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L’amour maternel

  • Photo du rédacteur: Sagesses Bouddhistes
    Sagesses Bouddhistes
  • 30 oct. 2024
  • 4 min de lecture

Shundo Aoyama décrit et commente le récit du poète Sumita Oyama confronté à un épisode très déterminant de sa vie.

« Bien que j’aie grandi sous ces bons auspices, je n’arrivais pas à être en paix avec moi-même jusqu’à 30 ans, tant du point de vue philosophique que du point de vue religieux. Ce n’est que vers trente-quatre, trente-cinq ans que j’ai vraiment compris l’amour de ma mère qui reflétait l’esprit du Bouddha. À cette époque j’étais employé par les Télécommunications à Hiroshima et j’avais pour tâche la formation des employés. Un jour je reçus de ma famille un télégramme qui disait : "Maman inconsciente. Reviens aussitôt que possible." Il n’y a aucune nouvelle plus douloureuse pour celui qui vit loin de chez lui. Je fis en sorte de distribuer mon travail entre quelques collègues, et je réussis à me mettre en route alors que la nuit était déjà avancée. J’ai manqué le dernier train et j’ai dû me précipiter au quai d’embarquement des ferry-boats.  J’ai mis toute la nuit pour atteindre, finalement au matin, le portail de la maison familiale. Je remarquai dans l’herbe de petites fleurs pourpres qui semblaient avoir été apportées là par un rayon de lune. Notre vieux médecin de famille sortait précisément de la maison et marcha sur les petites fleurs qu’il n’avait pas vues dans sa préoccupation. Je lui demandai avec agitation : "Comment va ma mère ?" Il me répondit : "Elle a eu une attaque cardiaque. Malgré mes soins immédiats elle est encore dans le coma. Dépêchez-vous d’aller la rejoindre !"

Je me précipitai à son chevet. Assis près de son oreiller, je l’appelai encore et encore, mais seule sa respiration sifflante se faisait entendre. Mon père la veillait constamment. Il me dit de ne pas la toucher. Je me mis pourtant plus près d’elle et ne la quittai pas des yeux. La chaleur de son corps fiévreux m’enveloppa. J’eus alors le souvenir de toutes les fois où je m’étais opposé à elle et où je l’avais fait souffrir. Je suis resté assis à son côté sans penser à manger ou à dormir, priant de tout mon cœur dans l’attente qu’elle rouvre les yeux.

La nuit suivante, alors que l’horloge sonnait neuf heures, ma mère reprit conscience. Lorsqu’elle me vit étendu près d’elle, elle appela ma femme qui nous avait rejoints entre-temps, et elle lui dit d’une voix faible : "L’épaule de Sumita... est découverte...  S’il vous plaît... allez prendre... une couverture... supplémentaire." En entendant ces mots, je fondis en larmes. J’étais gêné de pleurer comme un enfant devant tous ces gens, et j’enfouis ma tête pour étouffer mes sanglots. Pendant tout ce temps la question avait été de savoir si elle allait surmonter sa crise cardiaque et sortir de sa longue inconscience ou si elle allait mourir sans avoir repris connaissance. Et lorsqu’elle a eu repris conscience, cette femme qui était ma mère n’a pas pensé à sa maladie, mais sa première préoccupation a été pour moi qui éclatais de santé. Tout se résolut pour moi lorsque je pris conscience de son amour profond et altruiste pour moi. À partir de ce moment, ma vie ne fut plus un problème pour moi. Je savais ce que j’avais à faire. Si je n’étais pas accouru au chevet de ma mère, et sans cette expérience, j’aurais sans doute continué à vivre sans comprendre son amour pour moi. Je souffre encore au souvenir de sa maladie, mais c’est grâce à elle que j’ai pu réaliser la grande compassion de Bouddha. Je suis content que Bouddha ait révélé ses intentions en ce qui me concerne à travers cette maladie de ma mère. »

C’était en 1969 que M. Oyama nous a raconté ses souvenirs de sa mère. La plupart des cent personnes qui l’avaient suivi avec attention étaient au bord des larmes. Nous pensions tous à notre propre mère. Certains avaient dû penser qu’ils avaient une bonne mère, comme celle d’Oyama. D’autres se sentaient misérables car ils n’arrivaient pas à respecter la leur. Une grande diversité de personnes qui avaient une grande variété de souvenirs avaient entendu ce récit.

La première personne que l’enfant à peine né accepte avec son corps et son cœur encore purs, c’est sa mère. Celle qui lui est toujours le plus près physiquement pendant sa croissance, c’est encore sa mère. Il y a un proverbe japonais qui dit : « Ce qui est instillé à l’âge de trois ans reste dans la mémoire jusqu’à cent ans. » Comme c’est avant tout de sa mère qu’un enfant de trois ans apprend, une mère joyeuse élèvera un enfant joyeux, une mère peureuse élèvera un enfant peureux, une mère colérique élèvera un enfant au caractère difficile. [..] C’est une grande erreur de penser qu’un aussi petit enfant ne comprend rien parce qu’il est à peine né. Chaque parole prononcée par une mère désintéressée, chaque geste inattentif aux besoins de l’enfant, sont absorbés par le corps et l’esprit du petit enfant comme l’est l’encre par le papier buvard. Chacun de nos actes, bon ou mauvais, sera un élément de la croissance de l’enfant.

Gardant cette pensée à l’esprit, une mère doit vivre sa vie avec respect et conscience. Un enfant élevé par une bonne mère, s’il s’agit d’un garçon, sera plus tard un brave mari attentionné et amoureux de sa femme, et aussi un père qui sera un bon compagnon et un exemple valable pour son fils. S’il s’agit d’une fille, elle deviendra à son tour une mère attentive qui saura élever un enfant aux saines dispositions. De cette manière, le cœur d’une mère se révèle au cours des générations. La vie d’une mère ne se limite pas à sa propre existence. Elle est le point de départ d’une vie qui se déploie dans le futur infini. Le contraire est vrai aussi. Si, par exemple, un verre d’eau sale est versé dans la source d’une rivière, sa saleté restera dans l’eau en suivant le cours de la rivière et finira même dans la mer. Consciente de cela, chaque mère devrait s’efforcer sans cesse d’être la meilleure mère pour son enfant en étant attentive à ses paroles, à son comportement et à ses pensées.



Extrait de Le zen et la vie, copyright Éditions Sully, 2008, traduit de l’anglais par Martine Senrin Haegel-Huck

 





Shundo Aoyama, abbesse du monastère zen Soto de formation pour les nonnes, à Nagoya, est l’un des maîtres zen les plus éminents du Japon.

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