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« Détends-toi, c’est juste une tasse ! »

Photo du rédacteur: Sagesses BouddhistesSagesses Bouddhistes

Le désir-attachement


 

La saisie

Regardons l’émotion du désir. Le mot désir est ici à comprendre au sens large du terme. Ce n’est pas seulement le désir sexuel ou celui de vouloir à tout prix quelque chose. Le désir commence déjà avec cette pensée qui s’élève dans l’esprit, qui juge une sensation ou une perception comme étant agréable et qui souhaite faire durer un peu plus cette sensation ou la reproduire.

Ce moment initial de saisie est le début du désir. Ce sont des pensées assez subtiles au début qui passent inaperçues dans la plupart des situations. Nous ne sommes pas habitués à être assez vigilants pour les saisir.

Par exemple, vous vous promenez dans votre jardin et une belle fleur se trouve là. Le moment où vous saisissez cette fleur par la pensée – « Ah ! Quelle est belle cette fleur ! J’aimerais l’avoir chez moi » – est le moment même du désir, avant même d'avoir agi, au moment où l’on se fixe sur un objet. C’est dans ce sens plus large et subtil qu'il faut comprendre le désir. Cette croyance en un « moi » crée la question du territoire qui accompagne la saisie égoïste. Au moment même où je définis un territoire comme étant « à moi » ou « le mien », je définis ce qui est « autre » comme un territoire que je veux m’approprier. S’il est jugé comme agréable, je veux l’avaler, l’engloutir, pourrait-on dire, dans mon territoire afin que cela m’appartienne. Et je vais repousser ou me défendre contre tout ce qui vient d’un autre territoire considéré comme désagréable.

 

 

L’enchaînement du désir jusqu'à la dépendance

Le désir est le souhait d'obtenir et de posséder un objet jugé agréable, qu’il soit tangible ou purement mental. Il y a une inclination vers cet objet, un intérêt pour lui. Tout le jeu commence avec une sensation plaisante, agréable.

Prenons par exemple cette tasse. D’abord, je l’aperçois comme objet. Ensuite, je l’identifie comme tasse, je la juge agréable et elle m’intéresse. Je la regarde de plus près. Plus je la regarde, plus elle me plaît. Je suis fasciné par elle. Le souhait s'élève d’acquérir cette tasse, de la posséder. Je me demande combien elle coûte et si je ne pourrais pas l’apporter à la maison. Arrivé chez moi, je vais développer encore plus d’attachement et je vais toujours boire dans cette tasse. Si quelqu’un d’autre arrive et veut utiliser cette tasse, je vais tout de suite craindre de la perdre. Je la désire, la convoite, et quand je suis séparé de ma tasse, je suis malheureux. Je veux que cette tasse voyage avec moi partout. Ce processus du désir continue jusqu’à ce que je devienne complètement accroché à ma tasse, que je ne puisse plus boire dans aucune autre tasse ! Cette tasse doit être là chaque fois que j’enseigne, chaque fois que je suis chez moi. C’est la dépendance.

Cela commence avec une petite saisie, un petit plaisir, puis on suit ce plaisir en se procurant l’objet et on nourrit cet attachement jusqu'au point où se séparer de lui devient désagréable. Tout cela est le processus du désir, jusqu’à la dépendance qui s’installe.

 

Comment désamorcer l’enchaînement ?

À chaque étape, il y a la possibilité de faire jouer notre compréhension. Je peux me dire : « C’est juste une tasse ! Lhundrup, qu’est-ce que tu fais ? Il y a d’autres tasses dans ce monde ! ». Si on connaît les moyens du dharma, on peut couper très tôt le processus d’attachement. Au moment où je vois la tasse pour la première fois, il y a une fascination qui s’élève et je peux déjà remarquer dans mon esprit que je suis dans la fascination.

« Détends-toi, c’est juste une tasse ! C’est juste un objet impermanent, un objet qui est périssable et tu t’attaches à quelque chose qui ne peut pas t’apporter le bonheur véritable ». Grâce à cette réflexion, je lâche tout de suite.

 

Si je suis déjà allé plus loin – par manque de vigilance tout au début – et que j’ai acheté et ramené cette tasse à la maison, je peux alors me rendre compte et dire : « Lhundrup, tu es un pratiquant du dharma et tu t’attaches à une tasse » pour déclarer ensuite : « OK, tu as de l’attachement, la meilleure chose que tu puisses faire maintenant, c’est d’offrir cette tasse, d'en faire cadeau à quelqu’un. De cette manière, tu transformes ton attachement en générosité. Tu peux te défaire de ton attachement et même en faire un acte positif ».

 

Mais si je suis déjà allé encore plus loin et que je suis devenu dépendant de ma tasse, à ce moment-là, il me faut une cure de sevrage ! Il faut que, de toutes mes forces, je me dise : « Cela ne va pas, tu dois retrouver ta liberté, tu dois faire un voyage sans cette tasse ». Je vais dire : « OK, je laisse ma tasse à la maison et je vais essayer pendant deux ou trois semaines de boire dans une autre tasse » et quand je reviendrai, j’aurai alors développé un peu plus de liberté en moi. Quand on est déjà devenu dépendant d'un objet ou d'une personne, l’effort à fournir pour s'en séparer doit être plus grand. Au début, c’était juste une petite saisie qu’il aurait été très facile de lâcher, avec quelques petites contemplations sur l’impermanence et sur le fait que cet objet ne peut pas apporter un véritable bonheur, parce que l'attachement entraîne toujours la souffrance. Plus la dépendance s'installe, plus cela devient difficile.

 

La peur de la séparation

La tasse dans notre exemple pourrait être notre copine ou partenaire, nos parents, notre voiture, et vous voyez comme il est difficile de retrouver sa liberté quand nous sommes devenus aussi dépendants. Cette liberté est précieuse parce que sans elle, nous allons être poussés à faire beaucoup d’actes pour obtenir, garder, protéger cet objet et pour nous défendre contre sa perte et sa destruction. À cause de notre saisie, de notre désir, nous allons nous efforcer de repousser tout ce qui pourrait être un danger pour nous et notre objet. Nous allons faire en sorte de nous coller encore plus à lui pour devenir inséparables. Une tension s'installe : la force de l'attachement entre moi et l’objet. C’est une bataille qui vise à garder cet objet dans mon territoire et à éviter toutes les forces qui pourraient être nuisibles à la relation entre moi et lui. Il y a une peur qui s’installe, celle d’être séparé de l’objet. Cela fait partie de la définition du désir. Le désir va avec la peur d’être séparé, parce que c’est déplaisant d’être séparé de son objet aimé. Dans cet attachement, nous allons loin pour protéger notre relation privilégiée. Nous allons développer une agressivité contre tout ce qui pourrait s’interposer entre nous et l’objet, tout ce qui pourrait le voler ou le détruire. Donc, nous allons commettre des actes violents au niveau du corps, de la parole et de l’esprit pour le défendre et peut-être même pour détruire l’ennemi qui veut nous le prendre. Vous pouvez voir comment nous pouvons aller très, très loin dans l’agressivité à cause du désir.

L’attachement aux personnes est souvent l’attachement le plus fort. Dans ce cas, se défaire de l’attachement ne veut pas du tout dire détruire l’amour. Il faut faire une différence entre amour et attachement. Se défaire de l’attachement, c’est se défaire de cette saisie, de cette prise sur l’autre et la transformer… en amour. Dans une relation d'attachement, je ne donne pas de liberté à l’autre, ce n’est donc pas de l’amour. Je veux quelque chose de cette personne. Elle n’est pas libre, moi non plus, et finalement la souffrance va en être le résultat. Pour que cette relation puisse continuer de manière positive, il faut lâcher cette saisie pour donner de l’espace à l’amour. L’amour est un soutien, il offre, il se donne, mais il ne saisit pas l'autre comme un objet de gratification pour soi-même. Ceux qui pratiquent cette ouverture, qui sont dans cet amour, vont être alertés dès qu'il y a une saisie sur l’autre qui se manifeste dans leur esprit. Ils vont se détendre davantage et dans cette ouverture, ils pourront retrouver l’amour qui était le point de départ de la relation.

 

Le désir-attachement comme base de toutes les émotions

Quand on y regarde de près, on peut dire que toutes les peurs dépendent du désir (c'est-à-dire le désir d’obtenir quelque chose et la peur de ne pas l’avoir) et qu’un esprit agité est le signe d’un désir, d’un attachement. L’agitation est le résultat d’un attachement à une pensée et ensuite à une autre, etc. Il ne peut pas y avoir de colère, d’aversion sans le désir. J’ai envie d’être tranquille, donc je suis en colère contre tous ceux qui me perturbent. J’ai envie d’être propriétaire, donc je suis en colère contre ceux qui volent mes objets. Là où il y a une colère, il y a toujours de l’autre côté un désir.

On peut aussi dire qu’il n’y a pas d’orgueil sans désir. Qu’est-ce que l’orgueil finalement ? C’est l’attachement à soi-même. L’objet de l’orgueil c’est moi, ma renommée, ma réputation, mes qualités. C’est donc le désir, la fascination envers ce que l’on pense être, envers une qualité que l’on pense avoir en nous-même. Nos propres qualités deviennent un objet d’attachement. Et toutes les réactions, les comportements de l’orgueil, ne sont que les conséquences de cet attachement à soi-même.

C’est pareil pour la jalousie, l’envie. Il n’y a pas de jalousie sans attachement à un objet, à une qualité, à une idée. Nous pouvons être jaloux de quelqu’un qui a déjà obtenu ce que nous désirons, qui en a plus que nous, qui a une qualité que nous n’avons pas.

 

Si je donne cette tasse, cet objet n’est plus à moi. Il ne sera plus disponible et il se peut que je veuille de nouveau boire une boisson qui ne se boit que dans une tasse et alors, je n’aurai plus de tasse ! Cela arrive assez souvent. Même si toute notre maison est pleine de choses, je pense : « Peut-être que ce bout de ficelle pourrait me servir un jour ».

C’est une situation typique de peur : on manque de quelque chose que l’on avait déjà avant. Maintenant qu’on ne l’a plus, c’est encore plus grave que de ne l’avoir jamais eu.

Tout le samsara est construit sur ce souhait d’éviter une situation où l’on n’aurait pas ce qui pourrait combler nos désirs.

 

 

Petit lexique

 

Le mot dharma désigne habituellement l’enseignement du Bouddha. Mais dharma a en fait un très vaste champ sémantique. En sanskrit, le mot a pour racine dhr- qui signifie « porter, tenir » et qui donne deux sens principaux au mot dharma : 1°) l’enseignement du Bouddha, 2°) tous les phénomènes, « ce qui maintient sa propre identité ».

 

Samsara signifie littéralement « errance » dans le cycle des existences conditionnées.

Il s'agit d’états d'existence successifs conditionnés par l’ignorance, où règnent la souffrance et la frustration à des degrés plus ou moins aigus. Le samsara se caractérise par une suite de renaissances dans le cycle des existences conditionnées selon la loi de causalité du karma.

Les êtres animés ne peuvent échapper à une succession de naissances au sein du samsara tant qu’ils n’ont pas dans leur esprit dissipé les passions et l’ignorance. En tant que réservoir d'un nombre infini d'êtres animés illusionnés, le samsara n'a donc ni commencement, ni fin. Mais en tant que condition d’existence individuelle, il s'achève définitivement lors de la cessation des passions et de leurs causes dans le continuum mental. C'est alors l’atteinte de la délivrance appelée nirvana.



Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°6 (Printemps 2018)

 



Tilmann Lhundrup est médecin et homéopathe de formation. Il a enseigné pendant 17 ans les différentes retraites traditionnelles de trois ans au monastère de Kundreul Ling en Auvergne. Il favorise depuis longtemps les échanges entre enseignants bouddhistes et psychothérapeutes et a créé en 2015 l’institut Ekayana pour un bouddhisme contemporain.

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