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Faire et ne pas faire

Par Kankyo


Le tri sélectif n’est pas le même en France et en Allemagne. Ce serait trop simple. Nos amis d’outre-Rhin ont porté la discipline à son apogée : plastique, compost, tout-venant, papier… Les poubelles se multiplient, de toutes les couleurs, avec une perfection à laquelle seul — peut-être — le Japon pourrait faire concurrence (j’avais compté à l’époque, avec stupeur, une quinzaine de poubelles différentes dans les caves d’un monastère de Nagoya).


En France aussi, nous trions. Mais pas comme en Allemagne. Et, lors de nos retraites franco-allemandes (en Alsace), c’est un challenge. Ou, pour le formuler en termes bouddhistes, c’est une belle occasion de pratique. Ce matin, la responsable déchetterie vient me voir d’un air affligé : « C’est le bazar complet dans les poubelles ! » Elle affiche un visage désespéré, aussi chiffonné que ces papiers atterris — par hasard — dans la poubelle « normale ». Je compatis. En effet, à la cave, c’est la chienlit, le chaos, le souk : une poule n’y retrouverait pas ses petits. Par solidarité, j’arbore le même visage que ma collègue, et nous commençons à réparer les dégâts. Le plastique, le papier, les conserves dans le bac jaune. Le verre dans le bac « vert ». Le compost, dans le bac noir. Et tout le reste dans le bac «  orange ». C’est pourtant simple ! Oui… mais non. Car les plastiques ne se trient pas de la même façon en Allemagne, ni les UHT, ni tout un tas d’autres objets qui finissent donc régulièrement dans la mauvaise poubelle. 


Devant cet état de fait et au bout de vingt ans de réflexions intensives (j’ai été pour la première fois responsable « poubelles » en 2001) il m’est apparu trois solutions que je livre telles quelles à ma petite collègue. Choix numéro un : pester, râler, prendre les autres à témoin, coller des affiches avec points d’exclamation : « Un peu de respect !!! », remettre chaque semaine le thème à la réunion d’organisation du monastère. Choix numéro deux : avec compassion, abnégation et patience tenter d’éduquer l’autre à la pratique de la concentration : « Tu vois, si tu fais un mètre de plus, il y a une poubelle de couleur jaune où tu peux jeter ton papier. En plus ça fera un peu de sport, c’est bon pour la santé et, à chaque fois que tu fais ce petit effort, c’est un pas de plus vers la Pleine Conscience de tes actes quotidiens. Om… » Comme vous l’avez pressenti, ces deux choix sont discutables, voire complètement inefficaces. Le premier a pour effet garanti de nous mettre à dos toute la communauté, voire d’encourager les comportements de résistance. Le côté « prof » légèrement condescendant du second choix est de nature à agacer le plus flegmatique des retraitants.


Alors que faire ? Et si la solution était paradoxalement dans le non-faire ? Passer régulièrement à la cave pour réparer les dégâts — toute seule sans râler —, tenir les poubelles propres et bien rangées, coller quelques affichettes sympathiques avec des smileys, encourager plutôt que menacer. Un non-faire sous forme d’évolution intérieure : de celles qui permettent de continuer à exercer sa responsabilité sans être atteinte personnellement par les actes des autres. Un non-faire qui ose ôter de sa tête ce Rêve inatteignable, ce Graal, cette Utopie merveilleuse et illusoire : un jour, les poubelles seront bien triées.


Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°15 (Automne 2020)

 


Kankyo Tannier est nonne de la tradition zen Sôtô et auteure du blog www.dailyzen.fr. Elle pratique depuis une quinzaine d’années dans un monastère en Alsace.

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