Certaines expériences sont agréables et légères, d’autres sont plus difficiles et désagréables. Si nous traversons une expérience dure, il ne faut pas la saisir comme étant le résultat négatif d’une mauvaise méditation et vouloir nous en débarrasser. Reconnaissons au contraire que tout ce qui apparaît est la manifestation de l’esprit, et n’a donc pas besoin d’être rejeté. De même, quand nous rencontrons des expériences agréables, nous ne nous attachons pas à elles en les qualifiant de bonne méditation, sinon nous en devenons prisonniers, nous nous y attachons, nous en éprouvons de l’orgueil. Les qualités se transforment alors en défauts et nous restons bloqués, incapables de progresser. Toute expérience, que nous l’éprouvions comme plaisante ou non, est identique. Elle est simplement la manifestation d’un esprit unique. Si nous cultivons continuellement la méditation, de sorte que nous soyons capables de dépasser toute forme d’expérience quelle qu’elle soit, nous atteindrons la réalisation véritable qui ne sera plus perdue. On compare traditionnellement les expériences méditatives aux brumes matinales qui voilent la montagne. Lorsque le soleil dissipe les brumes, sa lumière révèle la splendeur de la montagne. De même, lorsque les expériences sont détruites par la lumière de la conscience du nonattachement, la réalisation de la sagesse stable et immuable se révèle. Si nous sommes fascinés par une expérience et que nous nous y fixons, ce qui était d’abord un progrès se transforme en obstacle et notre marche vers l’éveil est stoppée. Si nous la refusons, l’esprit développe colère et frustration, et notre méditation est détruite. Mais si nous laissons les expériences apparaître, puis disparaître, sans nous identifier à elles, sans les altérer, elles s’évanouissent d’elles-mêmes, laissant la place aux réalisations et aux qualités authentiques.
Pour pouvoir véritablement méditer, nous devons nous défaire de l’espoir que notre esprit puisse rester stable longtemps, et de la crainte qu’il devienne agité et envahi par les pensées. Acceptons le fait que, quel que soit l’état de l’esprit, c’est toujours l’esprit. Quand il est calme, c’est l’esprit. Quand il est agité et produit des pensées, c’est encore l’esprit. Et ce qui est conscient de ces différents états, c’est toujours l’esprit. Il n’y a donc aucun sens à établir une séparation artificielle entre l’esprit et les pensées, ou à préférer le calme au mouvement, car les deux sont également l’esprit. Il est vain de préférer l’un au détriment de l’autre. Alors, laissons simplement l’esprit reposer dans sa luminosité, sa radiance naturelle, sans interférer le moins du monde sur le mouvement des pensées. Reconnaissons que l’esprit est dépourvu d’apparition et de cessation : il est non né, sans commencement et sans fin, spontanéité pure. De ce fait, il est absurde de souhaiter ne connaître qu’une seule forme d’esprit, l’esprit calme, et de redouter de rencontrer l’esprit actif. Abandonnons l’espoir ou la crainte, et laissons l’esprit être ce qu’il est, tel qu’il est, naturellement libre, sans nous attacher à l’un ou l’autre de ses moments.
Il ne faut pas penser que méditer signifie essayer d’être meilleurs que nous ne le sommes actuellement, parce que nous ne faisons alors que nous laisser aller à l’espoir, et cette attente est vaine. Nous devons prendre conscience que la véritable nature de l’esprit est la nature de bouddha, et qu’il n’y a rien à chercher puisque cette dimension éveillée demeure déjà en nous.
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Lorsque nous commençons à méditer, nous avons souvent l’impression qu’il y a davantage de pensées et d’agitation mentale que lorsque nous ne méditions pas. Cette impression, commune à tous les pratiquants, est fausse. Du fait de la méditation, une plus grande conscience de l’état de l’esprit se développe. Notre esprit devenant plus clair, nous percevons à présent le mouvement des pensées qui nous échappait jusque-là. Dans l’état ordinaire, lorsqu’il ne médite pas, l’esprit est comme assoupi. Il n’est pas du tout conscient du flot incessant des pensées qui le traverse. Pour cette raison, la découverte de l’importance du flot mental dans la méditation n’est pas une faute en soi. C’est au contraire un progrès dû au développement de la méditation.
La vigilance de la respiration
« Quand nous suivons le mouvement de notre respiration, vers l’intérieur et vers l’extérieur, il devrait rester plutôt naturel, tel quel. Nous ne devrions forcer ni le corps ni l’esprit, d’aucune façon, mais demeurer complètement détendus en laissant simplement l’esprit devenir conscient de l’entrée et de la sortie du souffle, sans aucune distraction, aucune autre pensée, rien qui ne saisisse notre attention. Laissez de plus en plus l’esprit se mêler au mouvement, de plus en plus jusqu’à ce qu’il y soit totalement absorbé. Faites d’abord cela durant vingt et un cycles de respiration, sans distraction, puis en restant tout le temps attentifs.
Rester attentifs ne veut pas dire rester fixé sur la respiration en se disant : « Je ne dois pas perdre le mouvement, je dois rester concentré. » Si nous entamons ce type de pensée discursive, cela créera un niveau d’agitation qui perturbera le mouvement naturel de la respiration et de la méditation. Nous ne sommes plus en train de méditer, nous sommes en train de commenter la méditation. Nous perdons l’impression d’être absorbés dans la méditation. Ce que nous devrions faire, c’est être simplement conscient de la respiration, la ressentir, l’expérimenter physiquement et mentalement. Nous devrions la suivre sans rien faire d’autre, sans commenter, sans essayer de la changer ou la modifier d’aucune façon. Pour cela, il s’agit d’être très détendu, très calme, de pratiquer en douceur et avec régularité. Et ce faisant, nous donnons de l’espace pour que le calme se développe, ce qui nous permettra de pénétrer plus profondément dans la méditation. »
Instructions orales données par lama Guendune Rinpoché
Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°6 (Printemps 2018)
Guendune Rinpoché (1918-1997) est né au Tibet oriental, dans la région du Kham. Maître de méditation, il a passé plus de trente ans en retraite. Il a été envoyé en Occident par le 16e Karmapa pour développer le centre Dhagpo Kagyu Ling (Dordogne), créer et diriger des centres de retraite et des ermitages monastiques et laïcs, afin de rendre le Dharma accessible à tous.