvez survivre très bien sans sa présence. Tout le monde a tendance à faire la même chose. C’est la réaction naturelle. Et vous gardez votre douleur, votre souffrance très longtemps à cause de cela. Vous voulez punir votre bien-aimé. La pratique que nous offrons à nos amis au Village des Pruniers c’est de revenir à la respiration, à la marche méditative ; générer la pleine conscience et regarder — peut-être est-ce une perception erronée de votre part ? L’autre personne n’a pas voulu vous faire du mal, vous faire souffrir, mais vous percevez qu’elle a eu cette intention. Alors il faut regarder : peut-être y a-t-il un malentendu. Avec la pleine conscience, la concentration, vous regardez en profondeur dans votre douleur pour voir si ça vient d’une perception erronée, d’un malentendu, ou bien d’un manque d’agilité, de souplesse. Et pendant ce temps-là, vous ne dites rien, vous ne faites rien ; seulement respirer, marcher, regarder en profondeur. Et peut-être que dans quelques minutes, ou dans quelques heures, vous pourrez trouver la cause de votre douleur ; et sortir de cette douleur, de cette souffrance. Mais si 24 heures sont déjà passées, et que la douleur est encore là, alors il y a trois choses que vous pouvez lui dire : soit directement, avec une voix paisible, mais si vous ne parvenez pas à le dire de manière paisible, alors vous pouvez l’écrire sur un bout de papier. « Chéri, je souffre, je suis en colère contre toi, je t’en veux, et je veux que tu le saches. » Dire la vérité, partager la souffrance. Et si vous arrivez à écrire cela, ou à dire cela, vous souffrez moins, tout de suite. Un peu moins, tout du moins. Dites-lui ou écrivez-lui, envoyez-lui un email !
Deuxième chose à dire : « Je suis en train de faire de mon mieux. » Ça veut dire que vous êtes pratiquant, vous n’êtes pas comme les autres quand vous êtes en colère : vous savez ce que vous devez faire et ce que vous ne devez pas faire. Ce que vous êtes en train de faire c’est pratiquer la respiration profonde, la marche méditative et regarder dans la nature de votre colère, de votre souffrance pour comprendre.
La dernière phrase, c’est : « Aide-moi, s’il te plaît. Parce que je peux ne pas aboutir à cette libération, il me faut de l’aide. Et tu es la personne qui peut m’aider. » Vous êtes loyal à ce que vous avez promis : partager les peines, la souffrance et demander de l’aide c’est une chose normale. Et si vous êtes amené à écrire cette troisième phrase, vous souffrez tout de suite beaucoup moins. Je vous assure ! C’est parce que vous avez surmonté votre amour-propre. Vous ne voulez plus punir cette personne. Quand l’autre personne reçoit le message, elle va pratiquer : « Qu’est-ce que j’ai dit, qu’est-ce que j’ai fait ? » Et si elle a trouvé quelque chose, elle va vous répondre, elle va vous envoyer un email (sourire) pour vous aider à sortir de là le plus tôt possible. C’est parce que cette personne vous aime. Et si vous trouvez la solution avant lui ou elle, vous devez l’informer pour qu’il ou elle puisse cesser de s’inquiéter.
Nos amis qui visitent le Village des Pruniers utilisent un morceau de papier, petit, comme un format de carte de crédit (sourire). Et ils écrivent ces trois phrases, puis le mettent dans leur portefeuille. Et quand vous souffrez, et vous pensez que votre souffrance a été créée par votre bien-aimé, alors il faut sortir ce morceau de papier et le lire. C’est le Bouddha dans votre portefeuille ! (rires) C’est le Dharma dans votre portefeuille. Et vous savez exactement ce que vous devez faire et ce que vous ne devez pas faire.
Chéri, je souffre, je veux que tu le saches
Chéri, je suis en train de faire de mon mieux
Chéri, aide-moi
C’est simple. C’est le Dharma. Et ça marche. Ça marche bien.
Les 5 mantras vous ont été transmis et avec cette pratique, on peut se réconcilier, on peut être heureux à chaque moment de la vie quotidienne. Et je pense que l’on peut aussi enseigner cela aux enfants. Quand j’étais en Chine, au Japon, j’ai enseigné aux petits Chinois et aux petites Chinoises, aux petits Japonais et aux petites Japonaises ces mantras-là, surtout les deux premiers. Et ils ont écrit cela en chinois et japonais pour l’apprendre par cœur.
* la cloche retentit *
Dans la vie quotidienne, on s’exprime en pensées, en paroles et en actions. C’est le produit de la vie humaine. Une pensée, c’est déjà une action. C’est pourquoi le Bouddha a recommandé la pratique de l’action juste, de la pensée juste.
La pensée juste, c’est une pensée qui va dans la direction de la non-discrimination, la non-division, dans la direction de l’inter-être. Une pensée juste, c’est une pensée qui va dans la direction de la compréhension et de l’amour, la compassion. Nous pouvons toujours, à chaque instant, avec la pleine conscience, avec la concentration, produire une pensée juste. Cette pensée de compassion, de compréhension, après avoir été produite, commence à guérir votre corps et votre esprit. Et elle commence aussi à guérir le monde. Inversement, une pensée de haine, violente, détruit votre corps, détruit votre esprit et détruit le monde. Donc une pensée de compassion, de réconciliation, de compréhension vous guérit le corps, l’esprit : vous êtes votre propre guérisseur. Si vous pouvez produire des pensées comme cela, et plusieurs fois par jour, rien que la compassion, rien que la réconciliation, alors la colère n’est plus possible avec cette pratique. Comme l’oranger peut produire des fleurs d’oranger, l’homme peut produire des pensées justes, belles, des pensées de compassion. Et c’est notre continuation : les oranges, les graines sont la continuation de l’oranger. Le karma, l’action, c’est notre continuation. Si la pensée est belle, juste, nous aurons une belle continuation... Et c’est pourquoi il faut à tout moment essayer de produire une belle pensée, une pensée juste.
C’est parce que la pensée juste amène la parole juste. On peut toujours dire quelque chose qui réconcilie, qui inspire de la confiance, de la joie. Une parole peut sauver, peut aider. Nous devons être capables de produire des paroles comme cela, plusieurs fois chaque jour, directement par la bouche ou bien par une lettre, un courrier électronique : c’est faisable. Vous avez la générosité en vous. Et cette générosité, cette compassion s’expriment par la parole. Ce que vous dites, c’est aussi l’action, le karma ; c’est votre continuation. Vous continuez par vos pensées et vos paroles, et vous pouvez continuer en beauté.
Si votre action vise à protéger, à soutenir, à sauver, alors c’est une action juste, c’est une bonne action — c’est l’action de la compassion, de la compréhension. Sauvez un insecte. Sauvez une plante. Sauvez un enfant. Sauvez un malade. Sauvez la planète. C’est l’action juste. Vous avez la bonne intention, vous avez l’amour en vous, donc cette action de compassion est toujours possible, plusieurs fois par jour.
Pour que la pensée soit juste, soit bienveillante, compassionnée, pour que la parole et l’acte soient compassionnés, il faut que nous ayons une vue juste. C’est pourquoi dans le bouddhisme la vue juste est la base de toute pensée juste, toute parole juste et toute action juste.
Le chemin recommandé par le Bouddha commence avec la vue juste. Nous pouvons dire tout de suite que c’est une vision profonde où il n’y a plus de discriminations, il n’y a plus de séparations. Par exemple, le corps-esprit, ou la pensée-corps, c’est une chose tout à fait différente de l’esprit. Il y a de la dualité : on se pose la question de savoir si c’est le corps qui fabrique l’esprit ou bien l’esprit qui fabrique le corps ? C’est comme si on se demandait si la gauche a fabriqué la droite, ou si la droite a fabriqué la gauche. C’est absurde ! La gauche n’est pas possible sans la droite, la droite n’est pas possible sans la gauche. Les deux se manifestent ensemble, et on peut voir l’unité dans la gauche et la droite.
David Bohm[1] a parlé de notre implicate order (théorie de l’ordre implicite), qui est à distinguer de l’explicate order. Dans l’ordre explicite, les choses existent les unes séparées des autres : vous êtes en dehors de moi, et le soleil est en dehors de l’arbre. Mais si on regarde en profondeur, vous voyez que la lumière est dans l’arbre. Au début on voit la boue comme une chose distincte et le lotus, une autre chose. En apparence, on les voit comme des opposés : une chose qui est très belle, odorante, et l’autre qui ne sent pas bon. Mais si on regarde en profondeur, on voit le lotus dans la boue, et la boue dans le lotus.
« La méditation vise à voir la réalité, la nature de l’inter-être, la nature de l’interdépendance. »
Dans le bouddhisme, on utilise le mot inter-être : tu es cela, je suis vous, vous êtes en moi et je suis en vous. Vous ne pouvez pas être par vous-même. Il faut inter-être avec tout. Et si vous parvenez à voir les choses comme cela, vous avez la vue juste : il n’y a plus de gauche ni de droite, il n’y a plus de discriminations, plus de nord ni de sud, de noir ou de blanc. La gauche n’est pas l’ennemie de la droite. Vous êtes ensemble. Et si on a cette vision profonde, la guerre et la division ne sont plus possibles. Et la méditation vise à voir la réalité, la nature de l’inter-être, la nature de l’interdépendance.
Donc, une pensée juste, c’est une pensée qui se base sur la vue juste ; et c’est pourquoi la compréhension profonde et la compassion deviennent possibles.
Et en se basant sur la vue juste, il y a la parole juste. Une parole juste ne fait pas de discrimination. Elle produit seulement la réconciliation, l’harmonie, la compassion.
Et puis il y a l’action juste effectuée par le corps, qui vise à réconcilier, à sauver, à protéger. Dans l’enseignement du Bouddha, la pensée, la parole et l’action justes se basent sur la vue juste. Et la vue juste c’est le produit de la méditation, une vision profonde.
Quand la pleine conscience et la concentration sont fortes, alors il y a une percée dans la réalité, une vision profonde de la réalité est obtenue : c’est la vue juste, la prajna. Et ce qui nous sauve ici, c’est la connaissance, la sagesse, la vision profonde. Et l’on peut très bien décrire cette vision profonde comme une grâce, la grâce de la compréhension qui nous libère.
Il y a un autre facteur qui s’appelle les « moyens d’existence justes ». C’est un métier, une occupation qui nous aide à exprimer notre amour, notre compassion, notre compréhension à travers la pensée, la parole et l’action. Et si vous avez un métier qui vous aide tous les jours en termes de compassion et de compréhension, vous êtes une personne heureuse. Et même si on a un salaire plus modeste, et que l’on peut pratiquer comme cela, alors le bonheur sera beaucoup plus grand. C’est le chemin proposé par le Bouddha. La pensée juste, la parole juste, l’action juste, les moyens d’existence justes, la pleine conscience, la concentration nourrissent, enrichissent toujours la vision profonde.
La vision profonde devient plus profonde, tout le temps, avec la pratique du chemin octuple. C’est un chemin qui mène à la cessation de la souffrance. C’est un chemin qui mène au bonheur véritable. C’est la quatrième vérité noble : la voie, le chemin qui mènent à la cessation de la souffrance. La cessation de la souffrance veut dire la présence du bonheur. Si vous enlevez l’ignorance, alors quelque chose va remplacer l’ignorance : c’est la connaissance. Si vous enlevez les ténèbres, ce qui reste c’est la lumière. Donc il faut comprendre cette troisième vérité noble : la cessation de la souffrance veut dire la présence du bonheur. Je pense que pour la jeunesse d’aujourd’hui, il vaut mieux utiliser les termes « présence » et « bonheur » plutôt que « cessation de la souffrance ».
Partager la pratique avec votre bien-aimé est une chose possible : si vous mettez en pratique l’enseignement du Bouddha, vous devenez une personne heureuse, ouverte, aimante — et avec tout cela vous pouvez très bien et habilement aider votre bien-aimé à suivre le chemin. Vous n’avez pas à faire de sermons pour le convertir : votre manière de vivre montre la voie, et l’autre personne va vous suivre — elle aussi veut aller dans la direction du bonheur, de la fraternité.
Comme nous avons pratiqué ensemble le regard profond, nous voyons déjà que rien ne peut être par soi-même ; et tout doit être avec toute autre chose. C’est notre vision. Regardez une fleur : est-ce que cette fleur peut être là par elle-même ? Non. S’il n’y a pas de soleil, de pluie, de terre, est-ce possible pour elle de se manifester pour être ? Si on enlève le soleil, la pluie, la terre, il n’y a plus de fleur. Il est donc vrai que la fleur ne peut pas être par elle-même, elle doit inter-être avec le soleil et le nuage. Le verbe inter-être est beaucoup plus proche de la réalité que le verbe être. « Être » c’est une perception erronée. C’est une notion couplée avec une autre notion, le non-être ; et on a peur du non-être. À cause de l’être, le non-être est là et c’est la cause de cette peur.
Selon le Bouddha, être et non-être ne sont que des idées, une notion de notion qui existent seulement dans notre tête. Dans la réalité, il n’y a ni être ni non-être. La méditation consiste à regarder en profondeur pour pouvoir percer ce rideau et parvenir à la vue inter-être. Il n’y a plus de discrimination, les choses inter-sont. La science moderne, la mécanique quantique a commencé à utiliser des expressions comme la « superposition », mais le mot inter-être est bien meilleur (rires) ! La superposition... la non-localité... Ici et là, ce sont des choses différentes, et dans la lumière de l’inter-être, l’ici contient le là et le là contient l’ici. La science moderne a utilisé la non-localité, la superposition, et c’est approchant. Donc nous n’avons pas besoin d’instruments sophistiqués, nous n’avons pas besoin d’accélérateurs qui coûtent cher ; nous avons besoin seulement de la pleine conscience et de la concentration pour pouvoir voir. L’instrument le plus important, c’est notre esprit
À partir de l’être et du non-être, on parvient à voir la réalité de l’inter-être. Et finalement on entre dans la dimension appelée ultime : c’est le nirvana. Mais le méditant regarde plus profondément et peut toucher la dimension ultime en même temps que la dimension historique : c’est la même chose, comme la vague et l’eau. Quand on touche la vague, on touche l’eau. Et quand la vague s’élève, il y a de la joie, la jeunesse. Mais quand la vague commence à retomber, il y a de la peur, la peur du non-être, de la fin. La vague vit dans la dimension historique mais nous savons très bien qu’elle peut vivre aussi dans la dimension ultime : si la vague se penche sur elle-même et découvre qu’elle est l’eau, alors toute peur sera dissipée. La montée est joyeuse, la descente est aussi joyeuse, une fois que vous réalisez que vous êtes l’eau. Il est donc possible de vivre votre vie comme une vague et comme eau en même temps : c’est la vie du pratiquant. Le pratiquant dort la nuit, il travaille le jour, comme tout le monde, mais il touche en profondeur cette réalité ; il touche la dimension ultime et découvre que la naissance et la mort n’existent pas vraiment. Comme l’être et le non-être : ça n’existe pas.
Le nuage que vous voyez au ciel, vous vous dites qu’avant sa manifestation en tant que nuage, qu’il n’a pas existé : ce n’est pas vrai. Dans sa vie antérieure, le nuage a été chaleur, il a été eau dans l’océan : c’est une nouvelle manifestation.
* cloche *
« Le nirvana c’est le rafraîchissement, l’absence du feu qui nous brûle. »
Nirvana, nibbana : le mot vient du langage quotidien des paysans — c’est à propos de la cuisine. Jadis, on cuisinait avec le bois, la paille, les feuilles. Quand le feu n’est pas encore éteint, on risque de se brûler les doigts si l’on touche les cendres. Nirvana veut dire tout d’abord que le feu est éteint, qu’il n’y a plus de brûlure possible. Ce qui nous brûle, c’est la colère, la discrimination, l’angoisse, la peur — ce sont des afflictions qui nous brûlent. C’est l’ignorance qui nous brûle. Le nirvana c’est l’état d’extinction de toutes ces choses-là. Le nirvana c’est le rafraîchissement, l’absence du feu qui nous brûle. Je pense que le mot « fraîcheur » peut traduire le mot nirvana.
Quand nous parvenons à éliminer toutes les notions d’être/ non-être, naissance/ mort, etc., alors la peur, l’angoisse ne sont plus là ; et nous avons la liberté dans la dimension ultime qu’est le nirvana. Le nirvana, ce n’est pas une chose qui appartient au futur : le nirvana c’est maintenant, c’est ici même : c’est parce que la vague n’a pas à courir vers le futur pour chercher l’eau — elle est l’eau ! Vous êtes nirvanisés depuis très longtemps ! (rires) Avec l’instrument de la pleine conscience, la concentration, on peut vivre de telle sorte qu’on peut entrer en contact plus profond avec la réalité. La vision profonde, la vue juste est essentielle, et c’est le but du pratiquant de la méditation. Si vous avez cette énergie de pleine conscience, de concentration, de vue juste, il y a de la transformation, la guérison, le bonheur, tout de suite. Et cela ne vient pas d’ailleurs, mais de nous-mêmes. L’énergie de la pleine conscience : elle vous fait être là, concentrés, pour entrer en contact avec les merveilles de la vie. Et si vous continuez, vous pouvez contacter en profondeur ce qui est là. Et si vous êtes habités par cette paix, par cette non-peur, alors vous êtes libres et vous vous voulez naturellement partager pour aider beaucoup de personnes à faire la même chose.
En tant que pratiquants, vous avez cet esprit d’amour, bodhicitta, ce vœu, cette énergie. L’amour, c’est une énergie : vous voulez aider les gens à souffrir moins, vous voulez préserver cette planète. C’est de l’amour. Et vous savez très bien qu’en exprimant cet amour vous pouvez bâtir une sangha. Vivre l’amour, vivre la compréhension, c’est la seule manière pour réaliser votre vœu, votre intention.
[1] David Joseph Bohm est un physicien américain qui a réalisé d'importantes contributions en physique quantique, physique théorique, philosophie et neuropsychologie.
Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°20 (Hiver 2021/22)
Thich Nhât Hanh (1926-2022) est le nom sous lequel est connu le maître zen vietnamien dans le monde entier, comme écrivain, enseignant, poète et militant pour la paix. « Thay » est le mot vietnamien informel pour « enseignant » et le nom sous lequel il est connu affectueusement de ses étudiants.
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