Les principes de zazen de maître Dōgen
2ème partie *
Zazen doit entraîner la pensée humaine dans la direction du Bouddha, de l’ordre cosmique. La posture de zazen est semblable à la posture allongée du lion, au rugissement du dragon. Elle est digne du plus haut respect.
Que vous soyez assis, debout ou couché, vous devez ressembler au roi des lions, qui demeure totalement libre et fort, brave et sans peur ; si des personnes regardent votre posture, celle-ci doit être telle qu’elles ne peuvent s’approcher tant il en émane de dignité.
Rejetez d’un seul coup toute pensée et tout savoir, et pratiquez shikantaza, seulement s’asseoir en zazen, en abandonnant tout, vous vous familiariserez peu à peu avec le satori[1]. Vous atteindrez alors la Voie en utilisant votre corps de façon appropriée, tout spécialement en vous asseyant.
Les hommes qui désirent le satori issu d’une connaissance limitée et sélective doutent de la sagesse suprême du Bouddha, issue d’une conscience cosmique illimitée. Ainsi, si vous ne croyez pas à cette suprême sagesse, vous serez prisonnier de votre moi conscient et endurerez des douleurs sempiternelles. Le cœur doit se laisser emporter par la foi, se confier naturellement, inconsciemment au cerveau central plutôt que de s’accrocher au moi conscient. Notre esprit contient tout le cosmos.
Moi et les autres ne sommes pas séparés dans le monde de la vérité.
Aucune trace de dualisme n’existe là : phénomène et essence sont mutuellement antécédents l’un à l’autre et s’emboîtent parfaitement. Quand l’esprit ne demeure sur rien, le véritable esprit apparaît.
Dans la plupart des méditations et des religions, que ce soit l’hindouisme, le yoga en Inde, le bouddhisme tibétain, le christianisme, ou même certaines formes de zen, les adeptes, maîtres et disciples se sont toujours efforcés de détruire leurs illusions, et de demeurer sur la non-pensée, de détruire leur esprit erroné, et de rester sur le non-esprit, de tuer l’activité vivante en eux, et de stagner dans un état de non-vivant, de non-activité. De même qu’ils ont voulu tuer l’aspect, et jouer avec le non-aspect. C’est pourquoi ce genre de méditations a toujours affaibli la plupart des religions et ceux qui les pratiquent.
Le vrai zazen est comme le miroir qui reflète toutes les formes, tous les phénomènes, ainsi votre esprit devient complètement clair. À mesure que votre esprit sombre, kontin[2] vous précipite dans les abysses du démon du sommeil, et quand votre esprit flotte, sanran[3] vous enfonce dans les abîmes du démon de la confusion. Aussi pendant zazen, vous devez prendre garde aux deux démons de kontin et sanran, assoupissement et exaltation. Mais si vous vivez au centre du palais lumineux de la tranquillité cosmique, sanran s’apaise de lui-même de par cette tranquillité parfaite. Alors votre esprit devient complètement calme même en présence de sanran.
De même le démon de kontin se calme par la méthode d’observation de votre propre lumière, et vous pouvez devenir totalement cette lumière, même avec l’existence de kontin.
Donc vous devez observer kontin pendant zazen et devenir lumineux avec kontin ; et vous devez arrêter sanranpendant zazen, et devenir calme avec sanran. C’est pareil à un sanglier qui a découvert une mine d’or ou au vent qui répand au loin le parfum des fleurs odorantes, inconsciemment.
Dans le véritable esprit spirituel, il n’y a pas d’illusion.
Si nous pouvons jouir de la véritable et parfaite clarté de l’esprit, le nuage blanc et la montagne bleue, eux-mêmes, se transforment en ombre dans notre pensée unique, et la brume sur la forêt de pins ou la neige recouvrant la forêt de bambou se transforment aussi en ombre dans notre pensée unique. Alors, nous pouvons pêcher la lune et labourer le nuage.
À ce moment-là, comme le mérite infiniment grand de zazen se réalise, nous pouvons faire entrer le cosmos dans une graine de pavot, ou l’océan dans un pore de la peau, et changer la terre de l’enfer en terre de paradis, inconsciemment, naturellement, automatiquement. S’il vous plaît, mes chers disciples, vous devez considérer que notre vie est aussi vaine et éphémère que la goutte de rosée sur l’herbe au matin, et que notre destinée est aussi impermanente que le rêve ou l’illusion, que la bulle ou l’ombre.
Quand une goutte d’eau tombe dans l’océan,
Elle devient l’océan.
Quand un grain de poussière tombe sur la terre,
Il devient la terre entière.
Quand quelqu’un atteint le calme de zazen,
Il devient le cosmos entier.
Le vrai Zen, ce n’est pas courir pour attraper la Voie, mais être attrapé par la Voie. Le vrai Zen est éveil, métamorphose ; ce n’est pas un satori personnel. Le Sûtra du nirvana relate ces paroles que prononça le Bouddha lorsqu’il obtint le satori sous l’arbre de la Bodhi : Moi et tous les êtres vivants avons ensemble réalisé la Voie.
Ne pratiquez pas le Dharma du Bouddha, ne pratiquez pas zazen pour votre profit, dans un but utilitaire, pour des honneurs, des mérites, pour rechercher des bienfaits, des miracles, mais seulement le Dharma du Bouddha. Shikantaza est la plus haute, la plus grande et pure dimension du corps et de l’esprit de l’homme.
Le Zen de Dōgen n’est pas le souhait de devenir plus qu’humain, un être spécial, Bouddha ou Dieu. Ce n’est pas non plus l’espoir d’avoir la vision de la vacuité ni de faire des miracles. C’est revenir à la condition normale de l’esprit humain.
La pratique de zazen apporte la paix intérieure. De plus, votre zazen influence toute l’humanité, tout le cosmos.
Zazen est un jeu, le plus grand de tous. Seuls ceux qui l’ont compris continuent à pratiquer.
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(*) La première partie de Fukanzazengi, Les principes de zazen de maître Dogen est parue dans Les Cahiers de méditation de Sagesses bouddhistes n° 7
[1] Compréhension directe
[2] Du japonais kon, sombrer et tin, obscurité
[3] Du japonais san, dispersion et ran, confusion
Extrait de L’Anneau de la voie, l’essence d’un enseignement zen, paru aux Éditions du Relié
Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°9 (Hiver 2019)
Taisen Deshimaru (1914-1982), appelé également Mokudō Taisen, est un maître bouddhiste zen japonais de l’école Sōtō et l’un des principaux introducteurs du zen en Occident. Il est le fondateur et l’inspirateur de nombreux dojos et groupes zen en Europe.