top of page
loading-gif.gif

Deux histoires pour les enfants… et les plus grands

  • Photo du rédacteur: Sagesses Bouddhistes
    Sagesses Bouddhistes
  • 30 juin 2023
  • 6 min de lecture

Par Jeanne Schut.

Publié avec l’aimable autorisation de l’auteure.

Illustrations par Georges Crisci

Extrait de Les Aventures de Boon et Pranee dans la Jungle


ree

Boon est un adolescent thaïlandais qui passe deux semaines dans un monastère de forêt. Il découvre, au fil de ses aventures et mésaventures, notamment grâce à Loung Tate[1], ses propres ressources intérieures, et ressort grandi et mûri de ce voyage.

 

Metta pour les moustiques

– Oh ! Je déteste vraiment les moustiques ! Je les déteste ! s’écrie Boon avec rage.Boon et Loung Tate sont en train de balayer les feuilles mortes sur les allées. C’est une tâche que tous les résidents du monastère doivent faire, chaque après-midi, entre quatre et cinq heures. Malheureusement, à cette heure-là, les moustiques de la jungle ont très faim et piquent tous les passants !Loung Tate s’arrête de balayer. Il regarde l’air furieux de Boon et il lui vient une idée :– Boon, je crois que c’est le moment de t’apprendre à pratiquer metta.– Que voulez-vous dire, Loung Tate ? demande Boon tout en se débattant contre la nuée de moustiques qui l’assaille.– Je vois que tu es plein de colère contre les moustiques or metta signifie « avoir de la bienveillance envers les êtres, ne pas avoir de sentiments négatifs ni leur souhaiter du mal ».– Mais je ne leur souhaite aucun mal ! Je veux juste qu’ils me laissent tranquille ! proteste Boon.– Tu peux toujours le vouloir mais ne serait-il pas plus sage de faire avec ce qui est ? – « Faire avec ce qui est », répète Boon. Il n’est pas sûr de bien comprendre.Loung Tate insiste :– Oui ! Arrêter de résister à l’inévitable. Accepter les choses comme elles sont... parce qu’elles ne vont pas changer pour te faire plaisir, tu sais !– Mais comment faire quand ces moustiques me piquent ? Ça fait mal !– Essaye metta, répond Loung Tate patiemment. Tu peux dire à haute voix : « Que tous les êtres soient heureux et en paix ! » Cela inclut toi-même, tes parents, tes amis, même des gens que tu ne connais pas ou que tu n’aimes pas... et aussi les animaux et les insectes comme les papillons et les moustiques. Tu crois que tu peux y arriver ?Boon a écouté très attentivement les explications du vieil homme. Il se souvient aussi que Tan Ajahn lui a recommandé de pratiquer metta. Alors il se dit que, si le moment est venu, autant commencer maintenant.– Je suppose que je peux essayer.– Eh bien, dis-le, alors ! l’encourage Loung Tate.– « Que tous les êtres soient heureux et en paix », dit Boon sans trop de conviction.– Très bien ! Encore ! Encore ! Et n’oublie pas les moustiques !– D’accord. Mais je veux le faire tout seul.– Très bien, mon garçon, je te laisse, répond Loung Tate en s’éloignant. Que tous les êtres soient heureux et en paix ! Metta pour vous, les moustiques. Soyez heureux et en paix !

Boon reprend son balayage. Quand il pousse les feuilles à droite de l’allée, il dit :

« Que tous les êtres soient heureux et en paix ! » Et quand il pousse les feuilles à gauche, il dit : « Metta pour vous, les moustiques. Soyez heureux et en paix ! »Concentré sur sa tâche et sur ces répétitions, Boon réalise soudain, d’une part, qu’il a déjà fini de balayer l’allée et, d’autre part... qu’il n’est plus gêné par les moustiques depuis un moment ! Il n’en revient pas. C’est magique !Alors même qu’il s’apprête à crier victoire à Loung Tate, un énorme moustique se pose sur son bras.Boon le regarde de près. Il voit sa tête, son corps, ses ailes, son dard... et il pense à ce que Tan Ajahn lui a dit : que tous les êtres sont comme nous, qu’ils doivent se nourrir d’une manière ou d’une autre.Alors, au lieu de le repousser nerveusement, Boon – qui ne souhaite tout de même pas se faire piquer ! – souffle simplement sur le moustique en lui disant : « Metta pour toi, moustique ! Je ne te veux pas de mal. »Le gros moustique s’envole alors mais tranquillement, et Boon a un sentiment étrange : « C’est bizarre. On dirait qu’il me dit ‘Adieu’ ou peut-être ‘Merci’. »

 

Loung Tate raconte une histoire


ree

C’est la fin de la journée. Loung Tate et Boon, assis sur les marches de leur kouti[2], profitent des dernières lueurs du soleil couchant. Boon est heureux et fier. Il a raconté à Loung Tate comment sa pratique de metta lui a évité de se faire piquer et lui a donné, en plus, un sentiment de complicité avec le gros moustique.

– C’est très bien, tout ça, dit Loung Tate, mais tu n’as toujours pas réussi à prendre la photo d’un papillon en vol.

– Je sais mais je vais continuer à essayer, répond Boon plein de confiance.

– Laisse-moi te raconter une histoire Boon. Je l’ai entendue d’un vieux maître, il y a très longtemps, mais je ne l’ai jamais oubliée.

– Formidable ! s’écrie Boon ravi. J’adore les histoires !

Et il s’assoit confortablement, prêt à écouter.

– C’est l’histoire d’un homme qui plante une graine de citron dans la terre. Pendant des mois et des années, il en prend grand soin, l’arrose, lui donne de l’engrais, la protège du froid en hiver et du soleil brûlant en été. Et, bien sûr, la graine grandit, pousse et devient un petit arbuste puis un bel arbre.

Alors, un jour, l’homme apporte des bougies, des fleurs et de l’encens qu’il dispose joliment au pied du beau citronnier. Puis il s’agenouille, joint les mains avec beaucoup de ferveur et dit : « Cher arbre, je t’en prie, donne-moi de belles poires bien douces. »

– Ahaha ! s’esclaffe Boon. Quel idiot !

– Crois-tu ? demande Loung Tate en regardant Boon très sérieusement. Le maître disait que la plupart des gens se comportent comme cet homme.

– Que voulez-vous dire, Loung Tate ? C’est ridicule ! Personne ne va demander à un citronnier de donner des poires !

– Oublie les citrons et les poires, et regarde-toi, Boon !

Boon fronce les sourcils. Il sent que ce qui va suivre ne sera pas agréable à entendre…

– Je ne comprends pas où vous voulez en venir, Loung Tate.

– C’est très simple : la poire bien douce que tu veux obtenir, c’est la photo d’un papillon en vol. Mais quelles graines as-tu plantées jusqu’ici ?

– Je ne sais pas du tout de quoi vous parlez, répond Boon sur la défensive.

– Je parle de ton attitude dans la vie : je t’ai vu fâché contre un gecko, maladroit et bruyant dans la forêt, un peu trop content de toi quand tu as pratiqué metta… Vrai ou faux ? Tu te fâches quand tu n’obtiens pas ce que tu veux ou que les choses ne tournent pas comme tu le voudrais, et tu es très content de toi quand tout te convient.

Soudain Boon se sent triste et abattu. Ce que vient de dire son vieil ami le peine :

– Je croyais que vous m’aimiez bien, Loung Tate.

– Mais je t’aime bien, mon garçon et c’est justement pourquoi je voudrais t’encourager à planter de bonnes graines : pour que tu récoltes ensuite, dans la vie, beaucoup de bonnes poires bien douces, finit-il avec un sourire affectueux.

– Et quelles sont-elles, ces bonnes graines ? demande Boon sur un ton de défi.

– C’est très simple, mon garçon : l’attention, la patience, et la persévérance. Si tu veilles à cultiver et développer ces graines-là, si tu les arroses et les nourris à chaque occasion, tu verras que la vie sera douce pour toi, comme une poire bien mûre. Et si l’acidité du citron se fait sentir, à l’occasion, ces qualités que tu auras développées te permettront d’attendre des temps meilleurs et de ne pas t’inquiéter outre mesure.

Boon comprend que son vieil ami ne lui veut que du bien. Du coup, il en oublie sa peine et s’efforce d’absorber le sens de ses paroles.

– D’accord. Je vais essayer d’appliquer ce que vous venez de m’apprendre… et je vous remercie.

 

[1] Loung Tate est un pakao, une personne qui vit dans un monastère et rend service à la communauté. Les pakao sont vêtus de blanc et suivent 10 préceptes.

[2] Un kouti est une cabane dans la forêt où moines et laïcs peuvent méditer en paix et en contact avec la nature.



Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°26 (Été 2023)

bottom of page