Par Joseph Goldstein
Traduction : Jeanne Schut
En méditation, les peurs qui apparaissent sont généralement chargées d’aversion et néfastes. Alors, nous nous posons la question : « Ai-je la force de rester présent à ces sentiments et ces sensations et d’agir en dépit de la peur qu’ils m’inspirent ? Est-ce que je me sens prêt à le faire ? » C’est possible quand on reconnaît que la peur est présente mais aussi qu’il est acceptable qu’elle soit là, de sorte qu’on n’en a pas peur, on ne la combat pas. On la voit simplement comme un état d’esprit et il n’y a pas de raison pour que celui-ci limite notre vie.
On peut s’exercer à cela en jouant avec ses propres limites. Par exemple, en prenant une résolution comme : « Je vais m’asseoir une heure et je ne bougerai pas d’un pouce pendant tout ce temps. » Il faut avoir ce type de détermination. Voir ce qui se passe et travailler avec tout ce qui se présente. Si une heure c’est trop long, faites-le une demi-heure, ça n’a pas d’importance. L’important est de s’en tenir à sa résolution.
Même chose avec le sommeil. Combien de fois allons-nous nous coucher, pas parce que nous avons sommeil mais parce que nous avons peur d’être fatigués le lendemain ? C’est encore une peur. Explorons nos limites !
Et puis apprenons aussi à reconnaître le moment où il faut lâcher, faire un peu machine arrière, quand nous sentons que la peur est trop grande et que l’énergie et la force actuelles ne suffisent pas pour l’accueillir et l’observer en paix. Pas de problème. Il y aura d’autres occasions.
Voici la réponse du Dalaï-Lama à une personne qui lui demandait comment gérer des peurs profondes : « Si vous avez des peurs, des douleurs ou si vous souffrez, voyez si vous pouvez y faire quelque chose. Si vous pouvez, il n’y a pas de raison de vous inquiéter. Si vous ne pouvez pas, il n’y a pas non plus de raison de vous inquiéter. »
Lâcher toutes les attentes, toutes les projections. Il s’agit simplement d’être avec ce qui se passe dans l’instant. Quand la situation est dure, quand on doit se battre, c’est parfois la meilleure occasion d’ouvrir les yeux. Si c’est tellement difficile, c’est justement parce que l’on est au bord de quelque chose, parce qu’on a atteint la limite de ce que l’on est prêt à voir. Pourquoi nous débattre ? Parce qu’il se passe quelque chose que nous ne voulons pas ressentir, que nous ne voulons pas accueillir, accepter. Il peut s’agit d’une douleur, d’un malaise, d’une agitation, de l’ennui, d’une émotion intense. Si vous sentez que vous vous battez contre ce qui se présente, voyez cela comme un signal. C’est précisément le moment de prendre un peu de recul et de considérer la situation : que se passe-t-il ? Y a-t-il une peur ici qui m’empêche de m’ouvrir ?
Ce qui peut nous aider le plus quand on travaille avec la peur, c’est notre capacité à nous abandonner au Dhamma. Ce processus d’ouverture de l’esprit et du corps contient une sagesse qui va bien au-delà de l’intelligence qui passe par notre mental. Pouvons-nous nous y abandonner ? Pouvons-nous poser notre attention juste au moment où la peur apparaît et puis nous abandonner ? Laisser le processus se dérouler de lui-même.
Investiguer en profondeur la nature essentiellement vide de la peur. Ce n’est qu’un état d’esprit qui apparaît parce que certaines conditions sont réunies. Quand les conditions changent, la peur change. L’un des dangers de la peur, c’est la mauvaise compréhension, l’interprétation, quand on commence à créer le concept : « Je suis quelqu’un qui a des peurs. » On crée une image : « Il y a toute cette peur et, d’une manière ou d’une autre, il faut que je la traverse même si je dois passer les vingt prochaines années en thérapie pour trouver tous les ‘pourquoi’ et les ‘comment’… » Inutile. Si on peut observer de près et voir que la peur, comme tout le reste, est un phénomène qui apparaît puis disparaît, qui n’appartient à personne… dans cet instant de vision claire, dans cet instant d’acceptation, elle perd toute sa force, tout son pouvoir sur nous.
Enfin, nous pouvons travailler avec la peur en utilisant la grande force d’esprit qui naît de la confiance et de l’amour. Quand ces qualités sont fortement développées en nous, elles dissipent notre peur. Sommes-nous capables de nous abandonner aux Trois Refuges1 ? À « ce qui sait » en nous ?
Nous avons peur de mourir parce que nous ne savons ce que signifie vivre. Comme nous ne savons pas comment vivre, nous ne savons pas comment mourir. Tant que nous aurons peur de la vie, nous aurons peur de la mort. Celui qui n’a pas peur de la vie n’a pas peur d’être dans l’insécurité totale car il comprend qu’intérieurement et psychologiquement il n’y a aucune sécurité. Il n’y a aucune sécurité, il y a un mouvement incessant. Alors, vie et mort sont semblables. Celui qui vit sans conflit, avec pureté et amour, n’a pas peur de la mort. Si vous mourez à tout ce que vous connaissez, y compris votre famille, votre mémoire, tout ce que vous avez ressenti, la mort est une purification, un processus de rajeunissement. Pour vraiment découvrir ce qui se passe quand on meurt, il faut mourir – pas physiquement mais psychologiquement, à l’intérieur. Mourir aux choses que vous avez aimées, aux choses qui vous ont rendu amer. Si vous pouvez mourir à l’un de vos plaisirs, le plus insignifiant ou le plus important, naturellement, sans avoir besoin de forcer ni d’argumenter, vous saurez ce que « mourir » veut dire. Mourir c’est avoir un esprit totalement vide de lui-même, vide des attentes habituelles, du besoin de plaisir, de toutes les souffrances. Quand on meurt, il se produit quelque chose de totalement nouveau. La mort, c’est la libération du connu. Alors, on est vivant.
Remerciements à www.dhammadelaforet.org/
Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°12 (hiver 2019)
Joseph Golstein a étudié la méditation bouddhique pendant de longues années en Inde, selon l’enseignement prestigieux de Sri Anagarika Munindra. Il se consacre à la transmission de cet enseignement aux États-Unis et dans le monde. Il est notamment co-fondateur, avec Jack Kornfield et Sharon Salzberg, de l’Insight Meditation Society, un grand centre de méditation vipassana dans le Massachusetts.
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