Par Ajahn Sucitto
Laissez votre conscience s’élargir et s’adoucir envers l’expérience. Soyez avec vos émotions plutôt que pris dedans.
Avec cet exercice, nous nous concentrons plus pleinement sur le contenu de la conscience. La conscience possède une faculté de vision intérieure capable de noter comment fonctionne l’esprit. Certaines personnes désignent la conscience sous le terme « cœur », parce qu’il ne s’agit pas que de l’intellect. Mais il ne s’agit pas non plus que de l’émotion.
La conscience est affectée par l’émotion, engrange des impressions et des souvenirs et produit une grande variété de réactions. Certaines pourraient être désignées comme des émotions – affection ou malveillance par exemple – mais ces réactions comportent également la patience, la réceptivité, la détermination et le lâcher-prise.
Toutes ces impressions et réponses, le « contenu » de la conscience, semblent être qui je suis. Or, bien que le contenu nous affecte profondément, il change, et nous avons peu de prise sur lui. Ce qui veut dire que ce n’est ni vraiment « moi », ni « mien ».
Pourquoi avons-nous ces humeurs, impressions et réactions ? Et comment se libérer de leur emprise ? Eh bien, quand il y a identification avec le contenu mental nous questionnons qui nous sommes et pourquoi nous sommes comme cela. Le but de la méditation est de se désengager, de se désidentifier, et de laisser cette confusion se dissiper. Avec cela, apparaissent la sagesse et le bonheur intérieur, et le contenu se clarifie de lui-même.
LE RESSENTI PHYSIQUE
Cultiver une conscience calme du ressenti physique est important, car, même sans maladie ou handicap, le seul fait d’être assis ici devient vite inconfortable pour le corps. La douleur et son évitement sont une problématique centrale de nos vies, donc apprendre à y faire face et à composer avec est une bonne raison de cultiver une conscience stable.
Comme avec la pensée, le but n’est pas de vaincre la douleur mais de transformer l’agitation qu’elle engendre en conscience calme et soutenue. Cela dit, il est toujours souhaitable de faire de l’exercice et d’étirer les ischio-jambiers et les tissus autour des hanches par un travail corporel adapté afin de réduire tout inconfort inutile.
· Établissez votre attention dans le corps et équilibrez votre esprit par la respiration. Intégrez la conscience dans la respiration.
· Pendant quelques minutes, intéressez-vous au mouvement et à la manifestation de la douleur. Est-ce qu’elle pulse, ou est-ce qu’elle brûle ? Essayez de la visualiser. Dans quelle mesure est-elle dans le corps ? Dans l’esprit ? Arrivez-vous à distinguer le ressenti physique et les sensations d’agitation et de crispation mentale ?
· Portez la conscience intégrée et respirante à l’endroit de la douleur et dirigez votre respiration vers elle. Élargissez le centre de votre attention pour inclure la zone autour du point de douleur, et dans un cercle grandissant, l’intégralité de votre corps. En même temps, relâchez la réaction de votre esprit à la douleur. Expirez par les plantes des pieds, les paumes et les tempes. Ici l’intention est de détendre l’énergie nerveuse et la résistance contre la douleur. Un peu comme la lumière du soleil qui réchauffe la surface froissée d’un lac. Après quelques minutes, continuez une minute de plus avant de relâcher et bouger votre corps.
· Notez l’effet psychologique de cette pratique, comment l’esprit devient plus patient et équanime et se plaint moins. Voilà ce que la douleur peut nous apprendre.
La douleur et l’inconfort physique nous apprennent que ce que nous appelons « ressenti » a trois composantes : le ressenti lui-même (la qualité de douleur, plaisir ou neutralité) ; l’impression psychologique et émotionnelle associée à cette qualité (« brûlant », « agaçant », « insupportable », « merveilleux », « ennuyeux ») et l’« activité », la réaction à cette impression – comme la résistance ou l’attachement. Pouvez-vous discerner ces trois composantes ? La première, c’est l’état des choses dans le corps à cet instant précis, et les deux suivantes sont des ajouts mentaux. Ces ajouts mentaux sont ce que nous pouvons ajuster le plus directement. En faisant cela, nous pouvons devenir plus stables et équanimes par rapport à l’inconfort mais aussi au plaisir.
RESSENTI MENTAL
Des aspects mentaux (psychologiques et émotionnels) d’inconfort et de joie dictent, oppriment ou élèvent nos vies. Donc le ressenti mental est un sujet qui mérite d’être clarifié.
Le ressenti mental peut être déclenché par la vue, le toucher, l’odeur, le goût ; ou par un objet de l’esprit tel qu’un souvenir, une impression mentale ou une pensée.
Quand une telle perception nous « contacte », elle est enregistrée comme un ressenti, et comme une impression – beau, dégoûtant, aimable, offensant, urgent, sans importance, etc. Cette impression-contact ensuite agit comme déclencheur d’une activité mentale – de saisie et de désir, ou de résistance, d’hostilité, d’angoisse, d’excitation, de détente ou de tension. De plus, tout comme les émotions douloureuses peuvent nous rendre défensifs ou agressifs, le plaisir peut avoir un effet soporifique ou addictif. C’est pour cela qu’il faut aussi faire attention à l’impression et l’activité générées par le plaisir.
Le plaisir et la douleur font partie de la vie, mais nous devons les accueillir dans notre conscience avec clarté afin de maintenir notre équilibre. Donc dans l’exercice suivant nous apprenons à identifier et à stabiliser l’activité mentale. Ensuite, avec cette stabilité d’attention, nous pourrons investiguer l’impression déclenchante.
· Reconnaissez et prenez du recul. Notez la qualité du ressenti sans le rejeter ni vous y impliquer. Au lieu de cela, examinez comment vous pouvez connaître, sentir et être présent avec un ressenti agréable ou désagréable. Si vous êtes tendu, le désengagement viendra non pas en essayant de relâcher la tension mais en élargissant votre conscience afin d’y inclure un espace qui n’est pas tendu et en y apportant de la bienveillance.
· Utilisez le corps. Stabilisez votre conscience en la reportant au corps entier. Évitez de vous impliquer dans le ressenti. D’abord mettez-le en perspective pour que vous puissiez reconnaître l’impression et l’activité. Utilisez l’attention à la respiration pour stabiliser l’esprit.
· Investiguez. Où l’activité mentale vous emmène-t-elle ? Est-ce que vous vous retrouvez pris dans l’aversion, le désir ou le regret ? Notez cela, et ensuite, comment tout cela affecte-t-il votre corps ? Y a-t-il une bouffée de nervosité, ou une tension, ou un tourbillon ? Notez l’effet au niveau des mains, des plantes des pieds et du visage. Reportez-vous à l’impression mentale : quelle est l’essence de cet élément déclencheur ? Y a-t-il un sentiment de menace, ou de récompense ? Comment vous sentez-vous quand cela se produit ? Exalté ? Coupable ? Menacé ? Comment ce ressenti se compare-t-il avec votre état avant que cette impression ne se produise ?
· Réfléchissez. Les ressentis, impressions et activités changent constamment. Ce sont des choses qui vous arrivent ; elles ne sont pas qui vous êtes. Donc vous n’êtes pas obligé de réagir, de vous accrocher, de résister ou de juger ce ressenti. Libéré de ces réactions, vous pouvez pousser plus loin l’investigation : quelle validité ont les impressions telles que « laid », « offensant », « charmant », « urgent » ? Lesquelles méritent que l’on y donne suite ?
· Apportez une réponse. Qu’est-ce qui serait utile, là maintenant ? Répondez au contact, pensée, vision ou autre par la conscience avertie. Évitez d’essayer de le décortiquer ; agissez simplement en fonction de ce qui vous semble approprié.
En pratiquant de cette façon, nous apprenons que la conscience – la faculté fondamentale de « connaître », ou la « sensibilité » de l’esprit – possède une vue stable et une énergie réceptive. Cette vision est sagesse : celle qui garde une vue d’ensemble. La réponse de la sagesse est imprégnée de clarté et de compassion. Répondre avec sagesse permet à la conscience de gagner en clarté et développe l’habileté. Réagir sans clarté mène à la passion et à la souffrance. Nous apprenons également que toute réponse judicieuse – que ce soit de lâcher prise, d’être ferme ou d’endurer patiemment – est accompagnée d’un ressenti subtilement agréable. Ce ressenti vient non pas du contact mais de l’intention juste. Cela constitue la source la plus fiable du bonheur, et sans effets secondaires néfastes !
RÉFLEXION : LA VIE EST SANS PROPRIÉTAIRE
Qu’est-ce qui ne va pas avec le moment présent ? Qui dicte comment il devrait être ? Dans quelle mesure un ressenti agréable est-il satisfaisant ?
Prenons l’image d’un bol ouvert dans la main. Le vent y souffle des choses, qui s’y posent puis s’envolent. À qui appartiennent toutes ces choses ?
Essayez de vous rappeler le ressenti subtil mais agréable qui accompagne des intentions et réponses telles que la générosité, la compassion, le pardon et l’honnêteté. Établissez l’intention de développer et de réfléchir à ces intentions positives dans votre vie.
(*) Sous licence Creative Commons. Téléchargeable sur https://forestsangha.org/teachings/books
Extrait de Méditation, mode d’emploi paru aux Éditions Amaravati Publications*
Cet article est paru dans Sagesses Bouddhistes n°9 (Hiver 2019)
Ajahn Sucitto est né à Londres en 1949. En 1975, il entre dans la vie monastique de l’école des moines de la Forêt, de la tradition theravada, suite à sa rencontre avec Ajahn Sumedho dont il suit les enseignements pendant quatorze ans. Assumant la responsabilité de l’édition et de la publication de ses enseignements ainsi que d’autres publications du Sangha, il publie lui-même de nombreux ouvrages. Enseignant et dirigeant des retraites à travers le monde, il a, pendant une vingtaine d’années, assumé la responsabilité du monastère de Chithurst au Royaume-Uni.