Les lois du kamma et de la renaissance ne sont pas un bagage culturel exotique
Par Bhikkhu Bodhi
Traduction : Pierre Dupin
De nombreux bouddhistes américains et occidentaux hésitent à accepter l’enseignement du kamma et celui de la renaissance parce qu’ils ne font pas partie de la culture occidentale. Il y en a même qui proclament haut et fort que c’est une part du « bagage culturel » du bouddhisme asiatique qu’il nous faut laisser tomber afin de forger un nouveau bouddhisme occidental qui sera compréhensible aux gens de l’Ouest. Il leur arrive même de prétendre que les enseignements concernant le kamma et la renaissance sont simplement les entraves du dogme et des croyances que les bouddhistes d’Asie se sont imposés à eux-mêmes.
Aujourd’hui, disent-ils, nous avons dépassé les dogmes religieux et les croyances ; nous voulons être totalement libres, au présent, et cela signifie que nous devons nous libérer de tous les dogmes bouddhistes et de leurs croyances.
Ma réponse à cette attitude est de leur proposer une analogie. Supposez qu’en Inde une nouvelle université soit construite et qu’il soit question d’ouvrir une chaire de physique. Est-ce que les professeurs de physique commenceraient par discuter pour savoir s’ils vont enseigner les lois de Newton sur le mouvement ou les lois de la thermodynamique ou la théorie d'Einstein sur la relativité ? Supposons qu’un professeur parmi eux se lève pour dire : « Ces lois et ces théories viennent de l’Occident, elles ne font pas partie de notre héritage culturel, nous ne devrions pas être obligés de les enseigner dans notre université. Elles font partie du bagage culturel de l’Occident qu’il nous faut laisser tomber quand nous enseignons la physique en Asie. » Les autres professeurs le regarderaient en pensant qu’il est devenu fou !
Pourquoi donc ? Parce que les lois de la physique ne sont pas enseignées simplement parce qu’elles font partie de l’héritage culturel de quelqu’un. Elles sont enseignées parce qu’elles expliquent des phénomènes qui sont universellement reconnus, parce qu’elles sont tout aussi valides à Pékin, qu’à Calcutta, Nairobi et Istanbul, comme elles le sont à Londres, New York ou Buenos Aires. Et c’est le sens de la physique. Ainsi, également, les enseignements sur le kamma et la renaissance sont faits pour expliquer les lois universelles de la vie morale ; ces enseignements expliquent des lois qui sont d’une importance vitale pour nous parce que ce sont des lois qui gouvernent notre destinée à venir ; des lois qui, de vie en vie, sous-tendent tous les processus qui nous font progresser depuis le stade d’humain illusionné jusqu’à celui d’un arahant[1] libéré ou d’un Bouddha parfaitement éveillé. Ces enseignements (au moins leurs plus anciennes versions) proviennent du Bouddha lui-même. Ils faisaient partie de son enseignement et il les transmettait aux humains pour une bonne raison. Ces lois nous apprennent à prendre des décisions éthiques fondamentales dans notre vie quotidienne. Elles sont l’épine dorsale de la spiritualité bouddhiste. Elles sont à la base de la pleine signification de l’enseignement du Bouddha. Si nous ne parvenons pas à une certaine compréhension de ces lois en pensant : « Il suffit que je sois attentif au présent pour parvenir aux plus hautes réalisations », nous serons comme un homme qui s’approche d’un lac avec une passoire en pensant qu’il va pouvoir s’en servir pour prendre de l’eau et remplir son seau. Pour finir, il retournera chez lui avec un seau vide.
La vue juste du kamma et de la renaissance – du kamma en tant que force qui génère des existences répétées dans la ronde de la naissance et de la mort – est l’arrière-plan fondamental grâce auquel la vue juste des Quatre Nobles Vérités acquiert sa pleine signification.
Pour rappel : La vérité de la souffrance et de l’insatisfaction –
La vérité des causes de la souffrance et de l’insatisfaction
La vérité de la cessation de la souffrance et de l’insatisfaction
La vérité du chemin qui mène à la cessation de la souffrance et de l’insatisfaction
[1] Être méritant, libéré des passions et du samsara
Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°9 (Hiver 2019)
Bhikkhu Bodhi est ordonné moine en 1972 dans la tradition theravāda. Il devient éditeur de la Buddhist Publications Society en 1984 à Kandy (Sri Lanka). Il est auteur, traducteur et éditeur de nombreux livres sur le bouddhisme. Il réside actuellement aux États-Unis.