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Photo du rédacteurSagesses Bouddhistes

 Ehipassiko !

La générosité en action

Propos recueillis par Philippe Judenne


Qui sont les pratiquants venant dans votre centre ? 

Notre communauté est principalement asiatique. L’enseignement se fait à partir des histoires comme celles que l’on trouve dans le Dhammapada1. Elles sont un bon point de départ pour évoquer ensuite tout l’enseignement du Bouddha. 

Les fidèles viennent me poser des questions pour des problèmes qu’ils rencontrent dans la vie courante. Ils veulent des solutions, des prières particulières, etc. Je réponds toujours : « Il ne faut pas vous attachez, restez au milieu » et je cite le Bouddha : « Restez au présent, ne répétez pas le passé, ne devenez pas au futur. » Si on reste au présent, il n’y a pas beaucoup de problèmes. La peur, l’inquiétude, l’angoisse arrivent avec certaines personnes un peu fragiles. L’écoute des enseignements est difficile pour elles et je privilégie toujours un enseignement sur l’amour et la bienveillance. 

Les personnes qui sont issues des pays de culture bouddhique (Laos, Thaïlande, Vietnam, Cambodge, Sri Lanka, etc.) continuent naturellement leur pratique dans la tradition qu’elles ont connue. Le bouddhisme est quelque chose de nouveau pour les Occidentaux, ils ont une approche intellectuelle plutôt basée sur la connaissance. Mais développer la sagesse est nécessaire. Très peu de personnes veulent faire cela finalement, y compris dans les communautés asiatiques, c’est une toute petite proportion. Bien sûr, traditionnellement, on pratique la générosité, le don, l’éthique, la méditation mais il y a aussi beaucoup d’attachements qui vont avec. Par exemple, la générosité qui s’exprime par les choses que l’on offre, que l’on donne, est l’exemple même du détachement ! S’il y a un attachement, un intérêt dans l’action généreuse, où est la générosité ? 


Ehipassiko est le principe de la doctrine bouddhique : « Venez voir » – viens et vois par toi-même – à l’exclusion de toute croyance aveugle.

 

L’éthique ou la moralité sont souvent perçues comme des injonctions en surplomb, des « il faut que » ou des « nous devons », qu’en pensez-vous ? 

L’éthique est vraiment importante. Mais il n’y a aucune obligation ni attachement à l’éthique. Il n’y a aucune punition si vous ne la respectez pas, juste des responsabilités et des conséquences. Il faut observer tout ça, comprendre et se garder d’endosser des vérités toutes faites. 

 

C’est ce que veut dire Ehipassiko ? 

C’est le principe de la doctrine bouddhique : « Venez voir » – viens et vois par toi-même – à l’exclusion de toute croyance aveugle. Le Bouddha l’a exprimé à de nombreuses occasions dans ses sermons. 

La seule voie pour comprendre et voir la réalité, de soi-même et du monde extérieur, est la pratique de l’attention, telle que le Bouddha la décrit dans le Satipatthana Sutta. Elle est essentielle pour aller vers la sagesse, le discernement. Par exemple : sans la pratique de l’attention, comment voulez-vous que les Occidentaux, même s’ils ont une connaissance intellectuelle de l’enseignement du Bouddha, puissent voir et se défaire de leurs habitudes ? 


« Kalamas2, ne vous laissez pas guider ni par les traditions ni par l’autorité des textes religieux, ni par la simple logique ou les allégations, ni par les apparences, ni par la spéculation sur des opinions, ni par des vraisemblances probables, ni par la pensée : ‘Ce religieux est notre maître spirituel.’ Cependant, lorsque vous savez par vous-mêmes que certaines choses ne sont pas justes, qu’elles sont blâmables, condamnées par les sages et que, lorsqu’on les met en pratique, elles conduisent au malheur, abandonnez-les ! […]  

Lorsque vous savez par vous-mêmes que certaines choses sont justes, qu’elles sont irréprochables, louées par les sages et que, lorsqu’on les met en pratique, elles conduisent au bien et au bonheur, pénétrez-vous de telles choses et pratiquez-les. »    

Bouddha dans le Kalama Sutta (AN 3.653

 

 

Quelle est la cause du désir ? 

Selon le bouddhisme, le désir est forcément lié à l’attachement. En effet, dans l’explication de la paṭiccasamuppada 4, il est dit la chose suivante : 

« Vedana paccaya tanha – Par la sensation agréable, est conditionnée la soif, l’envie impérieuse. 

Tanha paccaya upadanam – Par la soif, est conditionnée l’appropriation. » 

 

Qu’est-ce que la sensation ? La sensation – on compte six sortes de sensations – naît du contact par les yeux, les oreilles, le nez, le palais, le corps et l’esprit. La sensation agréable engendre la soif du désir.  

Qu’est-ce que la soif du désir ? Le désir avide – on en compte six sortes – est le désir pour des formes, des sons, des odeurs, des saveurs, des sensations tactiles et des objets mentaux. La soif du désir conditionne l’apparition de l’attachement.  

Qu’est-ce que l’attachement ? Le Bouddha a dit qu’il en existe quatre formes : l’attachement sensoriel (l’attachement aux plaisirs des 5 sens), l’attachement aux opinions (constructions mentales), l’attachement aux règles et aux habitudes et l’attachement au concept du je, moi, mon, le mien. Nous connaissons très bien ces quatre formes d’attachement. 

C’est en raison de ces « attachements », ces « appropriations » liés au désir que se produit la souffrance quand la réalité des situations vient secouer nos illusions et nos attachements. 

 

 

On a toutes sortes de désirs comme celui de satisfaire des besoins de base (manger, etc.) mais aussi le désir de choses immatérielles comme d’aider les autres, d’être un bon parent, un professionnel reconnu, un compagnon fidèle, une personne sociale sympathique et perçue comme telle dans sa communauté. Le désir n’imprègne-t-il pas toute la sphère de l’être et de l’avoir ? 

Attention ! On mange pour vivre, on ne vit pas pour manger. Si le repas a l’air délicieux, on a le désir de le manger, c’est normal. Mais il faut toujours comprendre pourquoi on mange et le garder à l’esprit. Ça c’est difficile. C’est pour cela que la plupart des maladies arrivent par la bouche. 

 

Que pouvons-nous faire ? 

À chaque fois qu’il y a un contact sensoriel sans sagesse, quand seule l’ignorance est présente à l’instant d’un contact avec les sens, la loi d’interdépendance se met en mouvement et s’enchaînent alors sensations, soifs, attachements, etc. dans un cycle insatisfaisant et ininterrompu. 

Ce qu’il faut, c’est pratiquer une parfaite vigilance au niveau des six portes des sens, là où s’établit le contact sensoriel et la sensation qui en découle.  

Nous pouvons apprendre à être attentifs à tout contact entre les sens et les objets des sens, pour ne pas laisser les sensations et les émotions se développer, à ne pas laisser s’allumer la soif du désir. 

 

Que permet la méditation ?  

Le canon pali distingue de nombreux types d’entraînement de l’attention. Parmi eux, on distingue 40 sortes de méditation samatha du calme mental qui vont servir à établir vipassana, la vision intérieure profonde. C’est le développement de vipassana qui permet d’approfondir la compréhension des trois caractéristiques essentielles que sont:

(1) l’impermanence de tous les phénomènes – le corps et l’esprit compris –, 

(2) la souffrance et l’insatisfaction ressenties par tous, et

(3) la non-existence de l’ego ou du soi. Ce dernier point est de loin le plus difficile à réaliser. Tous les problèmes du monde, du petit cercle familial à celui des nations et des États, viennent de l’incompréhension de ce point.  



1- Le Dhammapada est le plus beau et le plus riche des recueils en stances poétiques du canon pali. C’est un recueil de morceaux courts.

2- Kalamas : habitants de Kesaputta, ville du Kosa- la, un des États les plus puissants de l’Inde vers 600 av. J.-C correspondant à l’actuel État indien d’Oudh.

3- A.N. désigne l’Anguttara Nikaya, un recueil des paroles attribuées au Bouddha que l’on trouve dans le Sutta Pitaka du bouddhisme theravada, et qui se compose de 9 557 discours courts.

4- Paticcasamuppada (paḷi) : la coproduction condi- tionnée, la loi d’interdépendance est un ensei- gnement essentiel décrivant la conditionnalité, la dépendance et la réciprocité.


Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°13 ( printemps 2020 )

 





Le vénérable Chandaratana a rencontré très jeune les enseignements du Bouddha au Sri Lanka et est devenu bhikkhu (moine pleinement ordonné) à l’âge de 20 ans. Nous le rencontrons au Bourget (93) dans le centre qu’il a fondé il y a plus de trente ans et dont il est abbé. Le vénérable Chandaratana est co-président de la fédération des bouddhistes de France. 

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