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L’amour dans le zen Sôtô

  • Photo du rédacteur: Sagesses Bouddhistes
    Sagesses Bouddhistes
  • 30 oct. 2024
  • 5 min de lecture

Si le terme « amour » est assez rarement employé dans l’école zen, l’amour n’en est pas moins présent dans les représentations et les enseignements de l’école.

C’est ainsi que l’on trouve dans les temples zen des statues de Kannon, le bodhisattva de la compassion Avalokiteshvara. Les moines zen lui dédient des cérémonies, notamment en chantant le Kannongyô, un extrait du Sûtra du Lotus qui énumère les situations difficiles dans lesquelles on peut demander l’aide de Kannon. Ce bodhisattva prend des traits féminins en Chine et au Japon et est parfois assimilé à la Vierge Marie : on l’appelle alors Maria Kannon, ce qui en fait une figure maternelle et aimante.

Dans le Tenzokyokun, les « Instructions au cuisinier zen », maître Dôgen parle de l’« esprit parental », ou « esprit de la grand-mère », qui veille sur les êtres comme s’ils étaient ses propres petits-enfants, tantôt avec douceur, tantôt avec sévérité, mais toujours avec bienveillance, avec amour. C’est  l’un des trois aspects de l’esprit des responsables de temple : l’esprit joyeux, l’esprit parental et l’esprit vaste.

L’expression aigo (priyavacana) est un terme bouddhique ancien, dont l’origine remonte à l’Inde, et que l’on retrouve dans le Bodaisatta Shishôbo de maître Dôgen. Aigo signifie littéralement « paroles gentilles, aimables, affectueuses », on peut aussi le traduire par « paroles aimantes, paroles d’amour ».  Ce texte, le Bodaisatta Shishôbo, qui signifie « Les Quatre Méthodes bénéfiques du bodhisattva », est un chapitre de l’œuvre maîtresse de maître Dôgen, le Shôbôgenzô, étudié par les religieux et les philosophes. On retrouve aussi ce thème dans le Shushôgi, destiné aux laïcs. Ce dernier texte, beaucoup plus répandu dans la société laïque japonaise que le Shôbôgenzô, est composé d’extraits « abordables » de ce dernier. La quatrième section (sur cinq) s’intitule « Faire le vœu de bénéficier à tous les êtres ». La plus grande partie de cette section est une citation directe des « Quatre Méthodes bénéfiques du bodhisattva ».  C’est grâce à ce texte que les Japonais entrent en contact avec l’enseignement de maître Dôgen sur les « paroles aimantes » ou les « mots d’amour ».


Bodaisatta Shishôbo, « Les quatre méthodes bénéfiques du bodhisattva »

  • La première est le don, la générosité, qui est aussi la première paramita, la première vertu du bodhisattva.

  • La deuxième est la parole aimante, la parole d’amour, aigo. Ai signifie amour et go, paroles.

  • La troisième est la pratique altruiste.

  • La quatrième est l’accord, la coopération, l’harmonie.


Revenons à la parole aimante. Voici ce que nous en dit maître Dôgen :

« La parole d’amour signifie avoir un cœur plein de tendresse et d’amour en regardant les êtres, et leur adresser une parole aimante et bienveillante. Jamais de parole violente ni malveillante. Dans le monde profane, la politesse est de prendre des nouvelles les uns des autres. Dans la Voie du Bouddha, on exhorte les êtres à prendre soin d’eux-mêmes. Il existe une pratique filiale où l’on demande à l’autre comment il va (« Comment allez-vous ? »). La parole d’amour consiste à parler avec cette pensée à l’esprit : le Bouddha porte les êtres en son cœur comme s’ils étaient ses enfants.

Louez ceux qui ont de la vertu ; plaignez ceux qui n’en ont pas. À partir du moment où nous aimons les paroles aimantes, les paroles d’amour, les paroles aimantes se répandent progressivement. C’est ainsi qu’apparaissent les paroles aimantes que nous ne reconnaissions pas et ne remarquions pas d’ordinaire. Tant que dure notre vie, utilisons volontiers des paroles aimantes ; d’âge en âge et de vie en vie, nous n’y renoncerons pas.

Les paroles aimantes sont essentielles pour faire rendre les armes aux ennemis et créer l’harmonie entre les vertueux.

Entendre des paroles aimantes face à face rend le visage joyeux et le cœur heureux ; entendre des paroles aimantes par l’intermédiaire de quelqu’un les grave indirectement dans notre être, les grave dans notre esprit.

Sachez-le : les paroles aimantes naissent d’un cœur aimant, et un cœur aimant représente la graine d’un cœur compatissant.

Étudiez-le : les paroles aimantes ont le pouvoir de renverser les cieux. »

 

Dans l’Octuple Sentier, il est question de la parole juste. La parole peut blesser, comme elle peut guérir. Les paroles aimantes se répandent et engendrent à leur tour des paroles aimantes. Elles rendent le cœur joyeux et les visages s’épanouissent. Inconsciemment on en est imprégné, transformé. Et à son tour on n’a de cesse d’utiliser ces paroles aimantes, tout au long de notre vie. Renverser les cieux signifie que les paroles aimantes ont le pouvoir de transformer les situations difficiles, conflictuelles. Cette expression montre à quel point les paroles aimantes sont primordiales aujourd’hui, chez tous les êtres humains qui composent nos sociétés, bien loin des paroles malintentionnées, haineuses, des rumeurs, parfois déversées dans les médias ou sur certains réseaux sociaux, où la haine et la colère (deux des trois poisons) prolifèrent. Entendre ces paroles aimantes directement fait du bien et réchauffe le cœur. Et aussi d’entendre dire que des gens ont proféré des paroles aimantes à notre égard en notre absence. La parole aimante met du baume au cœur. Les paroles d’amour naissent d’un cœur aimant et sont la graine d’un esprit compatissant. 

Les paroles aimantes, aigo, signifient que lorsqu’on rencontre les êtres on éprouve de la bienveillance à leur égard et on s’adresse à eux affectueusement.  On n’est ni rude ni violent, on ne s’exprime pas avec haine, mépris, on n’est pas revendicatif. C’est-à-dire que l’on considère tous les êtres comme ses propres enfants. On tient compte d’autrui et on pense à autrui avant tout ; comme le bodhisattva qui veut faire passer les êtres sur l’autre rive avant lui.

On l’exprime par des paroles droites, pures et respectueuses. Ces paroles bienveillantes sont comme l’eau que l’on verse sur les fleurs et qui leur permet de s’épanouir.

Ces paroles naissent d’un esprit compatissant et tendent à créer l’harmonie. « Nous devons savoir que les paroles aimantes ont le pouvoir de renverser les cieux » et, grâce à leur vertu communicative, de transformer une société en prise aux conflits en un monde paisible où il fait bon vivre en menant une vie altruiste et en agissant en accord avec autrui.



Ordonnée nonne en 1971 par maître Taisen Deshimaru, Katia Kôren Robel travaille dans les années qui suivent notamment à la publication des textes du maître. En 1982, elle commence à enseigner au Dojo Zen de Paris, puis au temple zen de la Gendronnière et dans des retraites (sesshin) en France et en Europe. En 2003, elle reçoit la transmission du Dharma (shiho) de l’abbé de Sôjiji Shinzan Egawa et devient enseignante certifiée (kyoshi) de l’école Sôtô japonaise. Présidente de l’Association Zen Sôtô, elle enseigne principalement au temple de Myô-Unji en Bourgogne et à Paris.

 

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